N° 399581
ECLI:FR:CECHR:2017:399581.20170609
Inédit au recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. François Lelièvre, rapporteur
M. Olivier Henrard, rapporteur public
SCP GASCHIGNARD ; SCP SEVAUX, MATHONNET, avocats
lecture du vendredi 9 juin 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu la procédure suivante :La société Pointe-à-Pitre Distribution a demandé au tribunal administratif de Basse-Terre de condamner la commune de Goyave à lui verser la somme de 485 410,85 euros en paiement de factures de fournitures impayées. Par un jugement n° 1000706 du 28 février 2014, le tribunal administratif de Basse-Terre a condamné la commune de Goyave à verser la somme de 364 057,84 euros à la société Pointe-à-Pitre Distribution.
Par un arrêt n° 14BX01313 du 4 février 2016, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appel de la commune de Goyave et appel incident de la société Pointe-à-Pitre Distribution, annulé ce jugement et rejeté la demande présentée par la société Pointe-à-Pitre Distribution.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 mai et 8 août 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Pointe-à-Pitre Distribution demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de la commune de Goyave la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. François Lelièvre, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Olivier Henrard, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gaschignard, avocat de la société Pointe-à-Pitre Distribution et à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de la commune de Goyave.
1. Considérant qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la société Pointe-à-Pitre Distribution a livré à la commune de Goyave, en exécution de onze bons de commandes émis entre les 15 mai et 13 septembre 2006 par le maire de cette commune, diverses fournitures de bureau, d'entretien et de décoration ; que la commune n'ayant accepté de payer qu'une partie des factures, pour un montant total de 68 200 euros, la société Pointe-à-Pitre Distribution a saisi le tribunal administratif de Basse-Terre d'une requête tendant à ce que soit engagée la responsabilité contractuelle de la commune, ou, à défaut, sa responsabilité quasi-délictuelle ; que, par un jugement du 28 février 2014, le tribunal administratif a rejeté les conclusions relatives à la responsabilité contractuelle de la commune, mais a condamné la commune à verser à la société Pointe-à-Pitre Distribution la somme de 364 057,84 euros sur le fondement des responsabilités quasi-contractuelle et quasi-délictuelle ; que saisie d'un appel de la commune et d'un appel incident de la société Pointe-à-Pitre Distribution, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, par l'arrêt attaqué, annulé ce jugement et rejeté l'ensemble des conclusions de la société ;
Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il a écarté la responsabilité contractuelle de la commune :
2. Considérant que lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat ; que, toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel ; qu'ainsi, lorsque le juge est saisi d'un litige relatif à l'exécution d'un contrat, les parties à ce contrat ne peuvent invoquer un manquement aux règles de passation, ni le juge le relever d'office, aux fins d'écarter le contrat pour le règlement du litige ; que, par exception, il en va autrement lorsque, eu égard, d'une part, à la gravité de l'illégalité et, d'autre part, aux circonstances dans lesquelles elle a été commise, le litige ne peut être réglé sur le fondement de ce contrat ;
3. Considérant qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué, non contestées sur ce point, que le maire de Goyave a conclu le marché litigieux avec la société Pointe-à-Pitre Distribution sans y avoir été autorisé par une délibération du conseil municipal ; qu'en jugeant que, en l'absence de toute circonstance permettant d'estimer que le conseil municipal avait ensuite donné son accord à la conclusion du contrat, le vice qui avait affecté le consentement de la commune faisait obstacle, sans que la société pût en l'espèce se prévaloir de l'exigence de loyauté des relations contractuelles, à ce que le litige soit réglé sur le terrain contractuel, la cour n'a entaché son arrêt d'aucune erreur de droit ni d'aucune erreur de qualification juridique ; que si la cour a par ailleurs relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation et sans méconnaître le caractère contradictoire de la procédure, que les fournitures avaient été commandées sans qu'aucune procédure de publicité et de mise en concurrence ne soit mise en oeuvre et qu'elles avaient été facturées à des prix manifestement excessifs, c'est par un motif en tout état de cause surabondant qu'elle a déduit qu'il y avait lieu d'écarter le contrat et la société ne peut donc utilement soutenir que la cour a commis, sur ce point, une erreur de droit ;
Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il a écarté les responsabilités quasi-contractuelle et quasi délictuelle de la commune :
4. Considérant que l'entrepreneur dont le contrat est écarté peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé ; que les fautes éventuellement commises par l'intéressé antérieurement à la signature du contrat sont sans incidence sur son droit à indemnisation au titre de l'enrichissement sans cause de la collectivité, sauf si le contrat a été obtenu dans des conditions de nature à vicier le consentement de l'administration, ce qui fait obstacle à l'exercice d'une telle action ; que dans le cas où le contrat est écarté en raison d'une faute de l'administration, l'entrepreneur peut en outre, sous réserve du partage de responsabilités découlant le cas échéant de ses propres fautes, prétendre à la réparation du dommage imputable à la faute de l'administration ; qu'à ce titre il peut demander le paiement des sommes correspondant aux autres dépenses exposées par lui pour l'exécution du contrat et aux gains dont il a été effectivement privé du fait de sa non-application, notamment du bénéfice auquel il pouvait prétendre, si toutefois l'indemnité à laquelle il a droit sur un terrain quasi-contractuel ne lui assure pas déjà une rémunération supérieure à celle que l'exécution du contrat lui aurait procurée ;
5. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté les conclusions de la société Pointe-à-Pitre Distribution, présentées sur un terrain quasi-contractuel, tendant au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la commune, au motif, d'une part, qu'elle avait " commis une faute grave en se prêtant à la conclusion d'un marché, dont, compte-tenu de son expérience, [elle] ne pouvait ignorer l'illégalité " et, d'autre part, qu'" en raison même de la surfacturation des marchandises en litige, disponibles sur le marché à des prix très inférieurs à ceux sur lesquels le maire de Goyave a marqué son accord, les achats décidés par ce dernier ne peuvent pas être regardés, dans ces conditions, comme ayant été utiles à la commune " ; qu'en statuant ainsi, alors, d'une part, que la faute du cocontractant est en principe sans incidence sur son droit à indemnisation au titre de l'enrichissement sans cause de la collectivité et, d'autre part, que l'utilité des dépenses effectuées par l'entrepreneur pour la collectivité ne peut être appréciée en prenant en compte les prix stipulés par le contrat, qui a été écarté, la cour administrative d'appel de Bordeaux a entaché son arrêt d'une erreur de droit ;
6. Considérant, en second lieu, qu'en jugeant que la faute commise par la société Pointe-à-Pitre Distribution en se prêtant volontairement à la conclusion d'un contrat dont elle ne pouvait, compte tenu de son expérience, ignorer l'illégalité, constituait la cause directe du préjudice qu'elle invoquait et était de nature à exonérer totalement la commune de Goyave de sa responsabilité quasi-délictuelle, en dépit de la faute qu'elle avait elle-même commise en concluant le contrat, la cour a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Pointe-à-Pitre Distribution est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il a rejeté ses conclusions présentées sur le terrain de la responsabilité quasi-contractuelle et de la responsabilité quasi délictuelle de la commune ;
8. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Pointe-à-Pitre Distribution qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Goyave le versement d'une somme de 3 000 euros à la société Pointe-à-Pitre Distribution au titre des mêmes dispositions ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 4 février 2016 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de la société Pointe-à-Pitre Distribution présentées sur les terrains des responsabilités quasi-contractuelle et quasi-délictuelle de la commune de Goyave.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la mesure de la cassation prononcée, à la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Article 3 : La commune de Goyave versera la somme de 3 000 euros à la société Pointe-à-Pitre Distribution au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées au même titre par la commune de Goyave sont rejetées.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la société Pointe-à-Pitre Distribution est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Pointe-à-Pitre Distribution et à la commune de Goyave.
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