SYNDICAT DE LA MAGISTRATURE
Paris, le 10 novembre 2021
Etats généraux de la justice : de questionnaires en questionnaires, on est tombé bien bas Les états généraux sont lancés… On ne sait pas jusqu’où ils feront tomber la justice. Après la diffusion des questionnaires en ligne totalement orientés à destination des citoyens et professionnels, la chancellerie se voulait rassurante à notre égard : les ateliers thématiques animés par des professionnels constitueraient de véritables interlocuteurs pour les organisations syndicales, lesquelles étaient invitées à contacter chaque « chef de file » pour obtenir de pouvoir contribuer sur l’ensemble des thématiques. Ces sept ateliers, on nous l’assurait, ne seraient nullement tenus par les termes extrêmement orientés, eux-aussi, des lettres de mission adressées par le garde des Sceaux déterminant les champs respectifs de leurs réflexions.
Pour conduire ces travaux, encore faudrait-il que les membres des ateliers réussissent à se réunir entre eux, alors même qu’ils ont été désignés en catastrophe juste avant le lancement des états généraux : le calendrier précipité de leurs réunions fait peu de cas des impératifs des uns et des autres, les magistrats qui en font partie, notamment, étant retenus par des audiences et convocations déjà fixées pour cet automne - tant pis, les absents ont toujours tort. Il est clair que les membres ont et auront matériellement du mal à être tous présents aux réunions de brainstorming, et encore plus à consulter véritablement, sans parler du temps qu’il faudrait pour réfléchir comme il le leur est demandé à une remise à plat totale du fonctionnement de la justice et de produire des écrits dans les délais qui leur sont impartis, c’est-à-dire d’ici janvier.
Heureusement, les ateliers sont gracieusement affublés d’une aide logistique, à savoir des personnels des directions du ministère, et bénéficient de l’appui précieux de l’IGJ… Dans ce joyeux bazar, les sollicitations des organisations syndicales par les chefs d’atelier - à qui on pourrait, pour quelques-uns, faire le crédit de souhaiter limiter les dégâts dans ce contexte - commencent à affluer en ordre dispersé. Cahin-caha, les différents groupes ont adopté chacun leur petite méthode pour consulter. Selon les cas, il nous est proposé de contribuer par écrit seulement, ou oralement et collectivement à un créneau fixé dans un délai de quinze jours à un mois.
Certaines demandes de contribution sont libres, quelques orientations sur les sujets de réflexion principaux nous étant seulement soumises. La demande de contribution de l’atelier sur la « simplification de la procédure pénale » est quant à elle particulièrement orientée, et révélatrice de ce qui se joue au sein de ces ateliers. C’est une série de 43 questions qui nous a été envoyée sur ce thème le 29 octobre, en vue d’une audition le 17 novembre, une litanie déclinant à tous propos le culte de la simplification : on y lit neuf fois le mot « simplification », sept fois le mot « simplifier », et une fois « procédure simplifiée ». L’atelier a ainsi fait sien l’adage du président de la République à l’issue du Beauvau de la sécurité : le problème principal de la procédure pénale, c’est la paperasserie inutile, celle pourtant que le gouvernement s’était targué de faire disparaître définitivement en votant la loi du 23 mars 2019 après avoir - déjà - lancé le chantier « simplification de la procédure pénale ».
Le problème, ce n’est donc pas, à lire ce questionnaire, celui d’une procédure modifiée par petits morceaux au gré des réformes liées à l’actualité ou des discours politiques du moment, qui lui font perdre sa cohérence globale sur ce qui fait sa raison d’être même : déterminer quelle autorité doit être compétente (police judiciaire, parquet, magistrat du siège), et dans quel délai, pour autoriser ou non les actes coercitifs ou attentatoires aux libertés rendus nécessaires par la recherche de la vérité pendant l’enquête, selon un équilibre respectueux des droits fondamentaux et de l’efficacité des investigations.
De même, ne figure dans le questionnaire aucune question sur la définition de la politique pénale, le contrôle et la direction de l’enquête par l’autorité judiciaire, le périmètre du traitement en temps réel, problématiques qui avaient pourtant été si bien objectivées dans le rapport de l’Inspection générale de la justice sur l’attractivité du ministère public. Le questionnaire ne prend même pas le soin de poser que la refonte de la procédure pénale ne peut être pensée qu’en fonction de la clarification du statut du parquet, dont la nécessité est unanimement soulignée depuis des années, mais dont la perspective s’éloigne chaque jour un peu plus.
Le questionnaire traduit plutôt l’étrange épidémie frappant quiconque se penche actuellement sur le berceau de la procédure pénale du côté du pouvoir, une maladie qui paraît faire oublier à la chancellerie les fondamentaux de l’Etat de droit. Florilège : sur la procédure d’enquête, il nous est proposé « plus d’initiatives aux enquêteurs de police judiciaire dans la conduite des investigations » et « le recours à une procédure simplifiée sous la forme d’un procès-verbal récapitulatif (synthétisant l’interpellation, l’audition et la notification d’une décision du parquet) ».
Sur la composition pénale : « identifiez-vous une possibilité pour étendre le champ des mesures n’étant pas subordonnées à la validation d’un magistrat du siège ? ». Le reste est à l’avenant : « peut-on accroître la forfaitisation de la réponse pénale (amendes forfaitaires délictuelles) en répression de certaines infractions contraventionnelles et délictuelles ? » ; « est-il souhaitable d’envisager une réforme des modes de poursuites sans audience publique, afin d’en modifier l’étendue et d’en simplifier le régime ? » ; « Le caractère obligatoire de l’instruction préparatoire en matière criminelle vous paraîtil devoir être maintenu ? ». Pour finir en apothéose : « est-il souhaitable de développer la justice négociée en matière criminelle, notamment sous la forme d’un « plaider-coupable » devant la cour criminelle départementale ? » ; « Quelles réformes ou pistes de simplification vous paraissent pouvoir être tirées des réflexions autour de la justice pénale prédictive ou de l’open data ? »…
C’est une véritable destruction des fondamentaux de la justice que dessine ce questionnaire : la simplification telle qu’envisagée est synonyme de fin du débat judiciaire collégial et contradictoire, d’affaiblissement du contrôle de l’autorité judiciaire sur les enquêtes, d’extension sans fin des prérogatives juridictionnelles des parquets - et, même, maintenant, de la police - , de réduction du périmètre de l’instruction, le tout dans une situation de statu quo institutionnel, et enfin de justice négociée au détriment des justiciables les plus démunis.
Une fois de plus, dans la même logique que dans la loi « confiance dans la justice », la réduction de la durée des enquêtes, et notamment de l’instruction, est posée en termes de modifications procédurales à envisager, la question des effectifs de magistrats et greffiers étant totalement absente dans l’ensemble du questionnaire. En déchiffrant, ligne par ligne, cette recette mijotée pour empoisonner la justice pénale, la première réaction est de retourner le document à l’expéditeur en répondant simplement « Non » à toutes les questions.
Non, nous ne voulons pas d’une justice déshumanisée et automatisée. Non, nous ne voulons pas d’une justice qui n’est plus en mesure de protéger les libertés. Non, nous ne voulons pas d’une justice qui n’assure pas l’égalité des citoyens devant la loi. Il est en réalité illusoire de répondre lorsque le projet pour la justice pénale est tout entier contenu dans la teneur même des questions. Le Syndicat de la magistrature, qui a déjà rédigé des observations détaillées et complètes sur la réforme de la procédure pénale dans le cadre de la commission Mattei l’année dernière, ne se prêtera pas à cette pantalonnade, et réservera son analyse sur ce processus et les véritables besoins de la justice au Comité des états généraux, auprès duquel il a obtenu audience
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