mardi 16 mars 2021

Assurance-construction, exclusion pour abandon de chantier

 Note L. Karila, RGDA 2021-4, p. 25.

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 3

CM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 4 mars 2021




Cassation partielle


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 188 F-D


Pourvois n°
E 19-21.309
C 19-23.078 JONCTION






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 4 MARS 2021

I. M. F... Q..., domicilié [...] ,
a formé le pourvoi n° E 19-21.309 contre un arrêt rendu le 25 juin 2019 par la cour d'appel de Chambéry (chambre civile, 1re section), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. K... U...,

2°/ à Mme A... M..., épouse U...,

tous deux domiciliés [...],

3°/ à la société Elite Insurance Uk Branch, dont le siège est [...],

défendeurs à la cassation.

II. 1°/ M. K... U...,

2°/ Mme A... M..., épouse U...,

ont formé le pourvoi n° C 19-23.078 contre le même arrêt, dans le litige les opposant :

1°/ à M. F... Q...,

2°/ à la société Elite Insurance Company Ltd,

défendeurs à la cassation.

Le demandeur au pourvoi n° E 19-21.309 invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Les demandeurs au pourvoi n° C 19-23.078 invoquent, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de Mme Renard, conseiller référendaire, les observations de Me Le Prado, avocat de M. Q..., la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. et Mme U..., et après débats en l'audience publique du 12 janvier 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Renard, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° E 19-21.309 et n° C 19-23.078 sont joints.

Désistement partiel

2. Il est donné acte à M. et Mme U... du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Elite insurance UK branch (la société Elite).

Faits et procédure

3. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 25 juin 2019), le 23 mai 2014 en vue d'agrandir et de rénover une maison d'habitation, M. et Mme U... ont conclu une convention de maîtrise d'oeuvre avec M. Q..., assuré auprès de la société Elite au titre de sa responsabilité civile professionnelle et décennale.

4. Ils ont confié divers lots à M. R..., qui a, au mois d'avril 2015, abandonné le chantier, puis a été mis en liquidation judiciaire.

5. M. et Mme U... ont, après expertise, assigné M. Q... et la société Elite en indemnisation.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi n° 19-21.309 et le premier moyen du pourvoi n° 19-23.078, ci-après annexés

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen du pourvoi n° 19-21.309, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile

Énoncé du moyen

7. M. Q... fait grief à l'arrêt de rejeter les demandes contre la société Elite, alors :

« 1°/ que les juges du fond ne peuvent dénaturer le sens et la portée d'une clause claire et précise d'un contrat ; que pour dénier sa garantie à M. Q..., son assureur, la société Elite insurance invoquait une clause d'exclusion de garantie au terme de laquelle l'abandon de chantier était exclu des garanties ; qu'en déclarant que cette exclusion de garantie devait s'appliquer même si l'abandon de chantier n'était pas du fait de l'assuré, en ce que le chantier « [devait] être considéré comme arrêté si plus aucune entreprise n'y travaill[ait], quand bien même le maître d'oeuvre [en l'occurrence l'assuré] aurait mis en demeure l'entreprise principale de venir finir les travaux », et qu'un procès-verbal de constat du 17 avril 2015 avait relevé l'absence d'entreprises sur le chantier à cette date, la cour d'appel, qui a ainsi, sous couvert d'interprétation, dénaturé les termes du contrat d'assurance de responsabilité civile professionnelle et décennale contracté par M. Q... auprès de la société Elite insurance, a violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°/ qu'en déclarant pour écarter la garantie de la société Elite insurance, que l'exclusion de garantie invoquée par l'assureur, au terme de laquelle l'abandon de chantier était exclu des garanties devait recevoir application en ce que le chantier « [devait] être considéré comme arrêté si plus aucune entreprise n'y travaill[ait], quand bien même le maître d'oeuvre [l'assuré] aurait mis en demeure l'entreprise principale de venir finir les travaux », et qu'un procès-verbal de constat du 17 avril 2015 avait relevé l'absence d'entreprises sur le chantier à cette date, sans rechercher s'il ne résultait pas du rapport d'expertise judiciaire que l'abandon, à le supposer réel, ne pouvait fonder l'exclusion de garantie, dans la mesure où il était intervenu tardivement, après que des phases de travaux aient été validées de façon formelle par simple constat d'enclenchement des tâches, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 et de l'article L.113-1 du code des assurances ;

3°/ subsidiairement que pour être valable, une clause d'exclusion doit être claire et précise et formelle et limitée, ce qu'exclut la nécessité d'interpréter le contrat ; que pour écarter la garantie de la société Elite insurance, la cour d'appel a estimé que l'exclusion de garantie invoquée par l'assureur, au terme de laquelle l'abandon de chantier était exclu des garanties devait recevoir application en ce que le chantier « [devait] être considéré comme arrêté si plus aucune entreprise n'y travaill[ait], quand bien même le maître d'oeuvre [l'assuré] aurait mis en demeure l'entreprise principale de venir finir les travaux », et qu'un procès-verbal de constat du 17 avril 2015 avait relevé l'absence d'entreprises sur le chantier à cette date ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, si elle n'a pas dénaturé la clause d'exclusion litigieuse, l'a à tout le moins interprétée ; qu'il résulte de la nécessité même de cette interprétation que la clause n'était donc pas formelle et limitée ; que la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble l'article L.113-1 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

8. D'une part, M. Q... n'ayant pas soutenu dans ses conclusions d'appel que la clause d'exclusion de garantie n'était pas formelle et limitée, le moyen est nouveau, mélangé de fait et de droit.

9. D'autre part, la cour d'appel a retenu, sans dénaturation, que l'abandon de chantier visé par la clause d'exclusion de garantie était un chantier arrêté sur lequel aucune entreprise ne travaillait, quand bien même le maître d'oeuvre aurait mis en demeure l'entreprise principale de finir les travaux, et qu'il résultait du constat d'huissier de justice du 17 avril 2015 et du rapport d'expertise que le chantier avait été abandonné par l'entreprise ayant à sa charge la plupart des corps d'état.

10. Elle a, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérantes exactement déduit que l'exclusion de garantie pour abandon de chantier en cours s'appliquait et que la société Elite ne devait pas sa garantie.

11. Le moyen, pour partie irrecevable, n'est donc pas fondé pour le surplus.

Sur le troisième moyen du pourvoi n° 19-23.078, ci-après annexé

12. Il n'y a pas lieu de statuer sur ce moyen en raison du désistement par M. et Mme U... de leur pourvoi à l'égard de la société Elite.

Mais sur le second moyen du pourvoi n° 19-23.078, pris en sa première branche

Énoncé du moyen

13. M. et Mme U... font grief à l'arrêt de condamner M. Q... à leur payer la seule somme de 77 544 euros, à titre de dommages-intérêts, en réparation de leurs préjudices immatériels, alors « que le juge ne peut pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en l'espèce, il ressortait des énonciations claires et précises du jugement du Tribunal de grande instance de Thonon les Bains du 26 septembre 2017 que les premiers juges avaient indemnisé les coûts de location d'un appartement jusqu'au 1er avril 2017, les coûts de stockage de la cuisine jusqu'au 2 octobre 2017 et les coûts de garde-meubles jusqu'au 26 décembre 2017 ; qu'en affirmant que les premiers juges avaient indemnisé les préjudices immatériels des époux U... jusqu'à la fin du mois d'avril 2018, la cour d'appel a dénaturé le jugement précité du 26 septembre 2017, violant ainsi l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

14. Pour évaluer ces préjudices, l'arrêt retient que, selon le jugement déféré, l'indemnisation était due pour une période de vingt-quatre mois, en prenant en considération douze mois de retard acquis au 1er avril 2016, outre douze mois pour les travaux de reprise, et qu'ainsi les premiers juges ont indemnisé de façon exacte les préjudices immatériels de M. et Mme U... jusqu'à la fin du mois d'avril 2018.

15. En statuant ainsi, alors que le jugement avait indemnisé les coûts de location d'un appartement jusqu'au mois d'avril 2017, du stockage de la cuisine jusqu'au 2 octobre 2017 et d'un garde-meuble jusqu'au 26 septembre 2017, la cour d'appel, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite la condamnation de M. Q... au titre des préjudices immatériels à la somme de 77 544 euros, l'arrêt rendu le 25 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ;

Renvoie devant la cour d'appel de Chambéry autrement composée ;

Condamne M. Q... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. Q... et le condamne à payer à M. et Mme U... la somme de 3 000 euros.

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