Cour de cassation - Chambre civile 1
- N° de pourvoi : 20-16.316
- ECLI:FR:CCASS:2022:C100337
- Publié au bulletin
- Solution : Cassation partielle
Audience publique du mercredi 20 avril 2022
Décision attaquée : Cour d'appel de Lyon, du 20 février 2020Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
SG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 20 avril 2022
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 337 FS+B
Pourvoi n° Y 20-16.316
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 20 AVRIL 2022
M. [H] [T], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Y 20-16.316 contre l'arrêt rendu le 20 février 2020 par la cour d'appel de Lyon (1re chambre civile A), dans le litige l'opposant à la société Jyske Bank, dont le siège est [Adresse 2] (Danemark), défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Serrier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de M. [T], de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de la société Jyske Bank, et l'avis de MM. Chaumont et Lavigne, avocats généraux, après débats en l'audience publique du 8 mars 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Serrier, conseiller référendaire rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, MM. Hascher, Avel, et Bruyère, Mme Guihal, conseillers, M. Vitse, Mmes Kloda, Champ et Robin-Raschel, conseillers référendaires, M. Chaumont, avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 20 février 2020), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 10 avril 2019, pourvoi n° 17-20.722), suivant offre acceptée le 7 janvier 2008, la société Jyske Bank A/S (la banque) a consenti à M. [T] (l'emprunteur) un prêt multi-devises de 1 500 000 euros ou « l'équivalent, à la date de tirage du prêt, dans l'une des principales devises européennes, dollars américains ou yens japonais ». Le prêt a été tiré pour un montant de 2 389 500 francs suisses. Le 9 août 2011, la banque a procédé à la conversion du prêt en euros.
2. Invoquant l'irrégularité d'une telle conversion et le manquement de la banque à ses obligations d'information et de mise en garde, l'emprunteur l'a assignée en annulation de la conversion, en déchéance du droit aux intérêts pour l'avenir et en paiement de dommages-intérêts.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
3. L'emprunteur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande afin que soit réputée non écrite la clause de monnaie étrangère, confirmer le jugement en ce qu'il a dit que l'obligation de remboursement du prêt litigieux a été souscrite en francs suisses et dit que les échéances doivent être calculées et remboursées en francs suisses conformément aux stipulations de l'offre et du contrat de prêt, le condamner à payer à la banque la somme de 220 223,94 francs suisses, ou sa contre-valeur en euros, au titre des intérêts impayés arrêtés au 10 janvier 2020 et rejeter sa demande en paiement de dommages et intérêts, alors « que dans les contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que l'appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l'objet principal du contrat, pour autant qu'elles soient rédigées de façon claire et compréhensible ; qu'en affirmant que le fait que l'emprunteur supporte le risque de variation du taux de change ne crée pas un déséquilibre entre les droits et obligations respectifs des parties pour la raison que la variation du taux de change ne dépend pas de leurs volontés et en particulier de celle de la banque, quand il lui appartenait de rechercher si la clause de monnaie de compte, analysée comme une clause d'indexation, ne faisait pas peser le risque de change exclusivement sur l'emprunteur, la cour d'appel, qui a statué par une considération inopérante, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-1, devenu L. 212-1 du code de la consommation. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 132-1 du code la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :
4. Selon ce texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. L'appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l'objet principal du contrat, pour autant qu'elles soient rédigées de façon claire et compréhensible.
5. Il incombe au juge national d'examiner d'office si, au regard des critères posés par les décisions de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), les clauses insérées dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs ne revêtent pas un caractère abusif.
6. Par arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19) la CJUE a dit pour droit que :
- l'article 4, § 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d'un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l'exigence de transparence des clauses de ce contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l'emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat ;
- l'article 3, § 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que les clauses d'un contrat de prêt qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change, sans qu'il soit plafonné, sur l'emprunteur, sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s'attendre, en respectant l'exigence de transparence à l'égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d'une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses.
7. Pour dire que la clause de monnaie étrangère ne crée aucun déséquilibre significatif au détriment de l'emprunteur, l'arrêt retient que le fait que celui-ci supporte le risque de variation du taux de change, qui ne dépend pas de la volonté des parties, et en particulier de celle de la banque, ne crée pas un déséquilibre entre leurs droits et obligations respectifs et que l'emprunteur était maître du choix de la devise dans laquelle le prêt était tiré, ce dont il résulte que la banque n'a nullement imposé à l'emprunteur une devise à son détriment.
8. En statuant ainsi, après avoir retenu que les documents remis au consommateur ne lui permettaient pas d'évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, de la clause, autorisant le tirage du prêt dans une autre devise, sur ses obligations financières, en l'absence de tout exemple chiffré, de toute simulation et de toute explication sur la distinction entre la monnaie de compte et la devise initiale, ce dont il résultait que la banque n'avait pas satisfait à l'exigence de transparence à l'égard du consommateur, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevable la demande de M. [T] afin que soit réputée non écrite la clause de monnaie étrangère, l'arrêt rendu le 20 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée ;
Condamne la société Jyske Bank A/S aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
CIV. 1
SG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 20 avril 2022
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 337 FS+B
Pourvoi n° Y 20-16.316
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 20 AVRIL 2022
M. [H] [T], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Y 20-16.316 contre l'arrêt rendu le 20 février 2020 par la cour d'appel de Lyon (1re chambre civile A), dans le litige l'opposant à la société Jyske Bank, dont le siège est [Adresse 2] (Danemark), défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Serrier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de M. [T], de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de la société Jyske Bank, et l'avis de MM. Chaumont et Lavigne, avocats généraux, après débats en l'audience publique du 8 mars 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Serrier, conseiller référendaire rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, MM. Hascher, Avel, et Bruyère, Mme Guihal, conseillers, M. Vitse, Mmes Kloda, Champ et Robin-Raschel, conseillers référendaires, M. Chaumont, avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 20 février 2020), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 10 avril 2019, pourvoi n° 17-20.722), suivant offre acceptée le 7 janvier 2008, la société Jyske Bank A/S (la banque) a consenti à M. [T] (l'emprunteur) un prêt multi-devises de 1 500 000 euros ou « l'équivalent, à la date de tirage du prêt, dans l'une des principales devises européennes, dollars américains ou yens japonais ». Le prêt a été tiré pour un montant de 2 389 500 francs suisses. Le 9 août 2011, la banque a procédé à la conversion du prêt en euros.
2. Invoquant l'irrégularité d'une telle conversion et le manquement de la banque à ses obligations d'information et de mise en garde, l'emprunteur l'a assignée en annulation de la conversion, en déchéance du droit aux intérêts pour l'avenir et en paiement de dommages-intérêts.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
3. L'emprunteur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande afin que soit réputée non écrite la clause de monnaie étrangère, confirmer le jugement en ce qu'il a dit que l'obligation de remboursement du prêt litigieux a été souscrite en francs suisses et dit que les échéances doivent être calculées et remboursées en francs suisses conformément aux stipulations de l'offre et du contrat de prêt, le condamner à payer à la banque la somme de 220 223,94 francs suisses, ou sa contre-valeur en euros, au titre des intérêts impayés arrêtés au 10 janvier 2020 et rejeter sa demande en paiement de dommages et intérêts, alors « que dans les contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que l'appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l'objet principal du contrat, pour autant qu'elles soient rédigées de façon claire et compréhensible ; qu'en affirmant que le fait que l'emprunteur supporte le risque de variation du taux de change ne crée pas un déséquilibre entre les droits et obligations respectifs des parties pour la raison que la variation du taux de change ne dépend pas de leurs volontés et en particulier de celle de la banque, quand il lui appartenait de rechercher si la clause de monnaie de compte, analysée comme une clause d'indexation, ne faisait pas peser le risque de change exclusivement sur l'emprunteur, la cour d'appel, qui a statué par une considération inopérante, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-1, devenu L. 212-1 du code de la consommation. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 132-1 du code la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :
4. Selon ce texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. L'appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l'objet principal du contrat, pour autant qu'elles soient rédigées de façon claire et compréhensible.
5. Il incombe au juge national d'examiner d'office si, au regard des critères posés par les décisions de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), les clauses insérées dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs ne revêtent pas un caractère abusif.
6. Par arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19) la CJUE a dit pour droit que :
- l'article 4, § 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d'un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l'exigence de transparence des clauses de ce contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l'emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat ;
- l'article 3, § 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que les clauses d'un contrat de prêt qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change, sans qu'il soit plafonné, sur l'emprunteur, sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s'attendre, en respectant l'exigence de transparence à l'égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d'une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses.
7. Pour dire que la clause de monnaie étrangère ne crée aucun déséquilibre significatif au détriment de l'emprunteur, l'arrêt retient que le fait que celui-ci supporte le risque de variation du taux de change, qui ne dépend pas de la volonté des parties, et en particulier de celle de la banque, ne crée pas un déséquilibre entre leurs droits et obligations respectifs et que l'emprunteur était maître du choix de la devise dans laquelle le prêt était tiré, ce dont il résulte que la banque n'a nullement imposé à l'emprunteur une devise à son détriment.
8. En statuant ainsi, après avoir retenu que les documents remis au consommateur ne lui permettaient pas d'évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, de la clause, autorisant le tirage du prêt dans une autre devise, sur ses obligations financières, en l'absence de tout exemple chiffré, de toute simulation et de toute explication sur la distinction entre la monnaie de compte et la devise initiale, ce dont il résultait que la banque n'avait pas satisfait à l'exigence de transparence à l'égard du consommateur, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevable la demande de M. [T] afin que soit réputée non écrite la clause de monnaie étrangère, l'arrêt rendu le 20 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée ;
Condamne la société Jyske Bank A/S aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
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