Assurance
« dommages-ouvrage ». Inefficacité des travaux de réparation. Charge
de la preuve. Preuve négative ?
Note Bonardi, RDI 2017, p. 416.
Note Groutel, RCA 2017-11, p. 27.
Note Ajaccio et Caston, GP 2017, n°42, p. 62.
Note Bonardi, RDI 2017, p. 416.
Note Groutel, RCA 2017-11, p. 27.
Note Ajaccio et Caston, GP 2017, n°42, p. 62.
Il incombe à l’assureur par police
« dommages-ouvrage », tenu d’une obligation de préfinancer les
travaux de nature à remédier efficacement aux désordres, de prouver l’absence
de lien de causalité entre son intervention et le dommage nouveau.
Cour de cassation, 3e chambre civile, 29 juin 2017, n°16-19.634, publié
Pour la construction de deux immeubles à usage
d’habitation, un maître de l’ouvrage souscrit une assurance de
« dommages-ouvrage ». La réception des travaux est prononcée le 31
octobre 1986. En août 1996, le syndicat des copropriétaires déclare à
l’assureur un sinistre relatif à des « pourrissement et gerçures importantes
d’éléments de garde-corps en chêne des balcons ».
En 1999, l’assureur finance des travaux de
réfection, consistant, en application des préconisations de l'expert dudit
assureur, à remplacer totalement ou partiellement les garde-corps des balcons,
travaux reçus le 2 octobre 2001. Les désordres réapparaissant, en mars 2007,
le syndicat des copropriétaires adresse une nouvelle déclaration de sinistre, à
laquelle l’assureur oppose un refus de garantie, pour expiration du délai
décennal et prescription biennale.
Une expertise judiciaire est ordonnée, dont il
résulte « que le bois est atteint et complètement pourri à raison de la
présence d'un champignon résupiné, le « perenniporia meridionalis »,
dont la première description remonte à 2004 », et qui a été récolté en
Belgique à partir de 1990 et dans l'Est de la France en 2002; ce champignon
provoquant une pourriture fibreuse faisant perdre « toute résistance
mécanique aux garde-corps » ; l'expert retient également que le sinistre
trouve sa source dans les bois d'origine et non dans ceux mis en œuvre en 1999
et 2000 ; que tout en précisant ne pouvoir déterminer la date d'apparition de
ce champignon dans les garde-corps il
considère que c'est bien celui-ci ou une espèce voisine qui avait causé les
premiers désordres en 1997, en soulignant pourtant que cette espèce
particulière n'a été répertoriée dans l'Ouest de la France qu'en 2005-2008.
Un jugement de mai 2013 déboute le syndicat. Il
est confirmé par arrêt du 19 avril 2016 .
Le syndicat se pourvoit en cassation et
soutient (moyen unique,première branche) que l’assureur « dommages
ouvrage » est tenu d’une obligation de résultat de préfinancer, en cas de
sinistre, les travaux de nature à remédier efficacement aux désordres,
obligation dont il ne peut s’exonérer, (face à la présomption de faute et de
causalité découlant de l’apparition d’un sinistre de même nature affectant les
mêmes parties de l’ouvrage), qu’en apportant la preuve de l’absence de faute ou
de lien de causalité entre son intervention et le dommage réapparu.
La Cour
de cassation, au visa de l’article 1315
du code civil, (devenu 1353), casse en énonçantl : « Attendu que, pour rejeter cette demande,
l’arrêt retient que l’expert judiciaire a retenu que le bois était atteint et
complètement pourri à raison de la présence d’un champignon résupiné, le
perenniporia meridionalis, dont la première description remontait à 2004, qui
avait été récolté en Belgique à partir de 1990 et dans l’Est de la France en
2002 et répertorié dans l’Ouest en 2005-2008, que ce champignon faisait perdre
toute résistance mécanique aux garde-corps et que le sinistre trouvait sa source dans les bois d’origine et non dans
ceux mis en oeuvre en 1999 et 2000, que ce n’était donc pas sans
contradiction qu’il avait écrit et affirmé que la dégradation des garde-corps
constatés en 2007, sept ans après les travaux de reprise, était la nécessaire continuité des désordres les ayant affectés en 1996
et que c’est par une juste appréciation des éléments de la cause que le
tribunal a jugé que n’était pas rapportée la preuve d’une insuffisance ou d’une
inefficacité des travaux financés par l’assureur dommages-ouvrage ; Qu’en statuant ainsi, alors qu’il incombe à
l’assureur dommages-ouvrage, tenu d’une obligation de préfinancer les travaux
de nature à remédier efficacement aux désordres, de rapporter la preuve de
l’absence de lien de causalité entre son intervention et le dommage, la
cour d’appel, qui a inversé la charge de
la preuve, a violé le texte susvisé ».
Par
cette décision de principe, d’ores et déjà publiée sur la page de jurisprudence
de la troisième chambre de la Cour de cassation, la haute juridiction impose,
de façon inédite, en cas de dommages de même nature, à l’assureur de
dommages-ouvrage d’administrer la preuve de l’efficacité des travaux de réparation
qu’il a préfinancés. En vertu de cette obligation préfinancement de travaux efficaces, il est donc contraint
de prouver l’absence de lien de causalité entre son intervention et le dommage
nouveau, preuve négative, en principe impossible et, pour cette raison, dite
« diabolique » par les auteurs anciens, car elle revient à demander à
la partie accusée de prouver son innocence :
Cass.1er civ., 19 février 2014 n° 12-17.935,12-19.714.
Attendu que les consorts Z... et les sociétés Bergerot et Sonnabend
Gallery font grief à l'arrêt de dire qu'ils ont porté atteinte au droit de
Charlotte Y... à la paternité de ses oeuvres en présentant comme des oeuvres de
collaboration avec Jean Z... des oeuvres dont elle est l'unique auteur ;
Mais attendu qu'ayant constaté que la prétention de Mme X... consistait à faire juger que la publication d'un ouvrage présentant comme des oeuvres de collaboration des créations de Charlotte Y... portait atteinte au droit moral d'auteur de cette dernière et que le succès de cette prétention supposait la preuve, non pas que Charlotte Y... était l'auteur des créations en cause, mais que le coauteur supposé n'avait, en fait, pas pris part au processus créatif, preuve négative impossible, la cour d'appel n'a pas inversé la charge de la preuve en décidant qu'il incombait en conséquence aux sociétés Bergerot et Sonnabend Gallery de démontrer l'exactitude des affirmations qui ressortaient de l'ouvrage attaqué quant à l'existence, à propos des meubles en cause, d'une collaboration créative de Charlotte Y... et Jean Z..., voire aux consorts Z..., qui revendiquaient la qualité de coauteur, ou d'auteur unique dans certains cas, de Jean Z... d'apporter la preuve de la participation effective de ce dernier au processus de création ; que le moyen n'est pas fondé ;
ll est vrai que
cette considération n’a pas toujours arrêté la Cour de cassation :
Cass.1er civ., 4 mai
2012, n° 10-13.545 publié au bulletin :
Vu l'article 1132, ensemble l'article 1315 du code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que se prévalant d'une reconnaissance de dette souscrite à son profit par Françoise X..., M. Y... l'a assignée en paiement de la somme y figurant ; que pour rejeter cette demande, la cour d'appel, après avoir constaté que la reconnaissance de dette litigieuse avait été établie au titre d'un prêt consenti à Françoise X... par M. Y..., énonce que le prêt qui n'est pas consenti par un établissement de crédit est un contrat réel qui, pour exister, suppose la remise d'une chose et que M. Y... n'apporte pas la preuve de la remise de ladite somme à Françoise X... ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que se prévalant d'une reconnaissance de dette souscrite à son profit par Françoise X..., M. Y... l'a assignée en paiement de la somme y figurant ; que pour rejeter cette demande, la cour d'appel, après avoir constaté que la reconnaissance de dette litigieuse avait été établie au titre d'un prêt consenti à Françoise X... par M. Y..., énonce que le prêt qui n'est pas consenti par un établissement de crédit est un contrat réel qui, pour exister, suppose la remise d'une chose et que M. Y... n'apporte pas la preuve de la remise de ladite somme à Françoise X... ;
Qu'en statuant ainsi alors que la convention n'est pas moins valable quoique la cause n'en soit pas exprimée, de sorte que c'était à Françoise X..., qui avait signé la reconnaissance de dette et contestait la remise de la somme litigieuse, de rapporter la preuve de ses allégations, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Ici, l’arrêt impose
la charge d’une preuve négative à celui qui conteste la reconnaissance de dette :
comment prouver que l’on n’a rien
remis ?
Bien
plus, en l’espèce, un doute pouvait exister sur l’imputabilité des dommages.
Les dommages nouveaux avaient-ils la même cause technique que ceux indemnisés
précédemment, en 1999 ? Les nouveaux dommages ne pouvaient-ils pas plutôt
être imputables à l’entreprise réparatrice, voire à une cause extérieure,
révélée postérieurement ?
L’imputabilité des dommages n’est
elle pas, en jurisprudence, une condition préalable à la mise en œuvre de la
responsabilité du cocontractant tenu à une obligation de résultat[1] ? N’est-ce pas à
l’assuré, se prétendant victime, de prouver ce qu’il allègue ? L’assureur prétend satisfactoire son offre
d’indemnité dûment acceptée. Si
l’assuré se dit insatisfait, il lui
incombe d’établir le bien-fondé de son propos. Le droit romain disait déjà : « Actori incumbit
probatio; Reus excipiendo fit actor » ("La preuve
incombe au demandeur; le défendeur devient demandeur en opposant une
exception.")
Cette règle traditionnelle est ici inversée. Par le biais de l’imputabilité, la Cour de cassation énonce qu’il revient au contraire à l’assureur d’apporter la preuve négative de ce que la cause des dommages nouveaux n’est pas attribuable au vice initial, mal évalué, mal réparé. il lui appartient donc d’établir que le nouveau sinistre ne trouve pas son origine dans le désordre de même nature qu’il a indemnisé ; il doit ainsi démontrer son absence de faute de gestion dans le préfinancement de travaux de réparation efficaces[2].
Autrement énoncé, en cas de réitération
de dommages de même nature ou sur un même ouvrage, l’assureur de
dommages-ouvrage est tenu de démontrer que les nouveaux désordres ont un fait
générateur sans lien avec les travaux qu’il a préfinancés. Il est constant que
l’inexécution, par l’assureur dommages ouvrage, de son obligation de
préfinancement de travaux efficaces engage sa responsabilité
contractuelle : « Le maître d'ouvrage ayant souscrit une assurance
dommages-ouvrage est en droit d'obtenir le préfinancement des travaux de nature
à assurer leur efficacité pour mettre fin aux désordres[3] ». Il s’agit là d’une
obligation de résultat. Si elle
n’est pas satisfaite, il en résulte à la fois présomptions de faute et de causalité[4].
On ne peut cependant que rapprocher cette décision du
principe selon lequel, si le dommage réparé après jugement se perpétue, l’effet
interruptif de l’assignation originaire demeure, puisqu’il se révèle ainsi que
le litige n’avait, en réalité, pas « trouvé sa solution définitive»:
Cass. 3e civ.,
3 octobre 1978, n°77-10.937, publié au bulletin
Si les désordres invoqués constituent l’aggravation de
malfaçons révélées au cours du délai de garantie décennale et dont la
réparation a été ordonnée par une précédente décision judiciaire, les juges du
fond écartent à bon droit l’exception tirée de l’expiration du délai en
question, dès lors interrompu par l’assignation initiale.
Sans notre affaire, la Cour de
cassation, en faisant peser la charge de la preuve de la non imputabilité des dommages nouveaux à l’assureur de
dommages-ouvrage, renforce incontestablement la protection de l’assuré, en obligeant
dorénavant les assureurs de dommages-ouvrage a plus d’expertise dans la
détermination des causes des dommages et des travaux de réparation. Ils
devront, notamment pour des sinistres de cette nature, s’entourer d’un
florilège de techniciens, d’experts, en mesure de déterminer avec précision le
fait générateur du dommage et la réparation la plus efficace pour éradiquer
définitivement la source du sinistre.
L’indemnisation devra être fondée sur des propositions de réparation
d’entreprises spécialisées selon la nature des dommages.
Mais, cette décision facilite, aussi,
le contournement de la forclusion décennale. En effet, en dispensant l’assuré
par police de dommages-ouvrage d’établir l’imputabilité du nouveau sinistre aux
travaux de réparation effectués ou au désordre initial, elle lui permet de
mettre en œuvre, plus aisément, la garantie de l’assureur pour un dommage
survenu après l’expiration du délai décennal. Certains diront, cependant, qu’il
ne s’agit pas d’un dommage nouveau mais d’un dommage mal réparé…
Un nouveau pas (et de taille !...)
se trouve ainsi franchi, alors que s’approche le 40ème anniversaire
de la « loi Spinetta ». Décidément, le droit de l’assurance
construction ne finira jamais de se ... construire. Faut-il s’en
plaindre ?
François-Xavier AJACCIO et Albert
CASTON
Voir également François-Xavier AJACCIO : bulletin assurances 272, sept. 2017 EL, p.1.
[1] Cass., 1er civ., 31 octobre
2012, n°11-24.324, Bull ;
[2] Voir jurisprudences semblables pour des
professionnels tenus d’une obligation de résultat : 1er Civ., 3
juin 2015, n° 14-17.326 ; 1er Civ., 17 février 2016, n° 15-14.012
[3] Cass. 3e civ., 7 décembre 2005,
n° 04-17.418, Bull. (résumé); 3e civ., 24 mai 2006, n°05-11.708,
Bull. ; 3e civ., 20 juin
2007, n°06-15.686 ; 3e civ., 11 février 2009, n°07-21.761, Bull.
[4] Cass. 1er civ., 11 septembre 2013, n°12-20.715 ; 3e
civ, 5 juin 2012, n°11-16.104
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