Cour de cassation - Chambre civile 3
- N° de pourvoi : 22-24.223
- ECLI:FR:CCASS:2024:C300148
- Non publié au bulletin
- Solution : Cassation
Audience publique du jeudi 14 mars 2024
Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, du 19 octobre 2022- Président
- Mme Teiller (président)
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 14 mars 2024
Cassation
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 148 FS-D
Pourvoi n° J 22-24.223
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 MARS 2024
La Ville de [Localité 3], représentée par son maire en exercice, domicilié en cette qualité en l'Hôtel de ville, direction des affaires juridiques, [Adresse 2], a formé le pourvoi n° J 22-24.223 contre l'arrêt rendu le 19 octobre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 3), dans le litige l'opposant à la société Victoria Cross, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Pons, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la Ville de [Localité 3], de la SCP Zribi et Texier, avocat de la société Victoria Cross, et l'avis de Mme Morel-Coujard, avocat général, après débats en l'audience publique du 30 janvier 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Pons, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, MM. David, Bosse-Platière, Brillet, Mmes Grandjean, Grall, Proust, Pic, conseillers, Mmes Schmitt, Aldigé, Gallet, Davoine, MM. Baraké, Choquet, conseillers référendaires, Mme Morel-Coujard, avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 octobre 2022, RG n° 22/07668), la Ville de [Localité 3] (la bailleresse), propriétaire d'un ensemble immobilier abritant le Théâtre du Châtelet, a donné à bail commercial à la société Victoria Cross (la locataire) des locaux à activité de débit de boissons et restauration traditionnelle situés au sein de ce même ensemble.
2. Le Théâtre du Châtelet ayant fait l'objet de travaux de rénovation, la locataire a assigné la bailleresse en remboursement de loyers et de droits de voirie ainsi qu'en indemnisation de préjudices en résultant.
3. La bailleresse a soulevé une exception d'incompétence au profit de la juridiction administrative.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
4. La bailleresse fait grief à l'arrêt de rejeter son exception d'incompétence, alors « que pour trancher l'exception d'incompétence dont il est saisi, le juge statue, si nécessaire, sur les questions de fond dont dépend sa compétence ; qu'aux termes de son assignation, la société Victoria Cross invoquait un trouble anormal résultant de travaux réalisés non dans les locaux donnés à bail mais dans un ouvrage voisin, sollicitait la réparation des préjudices de perte d'exploitation, de perte de valeur du fonds de commerce, de paiement sans contrepartie de droits de voirie et d'un préjudice moral, soutenait que ces préjudices étaient en lien avec la fermeture du Théâtre du Châtelet pendant la durée des travaux, la réalisation même des travaux et la pose de bâches publicitaires sur les façades du Théâtre du Châtelet et imputait à la Ville de [Localité 3] une faute pour avoir signé, le 22 mai 2017, une convention d'occupation du domaine public en vue de la pose de ces bâches, en méconnaissance des articles L. 621-29-8, R. 621-86 et R. 621-90 du code du patrimoine ; qu'après avoir constaté que les travaux incriminés sont des travaux publics, l'arrêt relève, pour retenir la compétence des juridictions judiciaires, que la société Victoria Cross s'est fondée sur l'article 1719 du code civil et les articles 1134, 1147 et 1149 anciens du même code, en invoquant le défaut de jouissance paisible du local objet d'un bail de droit privé et que le sort de son action en responsabilité contractuelle, qui n'a pas pour objet l'appréhension de dommages de travaux publics, dépend de l'appréciation de fautes imputées à la Ville de [Localité 3] en sa qualité de bailleur ; qu'il ajoute toutefois que la Ville de [Localité 3] ayant la double qualité de bailleur et de maître d'ouvrage public, les préjudices invoqués, fussent-ils établis et imputables aux travaux publics incriminés, ne donneront lieu à réparation par le juge judiciaire qu'à la condition que soit établie une faute du bailleur, sans que puisse être invoquée la responsabilité sans faute du maître d'ouvrage public en cas de dommage anormal ; qu'en retenant ainsi sa compétence, sans trancher au préalable la question de l'imputabilité du dommage à une faute du bailleur, question de fond dont dépendait la compétence du juge judiciaire, la cour d'appel a violé l'article 79 du code de procédure civile, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 79 du code de procédure civile, la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III et l'article 1719 du code civil :
5. Aux termes du premier de ces textes, lorsqu'il ne se prononce pas sur le fond du litige, mais que la détermination de la compétence dépend d'une question de fond, le juge doit, dans le dispositif du jugement, statuer sur cette question de fond et sur la compétence par des dispositions distinctes.
6. Il résulte des deuxième et troisième que la juridiction administrative est seule compétente pour connaître de l'action en réparation des dommages survenus à l'occasion de la réalisation de travaux publics.
7. Selon le dernier, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée et de l'en laisser jouir paisiblement pendant la durée du bail.
8. Il se déduit de la combinaison de ces textes que si la juridiction judiciaire est compétente pour connaître d'une action en indemnisation formée par le preneur d'un local donné à bail commercial par une personne publique, la juridiction administrative est seule compétente pour connaître de l'action en indemnisation de dommages de travaux publics, alors même qu'il existe un bail commercial entre la personne publique pour le compte de laquelle sont effectués les travaux et la victime de ces dommages.
9. En conséquence, il appartient au juge judiciaire saisi d'une exception d'incompétence de déterminer, indépendamment du fondement juridique invoqué, si les demandes indemnitaires qui lui sont soumises tendent à la réparation de dommages causés par des travaux publics ou se rattachent à un fait générateur distinct de ces travaux publics.
10. Pour écarter l'exception d'incompétence, la cour d'appel retient que la Ville de [Localité 3] ayant deux qualités, les préjudices invoqués, fussent-ils établis et imputables aux travaux incriminés, ne donneront lieu à réparation par le juge judiciaire qu'à la condition que soit établie une faute du bailleur, sans que puisse être invoquée la responsabilité sans faute du maître d'ouvrage public en cas de dommage anormal.
11. En statuant ainsi, sans trancher la question de fond dont dépendait la compétence, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 octobre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Victoria Cross aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Victoria Cross et la condamne à payer à la Ville de [Localité 3] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze mars deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300148
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 14 mars 2024
Cassation
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 148 FS-D
Pourvoi n° J 22-24.223
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 MARS 2024
La Ville de [Localité 3], représentée par son maire en exercice, domicilié en cette qualité en l'Hôtel de ville, direction des affaires juridiques, [Adresse 2], a formé le pourvoi n° J 22-24.223 contre l'arrêt rendu le 19 octobre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 3), dans le litige l'opposant à la société Victoria Cross, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Pons, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la Ville de [Localité 3], de la SCP Zribi et Texier, avocat de la société Victoria Cross, et l'avis de Mme Morel-Coujard, avocat général, après débats en l'audience publique du 30 janvier 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Pons, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, MM. David, Bosse-Platière, Brillet, Mmes Grandjean, Grall, Proust, Pic, conseillers, Mmes Schmitt, Aldigé, Gallet, Davoine, MM. Baraké, Choquet, conseillers référendaires, Mme Morel-Coujard, avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 octobre 2022, RG n° 22/07668), la Ville de [Localité 3] (la bailleresse), propriétaire d'un ensemble immobilier abritant le Théâtre du Châtelet, a donné à bail commercial à la société Victoria Cross (la locataire) des locaux à activité de débit de boissons et restauration traditionnelle situés au sein de ce même ensemble.
2. Le Théâtre du Châtelet ayant fait l'objet de travaux de rénovation, la locataire a assigné la bailleresse en remboursement de loyers et de droits de voirie ainsi qu'en indemnisation de préjudices en résultant.
3. La bailleresse a soulevé une exception d'incompétence au profit de la juridiction administrative.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
4. La bailleresse fait grief à l'arrêt de rejeter son exception d'incompétence, alors « que pour trancher l'exception d'incompétence dont il est saisi, le juge statue, si nécessaire, sur les questions de fond dont dépend sa compétence ; qu'aux termes de son assignation, la société Victoria Cross invoquait un trouble anormal résultant de travaux réalisés non dans les locaux donnés à bail mais dans un ouvrage voisin, sollicitait la réparation des préjudices de perte d'exploitation, de perte de valeur du fonds de commerce, de paiement sans contrepartie de droits de voirie et d'un préjudice moral, soutenait que ces préjudices étaient en lien avec la fermeture du Théâtre du Châtelet pendant la durée des travaux, la réalisation même des travaux et la pose de bâches publicitaires sur les façades du Théâtre du Châtelet et imputait à la Ville de [Localité 3] une faute pour avoir signé, le 22 mai 2017, une convention d'occupation du domaine public en vue de la pose de ces bâches, en méconnaissance des articles L. 621-29-8, R. 621-86 et R. 621-90 du code du patrimoine ; qu'après avoir constaté que les travaux incriminés sont des travaux publics, l'arrêt relève, pour retenir la compétence des juridictions judiciaires, que la société Victoria Cross s'est fondée sur l'article 1719 du code civil et les articles 1134, 1147 et 1149 anciens du même code, en invoquant le défaut de jouissance paisible du local objet d'un bail de droit privé et que le sort de son action en responsabilité contractuelle, qui n'a pas pour objet l'appréhension de dommages de travaux publics, dépend de l'appréciation de fautes imputées à la Ville de [Localité 3] en sa qualité de bailleur ; qu'il ajoute toutefois que la Ville de [Localité 3] ayant la double qualité de bailleur et de maître d'ouvrage public, les préjudices invoqués, fussent-ils établis et imputables aux travaux publics incriminés, ne donneront lieu à réparation par le juge judiciaire qu'à la condition que soit établie une faute du bailleur, sans que puisse être invoquée la responsabilité sans faute du maître d'ouvrage public en cas de dommage anormal ; qu'en retenant ainsi sa compétence, sans trancher au préalable la question de l'imputabilité du dommage à une faute du bailleur, question de fond dont dépendait la compétence du juge judiciaire, la cour d'appel a violé l'article 79 du code de procédure civile, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 79 du code de procédure civile, la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III et l'article 1719 du code civil :
5. Aux termes du premier de ces textes, lorsqu'il ne se prononce pas sur le fond du litige, mais que la détermination de la compétence dépend d'une question de fond, le juge doit, dans le dispositif du jugement, statuer sur cette question de fond et sur la compétence par des dispositions distinctes.
6. Il résulte des deuxième et troisième que la juridiction administrative est seule compétente pour connaître de l'action en réparation des dommages survenus à l'occasion de la réalisation de travaux publics.
7. Selon le dernier, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée et de l'en laisser jouir paisiblement pendant la durée du bail.
8. Il se déduit de la combinaison de ces textes que si la juridiction judiciaire est compétente pour connaître d'une action en indemnisation formée par le preneur d'un local donné à bail commercial par une personne publique, la juridiction administrative est seule compétente pour connaître de l'action en indemnisation de dommages de travaux publics, alors même qu'il existe un bail commercial entre la personne publique pour le compte de laquelle sont effectués les travaux et la victime de ces dommages.
9. En conséquence, il appartient au juge judiciaire saisi d'une exception d'incompétence de déterminer, indépendamment du fondement juridique invoqué, si les demandes indemnitaires qui lui sont soumises tendent à la réparation de dommages causés par des travaux publics ou se rattachent à un fait générateur distinct de ces travaux publics.
10. Pour écarter l'exception d'incompétence, la cour d'appel retient que la Ville de [Localité 3] ayant deux qualités, les préjudices invoqués, fussent-ils établis et imputables aux travaux incriminés, ne donneront lieu à réparation par le juge judiciaire qu'à la condition que soit établie une faute du bailleur, sans que puisse être invoquée la responsabilité sans faute du maître d'ouvrage public en cas de dommage anormal.
11. En statuant ainsi, sans trancher la question de fond dont dépendait la compétence, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 octobre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Victoria Cross aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Victoria Cross et la condamne à payer à la Ville de [Localité 3] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze mars deux mille vingt-quatre.
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