dimanche 7 février 2021

Marché et période d'indemnisation des préjudices nés du retard

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 21 janvier 2021




Cassation partielle


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 93 F-D

Pourvoi n° G 18-16.133




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 21 JANVIER 2021

La société Atradius Credito y Caucion SA de Seguros y Reaseguros, société de droit espagnol, dont le siège est [...] , venant aux droits de la société Atradius crédit Insurance NV, dont le siège est [...] (Espagne), a formé le pourvoi n° G 18-16.133 contre l'arrêt rendu le 20 février 2018 par la cour d'appel de Grenoble (2e chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. Y... N..., domicilié [...] ,

2°/ à Mme M... D..., domiciliée [...] ,

3°/ à la société Aviva assurances, société anonyme, dont le siège est [...] ,

4°/ à la société Villa plein soleil, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,

5°/ à la société BR associés, société civile professionnelle, dont le siège est [...] , prise en la personne de M. X... O..., pris en qualité de liquidateur judiciaire de la société Villa plein soleil,

défendeurs à la cassation.

M. N... et Mme D... ont formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les sept moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Les demandeurs au pourvoi incident éventuel invoquent, à l'appui de leur recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Georget, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société Atradius Credito y Caucion SA de Seguros y Reaseguros, de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. N... et de Mme D..., de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de la société Aviva assurances, après débats en l'audience publique du 1er décembre 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Georget, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 20 février 2018), Mme D... et M. N... ont conclu avec la société Villa plein soleil, désormais en liquidation judiciaire, un contrat de construction de maison individuelle.

2. La société Aviva assurances est intervenue en qualité d'assureur dommages-ouvrage.

3. La société Atradius credit insurance NV, à laquelle la société Atradius credito y caution sa de seguros y reaseguros (société Atradius), société de droit espagnol, est venue aux droits, a accordé une garantie de livraison.

4. En cours de chantier, les maîtres de l'ouvrage se sont plaints de désordres.

5. Après expertise, Mme D... et M. N... ont assigné les sociétés Villa plein soleil et Atradius en réalisation des travaux conformément aux préconisations de l'expert et en indemnisation de leurs préjudices.

6. En cours d'instance, Mme D... et M. N... ont sollicité la résiliation du contrat de construction de maison individuelle.

Recevabilité du pourvoi principal formé contre la société Villa plein soleil et son liquidateur judiciaire, examinée d'office

Vu les articles L. 643-9 du code de commerce et 122 et 125 du code de procédure civile :

7. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des textes susvisés.

8. Il résulte du premier de ces textes que la clôture de la liquidation judiciaire met fin aux fonctions du liquidateur et qu'en l'absence de désignation d'un mandataire ayant pour mission de poursuivre les instances en cours, le débiteur n'est plus représenté.

9. Selon les deux derniers, la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir doit être relevée d'office lorsqu'elle a un caractère d'ordre public.

10. Les fonctions du liquidateur ayant pris fin par la clôture pour insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire, la société Atradius ne pouvait agir à l'encontre de la société liquidée que si celle-ci était représentée par un mandataire spécialement désigné à cet effet.

11. Il s'ensuit que le pourvoi formé par la société Atradius à l'encontre de la société Villa plein soleil et de son liquidateur judiciaire est irrecevable.

Examen des moyens

Sur les premier, deuxième, troisième et quatrième moyens et le cinquième moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches du pourvoi principal, ci-après annexés

12. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui, pour partie, sont irrecevables et, pour le surplus, ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation. Sur le cinquième moyen, pris en sa première branche du pourvoi principal, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de condamner la société Atradius au paiement du surcoût des travaux

Enoncé du moyen

13. La société Atradius fait grief à l'arrêt de la condamner, in solidum avec la société Villa plein soleil, représentée par son liquidateur judiciaire, au paiement du surcoût des travaux, alors « que si la mise en oeuvre de la responsabilité personnelle du garant de livraison permet d'obtenir, au-delà des dispositions de l'article L. 236-1 du code de la construction et de l'habitation, une réparation des préjudices subis par le maître de l'ouvrage, encore faut-il que les préjudices invoqués soient certains et directement en lien avec la faute imputée au garant ; qu'en mettant à la charge de la société Atradius la somme de 72 489,56 euros au titre des surcoûts nécessaires à l'achèvement de la construction quand elle constatait que les travaux préconisés par l'expert et chiffrés à hauteur de cette somme n'avaient pas été réalisés, qu'à la suite de leur séparation, en 2010, Mme D... et M. N... avaient abandonné leur projet de construction et que le financement initial n'existait plus depuis le 5 juillet 2010, de sorte que le préjudice n'était pas certain, la cour d'appel a violé l'article 1231-1 du code civil (ancien article 1147 du code civil), ensemble l'article L. 231-6 du code de la construction et de l'habitation. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

14. Selon ce texte, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages-intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution.

15. Pour condamner la société Atradius au paiement des surcoûts des travaux, l'arrêt retient que l'expert a chiffré ces surcoûts en lien avec les manquements de la société Villa plein soleil à une somme comprenant une mission géotechnique de dimensionnement, une mission de maîtrise d'oeuvre, la démolition des ouvrages, l'évacuation des gravats, l'adaptation de la construction et du terrain et la stabilisation des abords de la maison à construire et que cette somme serait mise à la charge du garant de livraison en raison des fautes personnelles commises par ce dernier.

16. En statuant ainsi, après avoir retenu que le projet de construction n'était plus d'actualité, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser le lien de causalité entre la faute du garant et un préjudice certain des maîtres de l'ouvrage, a violé le texte susvisé.

Et sur le moyen unique du pourvoi incident éventuel

Enoncé du moyen

17. Mme D... et M. N... font grief à l'arrêt de condamner la société Atradius, in solidum avec la société Villa plein soleil, représentée par son mandataire liquidateur, à leur payer les seules sommes de 29 324,88 euros au titre des pénalités contractuelles et de 7 500 euros au titre des pertes de loyers et frais de relogement, rejetant le surplus de leurs demandes à ce titre, alors :

« 1°/ que les juges ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont fournis par les parties au soutien de leurs prétentions ; que pour arrêter au 16 juin 2011 la période au titre de laquelle les consorts D... et N... devaient être indemnisés des préjudices liés au retard des travaux de construction de leur maison, la cour d'appel a retenu qu'ils n'avaient pas répondu au courrier du constructeur, daté du 16 juin 2011, leur proposant de reprendre rapidement les travaux ; qu'en statuant de la sorte sans s'expliquer sur les courriers ultérieurs par lesquels les consorts D... et N... avaient, par l'intermédiaire de leur conseil, demandé au constructeur de reprendre le chantier et démontraient que tel n'avait pas été le cas du fait de la défaillance du constructeur, qui subordonnait la reprise à de nouveaux paiements d'acomptes et n'entendait tenir aucun compte des préconisations de l'expert judiciaire quant à la conduite des travaux, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que le juge, tenu de motiver sa décision, doit préciser les éléments de preuve sur lesquels il se fonde pour retenir un fait lorsqu'il est contesté ; que pour arrêter au 16 juin 2011 la période au titre de laquelle les consorts D... et N... devaient être indemnisés des préjudices liés au retard des travaux de construction de leur maison, la cour d'appel a encore retenu que Mme D... et M. N... étaient séparés depuis fin 2010, et que leur projet de construction n'était plus d'actualité à la date du 16 juin 2011 à laquelle le constructeur leur avait proposé de reprendre les travaux, ni à ce jour ; qu'en retenant ainsi que les exposants avaient abandonné tout projet de construction sans préciser sur quelle pièce elle fondait cette affirmation, quand, nonobstant leur séparation, les consorts D... et N... avaient maintenu tout au long de la procédure qu'ils entendaient terminer les travaux de construction selon les préconisations de l'expert judiciaire, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

18. Sans être tenue de s'expliquer sur les pièces qu'elle décidait d'écarter, la cour d'appel a souverainement retenu que, Mme D... et M. N... étant séparés depuis fin 2010, le projet de construction n'étant plus d'actualité depuis cette date, la période d'indemnisation des préjudices nés du retard devait être arrêtée au 16 juin 2011, date d'offre de reprise des travaux restée sans réponse.

19. Le moyen n'est donc pas fondé.

Portée et conséquences de la cassation

20. La cassation de l'arrêt sur le cinquième moyen du pourvoi principal entraîne la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif rejetant l'appel en garantie de la société Atradius contre la société Aviva.

Demande de mise hors de cause

21. La présence de Mme D... et de M. N... devant la cour d'appel de renvoi est nécessaire.

22. Il n'y a donc pas lieu d'ordonner leur mise hors de cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal, la Cour :

DECLARE irrecevable le pourvoi formé par la société Atradius Credito y Caucion SA de Seguros y Reaseguros, venant aux droits de la société Atradius Credit Insurance NV, à l'encontre de la société Villa plein soleil et de son liquidateur judiciaire ;

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Atradius Credito y Caucion SA de Seguros y Reaseguros, venant aux droits de la société Atradius Credit Insurance NV, tenue in solidum avec la SARL Villa Plein Soleil, représentée par son mandataire liquidateur, la SCP BR Associés prise en la personne de M. X... O..., à payer à Mme M... D... et à M. Y... N... la somme de 72 489,56 € (soixante-douze mille quatre cent quatre-vingt-neuf euros et cinquante-six centimes) au titre des surcoûts, l'arrêt rendu le 20 février 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble autrement composée ;

DIT n'y avoir lieu à mettre hors de cause Mme D... et M. N... ;

Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

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