mardi 16 mars 2021

L'action du maître de l'ouvrage contre l'assureur d'un locateur d'ouvrage, qui se prescrit par le délai de l'article 2270, ne peut être exercée au-delà de ce délai que tant que l'assureur reste exposé au recours de l'article L. 114-1 du code des assurances

 Note Pagès-de-Varenne, Const.-urb. 2021-4, p. 24.

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 4 mars 2021




Cassation partielle sans renvoi


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 222 F-D

Pourvoi n° U 19-23.415




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 4 MARS 2021

La société Allianz IARD, société anonyme, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° U 19-23.415 contre l'arrêt rendu le 25 juillet 2019 par la cour d'appel de Nîmes (2e chambre, section A), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Immobilière de l'Aubradou, société civile immobilière, dont le siège est [...] ,

2°/ à M. L... P..., domicilié [...] , pris en qualité de mandataire judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de redressement de la société immobilière de l'Aubradou,

3°/ à M. M... P..., domicilié [...] ,

4°/ à M. S... F..., domicilié [...] ,

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Nivôse, conseiller, les observations de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat de la société Allianz IARD, de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de la société Immobilière de l'Aubradou et de M. P..., ès qualités, après débats en l'audience publique du 26 janvier 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Nivôse, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Allianz IARD du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. M....

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 25 juillet 2019), la société Immobilière de L'Aubradou (la société L'Aubradou), placée depuis en liquidation judiciaire, a confié à M. F..., assuré auprès de la société Assurances générales de France, l'installation de dispositifs de ventilation mécanique dans des logements à rénover.

3. Se plaignant de désordres, elle a assigné M. F... en référé-expertise dans le courant du mois de novembre 2007.

4. Après le dépôt du rapport d'expertise, la société L'Aubradou et son liquidateur judiciaire ont assigné M. F... en indemnisation des préjudices. Par acte du 5 septembre 2016, celui-ci a appelé à l'instance la société Allianz, venant aux droits de la société Assurances générales de France. Par conclusions du 16 janvier 2017, la demande indemnitaire de la société L'Aubradou a été dirigée également contre l'assureur.

Examen des moyens Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. La société Allianz fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir soulevée contre la demande formée contre elle par la société L'Aubradou et de la condamner, solidairement avec M. F..., à payer à la société L'Aubradou une certaine somme au titre de son préjudice matériel, alors « que le constructeur est déchargé des responsabilités et garanties pesant sur lui après dix ans à compter de la réception des travaux ; que si l'action de la victime contre l'assureur de responsabilité décennale trouve son fondement dans le droit de la victime à réparation de son préjudice et se prescrit par le même délai que l'action de la victime contre le responsable, cette action ne peut cependant être exercée contre l'assureur que tant que celui-ci est encore exposé à un recours de son assuré ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que la société l'Aubradou, maître d'ouvrage, a confié des travaux de pose de ventilations mécaniques à M. F..., constructeur, qui ont été réceptionnés, tacitement, le 5 mai 2006 ; que plusieurs désordres de nature décennale se sont ensuite révélés dans l'ouvrage ; que la société l'Aubradou a assigné en référé expertise M. F... au mois de novembre 2007 ; que M. F... n'a toutefois assigné en garantie la société Allianz IARD, assureur de responsabilité décennale, que le 5 septembre 2016, soit plus de dix ans après la réception de l'ouvrage, et plus de deux ans après que l'assuré a été assigné par le maître de l'ouvrage ; que par conclusions du 16 janvier 2017, la société l'Aubradou a également sollicité la garantie de la société Allianz IARD, au titre de l'action directe qu'elle prétendait pouvoir exercer à son encontre ; qu'en jugeant que l'action de la société l'Aubradou était recevable aux motifs que son action directe pouvait « être exercée aussi longtemps que l'assureur de responsabilité se trouv[ait] exposé au recours de son assuré », tandis qu'elle avait jugé que l'action de M. F... contre la société Allianz IARD était prescrite, ce dont il résultait que l'assureur n'était plus exposé au recours de son assuré, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, violant ainsi les articles 1792 du code civil et 2270 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2270 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 17 juin 2008, et L. 114-1 du code des assurances :

6. Selon le premier de ces textes, toute personne physique ou morale dont la responsabilité peut être engagée en vertu des articles 1792 à 1792-4 du code civil est déchargée des responsabilités et garanties pesant sur elle, en application des articles 1792 à 1792-2, après dix ans à compter de la réception des travaux.

7. Selon le second, toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y donne naissance et, quand l'action de l'assuré contre l'assureur a pour cause le recours d'un tiers, le délai de la prescription ne court que du jour où ce tiers a exercé une action en justice contre l'assuré ou a été indemnisé par ce dernier.

8. L'action du maître de l'ouvrage contre l'assureur d'un locateur d'ouvrage, qui se prescrit par le délai décennal fixé par le premier texte, ne peut être exercée au-delà de ce délai que tant que l'assureur reste exposé au recours de son assuré en application du second texte.

9. Pour rejeter la fin de non-recevoir soulevée par la société Allianz, l'arrêt retient que l'action directe du maître de l'ouvrage n'est pas enfermée dans le délai de prescription biennale et peut être exercée aussi longtemps que l'assureur de responsabilité se trouve exposé au recours de son assuré, c'est-à-dire dans les deux années qui suivent la réclamation de la victime, et que la société L'Aubradou, non tenue par le délai de deux ans fixé par l'article L. 114-1 du code des assurances, est fondée à rechercher la garantie de la société Allianz.

10. En statuant ainsi, après avoir constaté que la société L'Aubradou avait agi en indemnisation contre la société Allianz plus de dix ans après la réception des travaux, intervenue le 5 mai 2006, et que l'action de M. F... contre son assureur était prescrite pour avoir été exercée plus de deux ans après son assignation en référé-expertise, ce dont il résultait que, à la date de l'action diligentée contre elle par la société L'Aubradou, la société Allianz ne se trouvait plus exposée au recours de son assuré, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

11. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

12. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la fin de non-recevoir soulevée par la société Allianz contre la demande formée contre elle au profit de la société L'Aubradou et qu'il la condamne, solidairement avec M. F..., à payer à la société L'Aubradou la somme de 125 334 euros au titre de son préjudice matériel, l'arrêt rendu le 25 juillet 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Déclare irrecevables les demandes formées par la société Immobilière de L'Aubradou contre la société Allianz IARD ;

Dit que les dépens de première instance et d'appel seront supportés par M. F... ;

Condamne la société Immobilière de L'Aubradou aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

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