Au rapport 2020 de la Cour de cassation sont commentés la plupart des
arrêts importants de la 3ème chambre civile rendus en droit de la
construction et de l’assurance construction.
Voici ces commentaires. Les arrêts sont eux-mêmes publiés sur ce blog. Vous
les retrouverez par le moteur de recherche
Assurance dommages – Assurance dommages-ouvrage – Désordres de nature
décennale – Prise en charge par le garant – Recours contre l’assureur
dommages-ouvrage – Prescription – Prescription biennale – Délai – Point de
départ – Détermination
3e Civ., 13 février 2020, pourvoi no 19-12.281, publié
au Bulletin, rapport de M. Nivose et avis de M. Burgaud
Le point de départ du délai de prescription biennale de l’action du garant
de livraison, subrogé dans les droits du maître de l’ouvrage, contre l’assureur
dommages-ouvrage, dans le cas de désordres survenus avant réception et de
liquidation judiciaire de l’entreprise, est la date de l’événement donnant
naissance à l’action, c’est-à-dire celle de l’ouverture de la procédure
collective, emportant résiliation du contrat de louage d’ouvrage.
L’arrêt commenté tranche une question inédite : quel est le point de départ
du délai de prescription biennale de l’action du garant de livraison, subrogé
dans les droits du maître de l’ouvrage, contre l’assureur dommages-ouvrage
quand la garantie de celui-ci est recherchée avant réception et que le
constructeur a été mis en liquidation judiciaire?
Deux solutions s’offraient à la troisième chambre civile de la Cour de
cassation :
– fixer le point de départ du délai biennal à la date à laquelle les
maîtres de l’ouvrage avaient eu connaissance des désordres;
– fixer ce point de départ à la date de l’ouverture de la liquidation
judiciaire de l’entreprise, emportant résiliation du contrat de louage
d’ouvrage.
Pour accueillir le pourvoi du garant et retenir la seconde solution, la
troisième chambre civile cite tout d’abord les deux textes applicables.
D’une part, l’article L. 114-1, alinéa 1, du code des assurances,
qui dispose que toutes actions dérivant d’un contrat d’assurance sont
prescrites par deux ans à compter de l’événement qui y donne naissance. 153 /
Arrêts rendus par les chambres Droit immobilier, environnement et
urbanisme
D’autre part, l’article L. 242-1 du même code, qui prévoit que
l’assurance de dommages-ouvrage prend effet, avant la réception, après mise en
demeure restée infructueuse, le contrat de louage d’ouvrage conclu avec
l’entrepreneur étant résilié pour inexécution, par celui-ci, de ses
obligations.
Pour les désordres survenus après réception, la jurisprudence décide que
l’assuré dispose d’un délai de deux ans à compter de la connaissance qu’il
a des désordres survenus dans les dix ans qui ont suivi la réception pour
réclamer l’exécution de la garantie souscrite (1re Civ., 4 mai 1999,
pourvoi no 97-13.198, Bull. 1999, I, no 141; 3e Civ.,
19 mai 2016, pourvoi no 15-16.688).
L’arrêt commenté souligne que cette doctrine n’est pas applicable avant
réception. En effet, dans cette hypothèse, l’événement à l’origine de la mise
en œuvre de la garantie n’est pas la survenance des désordres de nature
décennale, qui est une condition de la garantie, mais la défaillance de
l’entrepreneur qui manque à ses obligations en ne procédant pas à la reprise
des désordres, ce qui justifie la résiliation du marché. Cette défaillance
constitue l’événement qui donne naissance à l’action contre l’assureur
dommages-ouvrage au sens de l’article L. 114-1 du code des
assurances.
Un autre paramètre devait être pris en considération dans l’affaire ayant
donné lieu à l’arrêt commenté : le constructeur avait été mis en liquidation
judiciaire.
La troisième chambre civile rappelle que la Cour de cassation juge qu’il
peut être dérogé à l’obligation prévue par l’article L. 242-1 du code des
assurances de mettre en demeure l’entrepreneur défaillant, avant réception,
lorsque celle-ci s’avère impossible ou inutile en cas de cessation de
l’activité de l’entreprise (1re Civ., 23 juin 1998, pourvoi
no 95-19.340, Bull. 1998, I, no 222) ou de liquidation
judiciaire emportant résiliation de contrat de louage d’ouvrage (1re Civ.,
3 mars 1998, pourvoi no 95-10.293, Bull. 1998, I,
no 83).
Elle en déduit qu’avant réception, la date d’ouverture de la liquidation
judiciaire de l’entrepreneur emportant résiliation du contrat de louage d’ouvrage,
constitue l’événement donnant naissance à l’action du garant de livraison
subrogé dans les droits du maître de l’ouvrage contre l’assureur
dommages-ouvrage et, partant, le point de départ du délai de la prescription
biennale prévu par l’article L. 114-1 du code des assurances.
Commentaire au rapport 2020 de la Cour de cassation :
Architecte entrepreneur – Responsabilité – Responsabilité à l’égard du
vendeur – Responsabilité contractuelle de droit commun – Action en
responsabilité – Délai quinquennal – Interruption et suspension – Causes –
Assignation en référé – Bénéficiaire – Détermination – Portée
3e Civ., 19 mars 2020, pourvoi nº 19-13.459, publié au
Bulletin, rapport de M. Bech et avis de Mme Vassallo
En l’absence de réception de l’ouvrage, le délai de prescription de
l’action du maître de l’ouvrage en responsabilité contractuelle de droit commun
du constructeur est de cinq ans. L’instance en référé n’ayant pas été
introduite par le maître de l’ouvrage, l’interruption puis la suspension de
cette prescription ne lui profitent pas.
Le présent arrêt offre à la Cour de cassation l’occasion d’enrichir sa
jurisprudence sur les règles de prescription dans le domaine du droit de la
construction, après l’entrée en vigueur de la loi no 2008-561 du
17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.
L’article 1792-4-3 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi
précitée, dispose que, «en dehors des actions régies par les articles 1792-3,
1792-4-1 et 1792-4-2, les actions en responsabilité dirigées contre les
constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 et leurs sous-traitants se
prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux».
L’article 2224 du même code, dans sa version actuelle, prévoit que les
actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du
jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui
permettant de l’exercer.
Lorsque l’ouvrage a fait l’objet d’une réception, l’action du maître de
l’ouvrage en indemnisation de préjudices nés de désordres relevant de la
garantie décennale des constructeurs est soumise aux dispositions du premier
texte cité.
En l’absence de réception, la garantie décennale ne peut être invoquée et
le maître de l’ouvrage souhaitant agir contre un constructeur avec lequel il
était lié par un contrat doit rechercher sa responsabilité contractuelle de
droit commun.
En l’espèce, à la suite d’un engagement pris à l’égard de particuliers
auxquels elle avait acheté des terrains, une société avait confié à une
entreprise l’exécution de travaux de voirie et de création de réseaux dans la
propriété des vendeurs. Il n’était pas discuté que la société ayant commandé
les travaux agissait en qualité de maître de l’ouvrage. Se plaignant de
désordres et d’un retard dans la réalisation des travaux, les propriétaires du
terrain avaient assigné la société et l’entreprise en référé-expertise. Après
dépôt du rapport de l’expert, la société avait conclu avec eux une transaction
d’indemnisation et s’est ensuite retournée contre l’entreprise pour obtenir la
réparation de ses préjudices.
La cour d’appel saisie du litige a appliqué le délai quinquennal de
prescription à l’action du maître de l’ouvrage et en a fixé le point de départ
au jour où celui-ci avait connu les faits lui permettant d’exercer son action,
soit, selon elle, à la date de l’assignation en référé-expertise, la cour
ajoutant que cet acte avait interrompu le délai de prescription qui s’était
trouvé suspendu durant le temps des opérations d’expertise, de sorte que les
demandes du maître de l’ouvrage échappaient à la fin de non-recevoir tirée de
la prescription de l’action.
L’entreprise soutenait dans le premier moyen de son pourvoi que le délai de
prescription n’avait été ni interrompu ni suspendu par l’assignation en référé
dans la mesure où l’initiative de l’instance ainsi engagée avait été prise par
les propriétaires du terrain qui avaient sollicité l’organisation d’une
expertise. Le moyen était fondé, outre sur une méconnaissance du principe de la
contradiction, sur une violation des articles 2224, 2239 et 2241 du code civil.
Pour sa part, la société maître de l’ouvrage soutenait, entre autres
objections, que la critique du pourvoi était inopérante puisque, avant l’entrée
en vigueur de la loi no 2008-561 du 17 juin 2008 précitée, la
Cour de cassation avait fixé à dix ans à compter de la manifestation du dommage
le délai de prescription de l’action en responsabilité contractuelle de droit
commun du constructeur en l’absence de réception et que ce délai décennal avait
été maintenu par le législateur à l’article 1792-4-3 du code civil. Selon
la défenderesse au pourvoi, il y avait lieu de retenir le délai de
dix ans, de le faire courir à compter de la manifestation du dommage,
fixée par la cour d’appel à la date de l’assignation en référé, et de constater
qu’elle avait agi dans les dix ans suivant cette date.
Cet argument amenait, incidemment, la troisième chambre civile de la
Cour de cassation à envisager la question de la durée du délai de prescription
de l’action du maître de l’ouvrage dès lors que, selon la solution retenue, les
branches du moyen relatives aux effets interruptif et suspensif de
l’assignation en référé s’avéraient ou non inopérantes.
Les parties s’accordaient sur l’absence de réception des travaux litigieux.
Il s’agissait en conséquence de préciser le délai enfermant l’action du maître
de l’ouvrage fondée sur la responsabilité contractuelle de droit commun de
l’entreprise. Ce délai était-il celui, décennal, de l’article 1792-4-3 du
code civil, ou celui, quinquennal, de l’article 2224 du même code et de
l’article L. 110-4 du code de commerce que l’entreprise invoquait au
soutien de sa fin de non-recevoir tirée de la prescription?
Plusieurs auteurs estiment que l’article 1792-4-3 du code civil, en ce
qu’il suppose une réception de l’ouvrage, ne peut être invoqué lorsque celle-ci
fait défaut. Ils préconisent l’adoption du délai de cinq ans de
l’article 2224 du code civil.
D’un autre côté, il peut être observé que la troisième chambre civile
de la Cour de cassation avait manifesté, avant l’adoption du nouveau régime de
prescription, la volonté d’uniformiser les délais de prescription en matière de
construction. Ainsi avait-elle jugé, par un arrêt du 24 mai 2006
(3e Civ., 24 mai 2006, pourvoi no 04-19.716,
Bull. 2006, III, no 132), que l’action en responsabilité
contractuelle de droit commun du constructeur quant aux désordres révélés en
l’absence de réception se prescrivait par dix ans à compter de la manifestation
du dommage. Elle avait de la sorte réduit le délai de l’action contre le
constructeur, qui était initialement de trente ans.
Par l’arrêt ici commenté, la troisième chambre civile de la Cour de
cassation décide de soumettre le délai de l’action en responsabilité
contractuelle du maître de l’ouvrage contre un constructeur aux dispositions de
l’article 2224 du code civil et de le faire partir de la date à laquelle
le maître de l’ouvrage a connu les faits lui permettant d’exercer son action.
La troisième chambre
civile écarte, par là même, l’application de l’article 1792-4-3 du code
civil et ne transpose pas le délai décennal, même en en aménageant les
modalités, à la situation dans laquelle aucune réception n’est intervenue. Elle
complète ainsi sa jurisprudence sur les délais de prescription des différentes
actions envisageables dans le domaine du droit de la construction. Par deux
arrêts du 16 janvier 2020 également publiés au Rapport annuel de la
Cour de cassation (3e Civ., 16 janvier 2020, pourvoi
no 18-25.915, publié au Bulletin ; 3e Civ.,
16 janvier 2020, pourvoi no 18-21.895, publié au Bulletin), elle
a jugé, dans un cas, que le recours d’un constructeur contre un autre
constructeur ou son sous-traitant relève des dispositions de
l’article 2224 du code civil et, dans l’autre, que l’action fondée sur
l’article 2270-2, devenu 1792-4-2, du code civil est réservée au maître de
l’ouvrage et n’est pas ouverte à un tiers à l’opération de construire.
Architecte entrepreneur – Responsabilité –
Responsabilité à l’égard du maître de l’ouvrage – Garantie décennale – Domaine
d’application – Élément d’équipement ou construction d’un ouvrage –
Caractérisation – Exclusion – Cas – Enduit de façade non destiné à
fonctionner
3e Civ., 13 février 2020, pourvoi
nº 19-10.249, publié au Bulletin, rapport de M. Pronier et avis de
M. Burgaud
Un enduit de façade, qui constitue un ouvrage
lorsqu’il a une fonction d’étanchéité, ne constitue pas un élément
d’équipement, même s’il a une fonction d’imperméabilisation, dès lors qu’il
n’est pas destiné à fonctionner.
Procédant à un revirement de jurisprudence, la Cour de
cassation a retenu, par trois arrêts successifs, publiés au Rapport annuel, que
les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non,
d’origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale
lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination
(3e Civ., 15 juin 2017, pourvoi no 16-19.640, Bull. 2017,
III, no 71; 3e Civ., 14 septembre 2017, pourvoi
no 16-17.323, Bull. 2017, III, no 100; 3e Civ.,
26 octobre 2017, pourvoi no 16-18.120, Bull. 2017, III,
no 119).
Restait à définir la notion d’élément
d’équipement.
C’est à cette question que le présent arrêt répond, à
propos d’un enduit de façade, par un double apport doctrinal :
En premier lieu, la Cour de cassation rappelle, en le
confirmant, qu’en application de l’article 1792 du code civil, un enduit
de façade constitue un ouvrage lorsqu’il a une fonction d’étanchéité
(3e Civ., 4 avril 2013, pourvoi no 11-25.198,
Bull. 2013, III, no 45).
En second lieu, la Cour de cassation énonce
qu’un enduit de façade ne constitue pas un élément d’équipement, même s’il a
une fonction d’imperméabilisation, dès lors qu’il n’est pas destiné à
fonctionner.
Il s’ensuit que des travaux, autres que la
construction de l’ouvrage et les éléments d’équipement qui en sont
indissociables, ne constituent un élément d’équipement dissociable, au sens de
l’article 1792-3 du code civil, que s’ils fonctionnent, ce qui n’est pas
le 158 LIVRE 3 / Jurisprudence de la Cour cas des moquettes et tissus (3e
Civ., 30 novembre 2011, pourvoi no 09-70.345,
Bull. 2011, III, no 202), de dallages (3e Civ., 13 février 2013,
pourvoi no 12-12.016, Bull. 2013, III, no 20) ou d’un carrelage
(3e Civ., 11 septembre 2013, pourvoi no 12-19.483,
Bull. 2013, III, no 103).
Cette solution s’explique par la garantie de bon
fonctionnement applicable aux éléments d’équipement dissociables instituée par
l’article 1792-3 du code civil.
La Cour de cassation en déduit que la solution, née du
revirement de jurisprudence, n’est pas applicable à un enduit de façade, dès
lors qu’il n’est pas destiné à fonctionner. Sur ce point, la Cour reprend la
distinction déjà faite entre la fonction d’étanchéité et la fonction
d’imperméabilisation (3e Civ., 9 février 2000, pourvoi
no 98-13.931, Bull. 2000, III, no 27).
Cette solution sera étendue à tous les éléments
d’équipement dissociables qui ne fonctionnent pas.
Enfin, il est permis de souligner que la nouvelle
rédaction des arrêts en style direct permet d’en mieux présenter l’apport
doctrinal.
Architecte entrepreneur – Responsabilité – Responsabilité à l’égard du
vendeur – Responsabilité contractuelle de droit commun – Action en
responsabilité – Délai quinquennal – Interruption et suspension – Causes –
Assignation en référé – Bénéficiaire – Détermination – Portée
3e Civ., 19 mars 2020, pourvoi nº 19-13.459, publié au
Bulletin, rapport de M. Bech et avis de Mme Vassallo
En l’absence de réception de l’ouvrage, le délai de prescription de
l’action du maître de l’ouvrage en responsabilité contractuelle de droit commun
du constructeur est de cinq ans. L’instance en référé n’ayant pas été
introduite par le maître de l’ouvrage, l’interruption puis la suspension de
cette prescription ne lui profitent pas.
Le présent arrêt offre à la Cour de cassation l’occasion d’enrichir sa
jurisprudence sur les règles de prescription dans le domaine du droit de la
construction, après l’entrée en vigueur de la loi no 2008-561 du
17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.
L’article 1792-4-3 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi
précitée, dispose que, «en dehors des actions régies par les articles 1792-3,
1792-4-1 et 1792-4-2, les actions en responsabilité dirigées contre les
constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 et leurs sous-traitants se
prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux».
L’article 2224 du même code, dans sa version actuelle, prévoit que les
actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du
jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui
permettant de l’exercer.
Lorsque l’ouvrage a fait l’objet d’une réception, l’action du maître de
l’ouvrage en indemnisation de préjudices nés de désordres relevant de la
garantie décennale des constructeurs est soumise aux dispositions du premier
texte cité.
En l’absence de réception, la garantie décennale ne peut être invoquée et
le maître de l’ouvrage souhaitant agir contre un constructeur avec lequel il
était lié par un contrat doit rechercher sa responsabilité contractuelle de
droit commun.
En l’espèce, à la suite d’un engagement pris à l’égard de particuliers
auxquels elle avait acheté des terrains, une société avait confié à une
entreprise l’exécution de travaux de voirie et de création de réseaux dans la
propriété des vendeurs. Il n’était pas discuté que la société ayant commandé
les travaux agissait en qualité de maître de l’ouvrage. Se plaignant de
désordres et d’un retard dans la réalisation des travaux, les propriétaires du
terrain avaient assigné la société et l’entreprise en référé-expertise. Après
dépôt du rapport de l’expert, la société avait conclu avec eux une transaction
d’indemnisation et s’est ensuite retournée contre l’entreprise pour obtenir la
réparation de ses préjudices.
La cour d’appel saisie du litige a appliqué le délai quinquennal de
prescription à l’action du maître de l’ouvrage et en a fixé le point de départ
au jour où celui-ci avait connu les faits lui permettant d’exercer son action,
soit, selon elle, à la date de l’assignation en référé-expertise, la cour
ajoutant que cet acte avait interrompu le délai de prescription qui s’était
trouvé suspendu durant le temps des opérations d’expertise, de sorte que les
demandes du maître de l’ouvrage échappaient à la fin de non-recevoir tirée de
la prescription de l’action.
L’entreprise soutenait dans le premier moyen de son pourvoi que le délai de
prescription n’avait été ni interrompu ni suspendu par l’assignation en référé
dans la mesure où l’initiative de l’instance ainsi engagée avait été prise par
les propriétaires du terrain qui avaient sollicité l’organisation d’une
expertise. Le moyen était fondé, outre sur une méconnaissance du principe de la
contradiction, sur une violation des articles 2224, 2239 et 2241 du code civil.
Pour sa part, la société maître de l’ouvrage soutenait, entre autres
objections, que la critique du pourvoi était inopérante puisque, avant l’entrée
en vigueur de la loi no 2008-561 du 17 juin 2008 précitée, la
Cour de cassation avait fixé à dix ans à compter de la manifestation du dommage
le délai de prescription de l’action en responsabilité contractuelle de droit
commun du constructeur en l’absence de réception et que ce délai décennal avait
été maintenu par le législateur à l’article 1792-4-3 du code civil. Selon
la défenderesse au pourvoi, il y avait lieu de retenir le délai de
dix ans, de le faire courir à compter de la manifestation du dommage,
fixée par la cour d’appel à la date de l’assignation en référé, et de constater
qu’elle avait agi dans les dix ans suivant cette date.
Cet argument amenait, incidemment, la troisième chambre civile de la
Cour de cassation à envisager la question de la durée du délai de prescription
de l’action du maître de l’ouvrage dès lors que, selon la solution retenue, les
branches du moyen relatives aux effets interruptif et suspensif de
l’assignation en référé s’avéraient ou non inopérantes.
Les parties s’accordaient sur l’absence de réception des travaux litigieux.
Il s’agissait en conséquence de préciser le délai enfermant l’action du maître
de l’ouvrage fondée sur la responsabilité contractuelle de droit commun de
l’entreprise. Ce délai était-il celui, décennal, de l’article 1792-4-3 du
code civil, ou celui, quinquennal, de l’article 2224 du même code et de
l’article L. 110-4 du code de commerce que l’entreprise invoquait au
soutien de sa fin de non-recevoir tirée de la prescription?
Plusieurs auteurs estiment que l’article 1792-4-3 du code civil, en ce
qu’il suppose une réception de l’ouvrage, ne peut être invoqué lorsque celle-ci
fait défaut. Ils préconisent l’adoption du délai de cinq ans de
l’article 2224 du code civil.
D’un autre côté, il peut être observé que la troisième chambre civile
de la Cour de cassation avait manifesté, avant l’adoption du nouveau régime de
prescription, la volonté d’uniformiser les délais de prescription en matière de
construction. Ainsi avait-elle jugé, par un arrêt du 24 mai 2006
(3e Civ., 24 mai 2006, pourvoi no 04-19.716,
Bull. 2006, III, no 132), que l’action en responsabilité
contractuelle de droit commun du constructeur quant aux désordres révélés en
l’absence de réception se prescrivait par dix ans à compter de la manifestation
du dommage. Elle avait de la sorte réduit le délai de l’action contre le
constructeur, qui était initialement de trente ans.
Par l’arrêt ici commenté, la troisième chambre civile de la Cour de
cassation décide de soumettre le délai de l’action en responsabilité
contractuelle du maître de l’ouvrage contre un constructeur aux dispositions de
l’article 2224 du code civil et de le faire partir de la date à laquelle
le maître de l’ouvrage a connu les faits lui permettant d’exercer son action.
La troisième chambre civile écarte, par là même, l’application de
l’article 1792-4-3 du code civil et ne transpose pas le délai décennal,
même en en aménageant les modalités, à la situation dans laquelle aucune
réception n’est intervenue. Elle complète ainsi sa jurisprudence sur les délais
de prescription des différentes actions envisageables dans le domaine du droit
de la construction. Par deux arrêts du 16 janvier 2020 également
publiés au Rapport annuel de la Cour de cassation (3e Civ.,
16 janvier 2020, pourvoi no 18-25.915, publié au Bulletin ;
3e Civ., 16 janvier 2020, pourvoi no 18-21.895, publié au
Bulletin), elle a jugé, dans un cas, que le recours d’un constructeur contre un
autre constructeur ou son sous-traitant relève des dispositions de
l’article 2224 du code civil et, dans l’autre, que l’action fondée sur
l’article 2270-2, devenu 1792-4-2, du code civil est réservée au maître de
l’ouvrage et n’est pas ouverte à un tiers à l’opération de construire.
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