vendredi 1 avril 2022

Les acquéreurs ne justifiaient d'aucun préjudice résultant de la faute de l'agent immobilier.

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

CH.B



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 mars 2022




Cassation partielle sans renvoi


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 237 F-D

Pourvoi n° R 20-20.334




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 16 MARS 2022

1°/ M. [D] [J],

2°/ Mme [W] [Z], épouse [J],

domiciliés tous deux [Adresse 1],

ont formé le pourvoi n° R 20-20.334 contre l'arrêt rendu le 15 juillet 2020 par la cour d'appel de Grenoble (1re chambre civile), dans le litige les opposant à la société Etude Lodel, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Le Gall, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de M. et Mme [J], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Etude Lodel, et l'avis de Mme Mallet-Bricout, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 janvier 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Le Gall, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 15 juillet 2020), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 9 mai 2019, pourvoi n° 18-17.944), en vertu d'un mandat de vente exclusif, la société Etude Lodel (l'agent immobilier) a négocié et rédigé, moyennant une commission de 30 000 euros à la charge de l'acquéreur, un « compromis de vente ferme » en exécution duquel M. et Mme [J] (les acquéreurs) ont acquis, sous diverses conditions suspensives, une villa, avec réserve d'un droit d'usage et d'habitation partiel et viager au profit du vendeur, moyennant le prix de 450 000 euros sur lequel ils ont versé un acompte dont l'agent immobilier a été institué séquestre.

2. Le terrain s'étant révélé d'une surface inférieure à celle annoncée et frappé d'une servitude conventionnelle non aedificandi, les acquéreurs, invoquant des manquements de l'agent immobilier à ses obligations d'efficacité, d'information et de conseil, ont, après réitération de la vente en la forme authentique, refusé de lui payer la commission convenue.

3. Assignés en paiement par l'agent immobilier, ils ont sollicité, à titre reconventionnel, la réduction de cette commission, la restitution de l'acompte conservé par l'agent immobilier et l'allocation de dommages-intérêts.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. Les acquéreurs font grief à l'arrêt de rejeter leur demande de dommages-intérêts et de les condamner à payer à l'agent immobilier la somme de 30 000 euros au titre de sa rémunération, alors :

« 1°/ que la promesse de vente vaut vente, lorsqu'il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix ; que, par suite, c'est à la date d'une telle promesse que s'apprécie la connaissance par l'acquéreur d'un fait l'ayant déterminé à s'engager ; qu'en l'espèce, pour affirmer que le projet de construction d'une seconde villa avancé par M. et Mme [J], acquéreurs du bien immobilier en cause, n'était nullement un élément déterminant de l'opération et qu'ils ne justifiaient donc d'aucun préjudice en lien avec le défaut d'information imputable à l'agent immobilier, la société Etude Lodel, concernant l'existence d'une servitude non aedificandi grevant ce bien, la cour d'appel a énoncé que « le 7 janvier 2011 – ou les jours précédents – », les acquéreurs ont été informés par le notaire de l'existence de cette servitude, que dans les jours qui ont suivi, ils ont fait preuve d'un grand empressement en vue de la réalisation de la vente et qu'ils ont persisté dans leur volonté de vite conclure l'affaire, ce qui a été fait, par acte authentique du 1er février 2011, en toute connaissance de cause puisqu'ils étaient informés de l'existence de la servitude ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'il était acquis aux débats que le 29 novembre 2010, un « compromis de vente ferme » portant sur ce bien avait été signé par l'intermédiaire de l'agent immobilier entre [Y] [P] et les acquéreurs, moyennant un prix convenu, de sorte que c'est à cette date que devait s'apprécier la connaissance par les acquéreurs de l'existence de la servitude en cause, la cour d'appel a violé les articles 1382 devenu 1240, 1583 et 1999 du code civil, ensemble l'article 6, I, de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 ;

2°/ que la juridiction de renvoi est saisie de l'affaire en fait et en droit, à l'exclusion des chefs non atteints par la cassation, lesquels sont dotés de l'autorité irrévocable de chose jugée ; que par jugement du 28 novembre 2013, confirmé de ces chefs par arrêt de la cour d'appel de Lyon du 3 avril 2018, le tribunal de grande instance de Grasse a constaté que l'agent immobilier a manqué à ses obligations en donnant des renseignements incomplets et dit qu'elle ne peut de ce fait prétendre au paiement de l'intégralité de sa commission ; que ces dispositions n'ont pas été atteinte par la cassation prononcée par arrêt de la Cour de cassation du 9 mai 2019 ; qu'en condamnant néanmoins les acquéreurs à payer à l'agent immobilier l'intégralité de la commission due au titre de la vente en cause, la cour d'appel a méconnu l'autorité de la chose jugée et violé l'article 1351 devenu 1355 du code civil et l'article 638 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. Après avoir exactement énoncé que la réduction de la rémunération de l'agent immobilier, qui a une dimension réparatrice, doit être appréciée au regard du préjudice réellement subi par celui qui invoque la faute, la cour d'appel a, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation et sans méconnaître l'autorité de la chose jugée, estimé que les acquéreurs, qui, après avoir été informés de l'existence de la servitude non aedificandi, avaient poursuivi la vente avec empressement, ne justifiaient d'aucun préjudice résultant de la faute de l'agent immobilier.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

7. Les acquéreurs font grief à l'arrêt de les condamner à payer à l'agent immobilier la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral, alors « qu'en cas de renvoi après cassation, l'affaire est fixée à bref délai dans les conditions de l'article 905 du code de procédure civile et les conclusions de l'auteur de la déclaration de saisine sont remises au greffe et notifiées dans un délai de deux mois suivant cette déclaration ; qu'à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, l'auteur de la déclaration de saisine doit présenter, dès ses premières conclusions devant la cour d'appel de renvoi, l'ensemble de ses prétentions sur le fond ; qu'en l'espèce, il ressort de la procédure que l'agent immobilier a saisi la cour d'appel de Grenoble, désignée comme juridiction de renvoi après cassation, le 12 juillet 2019, et que dans ses premières conclusions d'appel signifiées le 12 septembre 2019, elle n'a formulé aucune demande de dommages-intérêts contre les acquéreurs ; qu'en ne déclarant pas, au besoin d'office, irrecevables les demandes de dommages-intérêts de la l'agent immobilier qu'elles n'avaient pas formulées dès ses premières conclusions au fond, la cour d'appel a violé les articles 910-4 et 1037-1 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 910-4 du code de procédure civile :

8. Selon ce texte, à peine d'irrecevabilité, les parties doivent présenter, dès les premières conclusions, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond.

9. Pour déclarer recevable et fondée la demande de dommages-intérêts de l'agent immobilier au titre de son préjudice moral, l'arrêt retient que celle-ci est recevable en application de l'article 564 du code de procédure civile dès lors qu'elle porte sur une question née de la survenance ou la révélation d'un fait, en l'espèce l'échec des procédures pénales par le non-lieu partiel ordonné le 3 août 2016 et la relaxe prononcée le 21 juin 2017.

10. En statuant ainsi, alors que l'agent immobilier n'avait pas formé cette prétention dès ses premières conclusions déposées devant elle le 12 septembre 2019, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

11. Tel que suggéré par le mémoire ampliatif, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

12. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le troisième moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. et Mme [J] à payer à la société Etude Lodel la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral, l'arrêt rendu le 15 juillet 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Déclare irrecevable la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral formée par la société Etude Lodel ;

Condamne la société Etude Lodel aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

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