mardi 11 juillet 2023

Décompte définitif - pénalités de retard : compensation avec solde ?

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 6 juillet 2023




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 532 FS-B

Pourvoi n° R 21-25.214







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 JUILLET 2023

1°/ la société GRB, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 7],

2°/ la société B1 associés, administrateur, en la personne de M. [G] [S], domicilié [Adresse 4], en qualité d'administrateur de la société GRB ,

2°/ la société [K], dont le siège est [Adresse 5], prise en la personne de M. [B] [K], agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société GRB,

ont formé le pourvoi n° R 21-25.214 contre l'arrêt rendu le 29 septembre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 5), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [J] [E], domicilié [Adresse 2], 2°/ à la société [E] Carozzino architectes, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 6], aux droits de laquelle vient la société Punto architectes,

3°/ à M. [O] [T],

4°/ à Mme [P] [M], épouse [T],

domiciliés tous deux [Adresse 3],

5°/ à la société Losoa, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

M. et Mme [T] et la SCI Losoa ont formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident éventuel.

Les demanderesses au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen de cassation.

Les demandeurs au pourvoi incident éventuel invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société GRB, de la société Selas B1 et associés et de la société [K], ès qualités, de Me Balat, avocat de M. et Mme [T] et de la société Losoa, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [E] et de la société [E] Carozzino architectes, et l'avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 31 mai 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, Mmes Farrenq-Nési, Abgrall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, Rat, conseillers référendaires, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 septembre 2021), statuant sur renvoi après cassation (3e Civ., 20 avril 2017, pourvoi n° 16-12.092, Bull. 2017, III, n° 50) M. et Mme [T] ont confié à la société GRB, désormais en redressement judiciaire, des travaux de réfection d'une maison, sous la maîtrise d'oeuvre de la société [E] Carozzino architectes (la société [E]), aux droits de laquelle vient la société Punto architectes.

2. La réception est intervenue le 1er avril 2010 avec réserves.

3. Le 5 mai 2010, la société GRB a adressé son mémoire définitif à la société [E] puis a mis en demeure, le 15 juillet suivant, les maîtres de l'ouvrage de lui notifier le décompte général définitif.

4. Par lettre du 21 juillet 2010, le maître d'oeuvre a adressé à la société GRB un décompte général définitif, déduction faite notamment de pénalités de retard et du montant du marché portant sur les pierres intérieures et extérieures.

5. La société GRB a assigné M. et Mme [T] en paiement du solde du marché.

Examen des moyens

Sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

6. La société GRB et les sociétés B1 et associés et [K] prises respectivement en leur qualité d'administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire de la société GRB, font grief à l'arrêt de limiter à une certaine somme la condamnation à paiement prononcée contre M. et Mme [T] au titre du solde du marché, alors « que le maître de l'ouvrage qui ne conteste pas le mémoire définitif dans les délais prévus par la norme Afnor NF P 03 001 applicable à un marché de travaux, est réputé l'avoir accepté ; que la cour d'appel a constaté que dans son mémoire définitif, la société GRB avait établi à 376 092,99 euros, soit 396 778 euros TTC, le montant du marché, soit un solde restant dû s'élevant à 137 087,39 euros ; qu'elle a ajouté que M. et Mme [T] s'étant abstenus de répondre à ce mémoire dans le délai qui leur était imparti, étaient réputés avoir accepté ce montant ; qu'en appliquant néanmoins au montant du mémoire des déductions au titre de pénalités de retard et au titre de la reprise de malfaçons, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations dont il résultait que le solde du marché réclamé dans le mémoire du 4 mai 2010 était définitif et a violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable ensemble les articles 19.6.1 et 19.6.2 de la norme Afnor NF P 03- 001. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

7. Selon ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ce qui les ont faites.

8. Il en résulte, lorsque les parties sont convenues d'une procédure contractuelle de vérification des comptes conforme à la norme Afnor NF P 03- 001, que le maître de l'ouvrage, qui ne conteste pas le mémoire définitif de l'entreprise dans les délais prévus par la procédure de clôture des comptes organisée par cette norme, est réputé l'avoir accepté et ne peut, passé ces délais, former de réclamation au titre des pénalités de retard ou du coût de reprise d'un désordre réservé à la réception.

9. Pour limiter à une certaine somme la condamnation de M. et Mme [T] au titre du solde du marché, l'arrêt déduit, par compensation entre créances réciproques, du solde restant dû, tel que résultant du mémoire définitif de l'entreprise, une somme au titre des pénalités de retard et le coût de reprise d'un désordre réservé à la réception.

10. En statuant ainsi, après avoir retenu que les maîtres de l'ouvrage, qui n'avaient pas formulé de contestation dans les délais prévus par la procédure de vérification des comptes, étaient réputés avoir accepté le mémoire définitif de l'entreprise, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.

Et sur le moyen du pourvoi incident éventuel

Enoncé du moyen

11. M. et Mme [T] et la SCI font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes dirigées contre la société [E], aux droits de laquelle vient la société Punto architectes, alors « que la cassation qui pourrait éventuellement intervenir sur le pourvoi principal, qui critique la condamnation de l'entrepreneur à payer au maître de l'ouvrage des pénalités de retard, s'étendra nécessairement par voie de conséquence et par application des dispositions de l'article 624 du code de procédure civile, au chef de dispositif de l'arrêt attaqué qui, par confirmation du jugement, déboute le maître de l'ouvrage de sa demande indemnitaire dirigée contre l'architecte au motif que son préjudice se trouvait réparé notamment par les pénalités contractuelles de retard. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

12. Aux termes de ce texte, la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce. Elle s'étend également à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.

13. Pour rejeter l'appel en garantie formé par M. et Mme [T] à l'encontre de la société [E], l'arrêt retient que les retards dans l'exécution des travaux sont d'ores et déjà réparés par l'octroi de dommages-intérêts représentant les pénalités de retard.

14. Il en ressort que la cassation du chef de dispositif limitant à une certaine somme la condamnation prononcée contre M. et Mme [T] au titre du solde du marché de la société GRB, en ce que des pénalités de retard ont été déduites du solde réclamé par celle-ci dans son mémoire définitif, entraîne, par voie de conséquence, la cassation du chef de dispositif rejetant l'appel en garantie formé par les maîtres de l'ouvrage à l'encontre de la société [E], maître d'oeuvre, au titre des pénalités de retard, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite à la somme de 80 934,39 euros, la condamnation prononcée in solidum contre M. et Mme [T] au bénéfice de la société GRB et en ce qu'il rejette l'appel en garantie de M. et Mme [T] à l'encontre de la société [E] Carozzino architectes, aux droits de laquelle vient la société Punto architectes, au titre des pénalités de retard, l'arrêt rendu le 29 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Dit que la société [E] Carozzino architectes, aux droits de laquelle vient la société Punto architectes, supportera les dépens du pourvoi incident éventuel de M. et Mme [T] et condamne ceux-ci aux autres dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

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