3. Réception tacite
Architecte entrepreneur
– Réception de l’ouvrage – Définition – Réception tacite – Prise de possession
des lieux – Volonté non équivoque de recevoir – Paiement de la quasi-totalité
du marché – Caractère suffisant
Ne donne pas de base légale à sa décision une cour d’appel qui,
après avoir relevé que les maîtres de l’ouvrage avaient pris possession des
lieux à une date à laquelle ils avaient réglé la quasi-totalité du marché, retient,
par des motifs qui ne suffisent pas à caractériser une
volonté non équivoque de ne pas recevoir l’ouvrage, que la réception tacite
ne peut pas être constatée.
La troisième chambre civile de la Cour de
cassation a admis la possibilité d’une réception tacite qui n’était pas prévue
par la loi (3e Civ., 16 juillet 1987, pourvoi n° 86-11.455, Bull. 1987,
III, n° 143) et a, au fur et à mesure de ses décisions, précisé les
conditions d’une telle réception.
Partant des conditions posées par l’article 1792-6
du code civil, selon lequel la réception est l’acte par lequel le maître de
l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage, contradictoirement, la doctrine de la
troisième chambre civile de la Cour de cassation a d’abord admis la réception
tacite, lorsque le maître de l’ouvrage a pris possession de l’ouvrage et l’a
accepté sans réserves, même s’il en a contesté le prix. Il est certain
cependant qu’il ne peut y avoir de réception tacite dès lors que le maître de
l’ouvrage exprime un désaccord immédiat sur la qualité des travaux réalisés et
le montant du prix (3e Civ., 24 mars 2009, pourvoi n° 08-12.663). Le
fait qu’une entreprise succède à une autre ne suffit pas à caractériser
l’existence d’une réception tacite (3e Civ., 19 mai 2016, pourvoi
n° 15-17.129, publié au Bulletin).
Les juges du fond doivent rechercher, dans les
éléments de fait, ceux qui caractérisent la manifestation de volonté non
équivoque du maître d’accepter l’ouvrage :
– la constatation de l’entrée dans
les lieux, la prise de possession n’est pas suffisante à elle seule (3e Civ.,
3 mai 1990, pourvoi n° 88-19.301, Bull. 1990,
III, n° 104) ; la déclaration d’achèvement des travaux n’établit pas
la volonté de recevoir (3e Civ., 24 mars 2009, pourvoi
n° 08-12.663) ; de même une clause contractuelle ne peut pas prévoir
que toute prise de possession ou emménagement avant la rédaction contradictoire
du procès-verbal de réception vaut réception tacite et sans réserve (3e Civ.,
6 mai 2015, pourvoi n° 13-24.947, Bull. 2015,
III, n° 41) ; si un maître de l’ouvrage a pris possession de
l’ouvrage sans jamais régler le solde des travaux et a manifesté son refus de
réceptionner, la cour d’appel peut en déduire l’absence de réception tacite (3e Civ.,
12 septembre 2012, pourvoi n° 09-71.189, Bull. 2012,
III, n° 117).
– le paiement des travaux est aussi
un indice de la volonté de recevoir (3e Civ., 23 mai 2012, pourvoi
n° 11-10.502, Bull. 2012, III, n° 76) : en
l’absence de contestation sur le règlement des travaux, il convenait de
constater que le maître de l’ouvrage avait réceptionné tacitement l’ouvrage
lors de la prise de possession, sauf si le maître de l’ouvrage avait toujours
contesté la qualité des travaux (3e Civ., 24 mars 2016, pourvoi
n° 15-14.830, publié au Bulletin). Mais le
paiement à lui seul est insuffisant (3e Civ., 30 septembre 1998, pourvoi
n° 96-17.014, Bull. 1998, III, n° 175 ; 3e Civ.,
16 février 2005, pourvoi n° 03-16.880, Bull. 2005,
III, n° 36).
– l’achèvement des travaux n’est pas
une condition de la réception tacite (3e Civ., 11 février 1998, pourvoi
n° 96-13.142, Bull. 1998, III, n° 28).
La Cour de cassation semble admettre de façon
constante que la prise de possession accompagnée d’un paiement permet de
constater la volonté de recevoir du maître de l’ouvrage (3e Civ.,
4 juin 1998, pourvoi n° 95-16.452 ; 1re Civ.,
15 décembre 1999, pourvoi n° 97-18.733 ; 3e Civ.,
14 mars 2001, pourvoi n° 99-17.365 ; 3e Civ.,
28 mars 2001, pourvoi n° 99-16.051 ; 3e Civ.,
25 septembre 2002, pourvoi n° 00-22.173 ; 3e Civ.,
6 mai 2003, pourvoi n° 02-11.410 ; 3e Civ.,
8 novembre 2006, pourvoi n° 04-18.145, Bull. 2006,
III, n° 218).
À l’inverse, le maître de l’ouvrage qui
n’établit pas avoir pris possession des lieux, ne justifie pas du paiement
intégral du prix et s’est plaint de désordres, ne manifeste pas de façon non
équivoque sa volonté d’accepter l’ouvrage (3e Civ., 22 mai 1997, pourvoi
n° 95-14.969, Bull. 1997, III, n° 107).
Dans l’affaire ici commentée, la cour d’appel
avait constaté que les maîtres de l’ouvrage avaient indiqué que leur installation
dans les lieux ne pouvait plus être différée compte tenu de leurs impératifs
financiers, qu’ils avaient retenu le solde du marché dans l’attente de
l’exécution de ses engagements par l’entreprise, avaient exprimé des réserves
et faisaient état de risques de désordres structurels, et les juges du fond en
avaient déduit que la preuve de la volonté non équivoque des maîtres d’ouvrage
d’accepter l’ouvrage, même avec des réserves, n’était pas rapportée. La Cour de
cassation censure cette décision, car, les juges d’appel ayant relevé que les
maîtres de l’ouvrage avaient pris possession des lieux le 1er juin 1999 et
que, à cette date, ils avaient réglé la quasi-totalité du marché de travaux, la
troisième chambre civile de la Cour de cassation estime que la cour
d’appel n’a pas suffisamment caractérisé la volonté non équivoque des maîtres
de ne pas recevoir l’ouvrage.
Cet arrêt, publié au Bulletin et
au Rapport,
semble établir que la prise de possession de l’ouvrage accompagnée d’un
paiement de la quasi-totalité du prix permet de supposer que le maître avait la
volonté de recevoir l’ouvrage ; dans cette hypothèse, il convenait alors
pour les juges du fond d’exposer ce qui empêchait d’admettre la volonté
supposée du maître de recevoir l’ouvrage, pour refuser de constater la
réception tacite.
La solution n’est pas nouvelle mais la lecture
du second moyen permet de percevoir une évolution de la doctrine de la
troisième chambre civile de la Cour de cassation sur la preuve de la
réception tacite.
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.