lundi 19 juin 2017

Désordre décennal futur et certain (CE)

Conseil d'État

N° 395598   
ECLI:FR:CECHS:2017:395598.20170531
Inédit au recueil Lebon
7ème chambre
M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur
M. Olivier Henrard, rapporteur public
SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX ; SCP CELICE, SOLTNER, TEXIDOR, PERIER ; SCP PIWNICA, MOLINIE ; SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN, avocats


lecture du mercredi 31 mai 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une décision du 19 août 2016, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi de l'établissement SNCF Réseau, venant aux droits de Réseau ferré de France, dirigées contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 26 octobre 2015 en tant seulement que cet arrêt a rejeté ses conclusions relatives aux désordres liés à l'extrusion des plaques de polytétrafluoroéthylène affectant le viaduc de Cavaillon de la ligne à grande vitesse Méditerranée.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 24 octobre et 22 décembre 2016, la société Eiffage Génie civil, anciennement dénommée Eiffage TP, conclut au rejet du pourvoi et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de SNCF Réseau au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 novembre 2016, la société FIP industriale conclut au rejet du pourvoi et à ce qu'une somme de 8 000 euros soit mise à la charge de SNCF Réseau au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 novembre 2016, la société Bouygues Bâtiment Sud-Est, anciennement dénommée GFC Construction, conclut au rejet du pourvoi et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de SNCF Réseau au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient qu'elle doit être mise hors de cause compte tenu des désordres restant en litige.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 janvier 2017, la société Cimolai, anciennement dénommée Costruzioni Cimolai Armando, conclut au rejet du pourvoi et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de SNCF Réseau au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code civil ;
- le code des marchés publics ;
- la loi n° 97-135 du 13 février 1997 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Marc Pichon de Vendeuil, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Olivier Henrard, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la SNCF Réseau, à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, avocat de la société Eiffage Génie civil, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de la société Bouygues Bâtiment Sud-Est et de la société Fip industriale et à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la société Cimolai,
Vu la note en délibéré, enregistrée le 16 mai 2017, présentée par SNCF Réseau ;



1. Considérant qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, par un marché de travaux publics notifié le 26 janvier 1996, la SNCF a confié la construction du viaduc de Cavaillon de la ligne de TGV Méditerranée à un groupement conjoint d'entreprises composé, d'une part, de la société Costruzioni Cimolai Armando, pour la réalisation d'une charpente métallique et des appareils d'appui et, d'autre part, d'un groupement solidaire, pour les ouvrages de génie civil, comprenant la société GFC Construction et la société Bories SAE, cette dernière étant mandataire du groupement conjoint ; que les appareils d'appui du viaduc ont été fabriqués par la société FIP Industriale ; que l'ouvrage est devenu la propriété de l'établissement public Réseau Ferré de France, en application de la loi du 13 février 1997 ; que la maîtrise d'oeuvre du marché était assurée par la SNCF ; que les travaux de génie civil ont été réceptionnés le 24 décembre 1997, et ceux réalisés par la société Costruzioni Cimolai Armando le 11 mai 1998 ; que le 30 novembre 2006, la SNCF a décelé des défauts sur des appareils d'appui du viaduc ; que la SNCF, agissant " en son nom propre ainsi que pour le compte " du maître de l'ouvrage, Réseau Ferré de France, a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à la désignation d'un expert, puis ce même tribunal d'une demande au fond tendant, à titre principal, à la condamnation solidaire des sociétés titulaires du marché ou venant aux droits de celles-ci, ainsi que de la société FIP Industriale, à remplacer l'intégralité des appareils d'appui du viaduc, sur le fondement de la responsabilité décennale ou, subsidiairement, à lui payer la somme de 3 370 432,05 euros TTC en réparation du préjudice subi, ainsi que la somme de 112 708,27 euros TTC correspondant aux frais d'expertise et la somme de 500 266,47 euros TTC correspondant aux travaux et essais réalisés à la demande de l'expert ; que le rapport d'expertise a été déposé le 30 décembre 2011 ; que, par un jugement du 24 juin 2014, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de Réseau Ferré de France ; que l'établissement public SNCF Réseau, venant aux droits de Réseau Ferré de France, se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 26 octobre 2015 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son appel contre ce jugement ; que, par une décision du 19 août 2016, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, n'a admis son pourvoi qu'en tant que cet arrêt a rejeté ses conclusions relatives aux désordres liés à l'extrusion des plaques de polytétrafluoroéthylène ;

2. Considérant qu'il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans, dès lors que les désordres leur sont imputables, même partiellement et sauf à ce que soit établie la faute du maître d'ouvrage ou l'existence d'un cas de force majeure ;

3. Considérant qu'après avoir relevé que l'expert avait constaté qu'une forte extrusion de plaques de polytétrafluoroéthylène affectait 8 des 70 appareils d'appui du viaduc et qu'il existait un risque que ce désordre évolue dans un avenir proche et compromette alors la solidité de l'ouvrage et le rende impropre à sa destination, la cour administrative d'appel de Paris a jugé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, qu'aucun autre élément du dossier ne venait corroborer l'hypothèse d'une aggravation certaine, dans l'avenir, de ces désordres ni celle d'une nécessaire modification des conditions de circulation des trains et que l'établissement public requérant ne faisait notamment état, sur ce point, d'aucune évolution récente de l'état du viaduc ; qu'en en déduisant qu'en l'absence d'évolution prévisible de ces désordres, même à long terme, la responsabilité des constructeurs et celle du fabricant ne pouvaient pas être engagées, la cour n'a pas méconnu les principes rappelés au point précédent ;

4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que SNCF Réseau n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque en tant que celui-ci a rejeté ses conclusions relatives aux désordres liés à l'extrusion des plaques de polytétrafluoroéthylène ;

5. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge des sociétés Eiffage Génie civil, Bouygues Bâtiment Sud-Est, Cimolai et FIP industriale qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes ; qu'en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de SNCF Réseau une somme de 3 000 euros à verser chacune de ces sociétés au titre des mêmes dispositions ;

D E C I D E :
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Article 1er : Les conclusions admises du pourvoi de SNCF Réseau sont rejetées.
Article 2 : SNCF Réseau versera aux sociétés Eiffage Génie civil, Bouygues Bâtiment Sud-Est, Cimolai et FIP industriale une somme de 3 000 euros chacune, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à SNCF Réseau et aux sociétés Eiffage Génie civil, Bouygues Bâtiment Sud-Est, Cimolai et FIP industriale.

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