Cour de cassation - Chambre civile 3
- N° de pourvoi : 19-19.443
- ECLI:FR:CCASS:2021:C300224
- Non publié au bulletin
- Solution : Rejet
Audience publique du jeudi 04 mars 2021
Décision attaquée : Cour d'appel de Rennes, du 16 mai 2019Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
CM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 4 mars 2021
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 224 F-D
Pourvoi n° B 19-19.443
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 4 MARS 2021
La société Sonige, société civile immobilière, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° B 19-19.443 contre l'arrêt rendu le 16 mai 2019 par la cour d'appel de Rennes (4e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ au syndicat de copropriété résidence du théâtre, dont le siège est [...] , représenté par son syndic la société A.M.C.L. Immobilier, dont le siége [...] ,
2°/ à la société Résidence du théâtre, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,
3°/ à la société Langlois, société civile immobilière, dont le siège est [...] ,
4°/ à la société Laurent et associés, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,
5°/ à la société MMA IARD assurances mutuelles, société d'assurances mutuelles, dont le siège est [...] ,
6°/ à la société la Mutuelle architectes français, société d'assurances mutuelles, dont le siège est [...] ,
7°/ à la société MMA IARD, société anonyme, dont le siège est [...] ,
défendeurs à la cassation.
Les sociétés Résidence du théâtre et Langlois ont formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident contre le même arrêt ;
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Les demanderesses au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de la société Sonige, de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat des sociétés Résidence du théâtre et Langlois, de la SCP Boulloche, avocat de la société Laurent et associés, de la société la Mutuelle architectes français, de Me Le Prado, avocat des sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD, et après débats en l'audience publique du 26 janvier 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 16 mai 2019), la société civile immobilière Langlois et la société Résidence du théâtre ont réhabilité, à la suite d'un incendie, un immeuble leur appartenant sous la maîtrise d'oeuvre de la société Laurent et associés, assurée auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF), une assurance dommages-ouvrage ayant été souscrite auprès de la société MMA.
2. La réception des travaux a été prononcée le 19 novembre 2004.
3. En 2008, invoquant le mauvais état d'une cheminée mitoyenne, la société civile immobilière Sonige (la SCI Sonige), propriétaire de l'immeuble voisin, a assigné en référé-expertise le syndicat des copropriétaires de la résidence du théâtre. L'expert désigné a conclu à une menace d'effondrement de la cheminée et préconisé des mesures d'urgence.
4. La société civile immobilière Langlois et la société Résidence du théâtre ont assigné en référé-expertise les intervenants à l'opération de réhabilitation et leurs assureurs, ainsi que le syndicat des copropriétaires de la résidence du théâtre, les opérations d'expertise ayant été ultérieurement rendues communes à la SCI Sonige.
5. Les travaux de consolidation de la cheminée ont été réalisés à frais partagés entre le syndicat des copropriétaires de la résidence du théâtre et la SCI Sonige.
6. Invoquant, notamment, la perte locative résultant de l'impossibilité de mettre en location les appartements lui appartenant en raison de l'état de la cheminée mitoyenne, la SCI Sonige a assigné en réparation les sociétés Langlois, Résidence du théâtre, la MAF et le syndicat des copropriétaires de la résidence du théâtre. La société MMA a été appelée en garantie.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. La SCI Sonige fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes au titre du préjudice locatif, alors :
« 1°/ que sauf à ce qu'elle constitue un cas de force majeure ou la cause exclusive du dommage, la faute de la victime n'est qu'une cause d'exonération partielle de l'auteur dont la responsabilité est recherchée ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que les sociétés Langlois et La Résidence du Théâtre avaient commis une faute en renonçant, en 2003, à engager les travaux de réfection de leur cheminée mitoyenne avec l'immeuble de la société Sonige, et en ne modifiant pas leur position après avoir été averties du péril par cette dernière dès l'année suivante ; qu'en faisant ensuite état, s'agissant du préjudice locatif, de ce que la société Sonige avait elle-même fait preuve de négligence en ne saisissant pas le juge des référés avant le mois de mars 2008 afin d'exonérer les sociétés Langlois et La Résidence du Théâtre de toute responsabilité, sans constater que cette faute de la demanderesse aurait constitué pour ces dernières un cas de force majeure ou encore la cause exclusive du dommage, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1382 ancien devenu 1240 du code civil ;
2°/ que la perte de chance de bénéficier d'une éventualité favorable constitue un préjudice actuel et certain donnant lieu à réparation ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le préjudice locatif de la société Sonige s'analysait en une perte de chance de louer son bien ; qu'en s'en tenant ensuite, pour exclure tout droit à réparation de cette société, à observer que le taux d'occupation de l'immeuble était inférieur à 60 %, de sorte que la société Sonige n'avait perdu aucune chance de louer immédiatement la totalité de ses logements, quand il se déduisait de ses constatations que cette société avait à tout le moins perdu une chance de louer près de 60 % de ses logements, la cour d'appel a violé l'article 1382 ancien devenu 1240 du code civil, ensemble le principe de réparation intégrale ;
3°/ que la perte de chance de bénéficier d'une éventualité favorable constitue un préjudice actuel et certain donnant lieu à réparation ; qu'en retenant, pour exclure tout préjudice de la société Sonige, qu'il s'était écoulé un délai de deux ans entre la réception des travaux de réfection de la cheminée, intervenue le 6 juillet 2010, et la signature du premier bail en 2012, après avoir pourtant observé que la société Sonige avait vendu son bien le 30 novembre 2011, ce qui suffisait à expliquer que les logements n'aient pas été donnés plus tôt en location, la cour d'appel a statué par un motif inopérant, privant sa décision de base légale au regard de l'article 1382 ancien devenu 1240 du code civil ;
4°/ que la perte de chance de bénéficier d'une éventualité favorable constitue un préjudice actuel et certain donnant lieu à réparation ; qu'en s'appuyant sur la circonstance qu'il s'était écoulé un délai de deux ans entre la réception des travaux de réfection de la cheminée, intervenue le 6 juillet 2010, et la signature du premier bail, quand ce délai aurait permis à la société Sonige, si les travaux avaient été réalisés dès l'année 2004, de commencer à louer ses logements en 2006, soit cinq ans avant la vente de son bien, la cour d'appel, à cet égard également, a statué par un motif inopérant, et privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 ancien devenu 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
8. La cour d'appel, après avoir relevé que le préjudice locatif de la SCI Sonige ne pouvait s'analyser qu'en une perte de chance de mettre ses appartements en location, a retenu que la SCI Sonige, qui n'avait eu connaissance de la dangerosité de la cheminée mitoyenne, résultant de la vétusté et d'un défaut d'entretien, que par le rapport d'expertise déposé le 5 novembre 2008, ne justifiait pas de la location d'appartements durant les deux années ayant suivi la réalisation des travaux de consolidation de la cheminée, faisant ainsi ressortir qu'elle ne démontrait pas que ces appartements étaient destinés à être loués avant la revente de l'immeuble intervenue le 30 novembre 2011.
9. Elle en a souverainement déduit, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, qu'elle n'établissait pas l'existence d'une perte de chance en lien direct avec l'état de vétusté de la cheminée.
10. Elle a ainsi légalement justifié sa décision.
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal et le moyen unique du pourvoi incident, réunis
Enoncé des moyens
11. Par son deuxième moyen, la SCI Sonige fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes à l'encontre de la société Laurent et associés et de la MAF, alors « que le tiers peut rechercher la responsabilité de l'auteur d'un manquement à une obligation contractuelle d'information et de conseil si ce manquement constitue une faute quasi-délictuelle à son égard ; qu'en l'espèce, la société Sonige s'attachait à démontrer que la société d'architecte Laurent et associés, maître d'oeuvre des travaux de rénovation de l'immeuble appartenant aux sociétés Langlois et La Résidence du Théâtre, avait omis d'alerter les maîtres de l'ouvrage de la nécessité de procéder à la réfection de la cheminée mitoyenne avec l'immeuble de la société Sonige ; qu'en se bornant à relever que la société Laurent et associés avait initialement prévu des travaux de réfection de la cheminée ensuite refusés par les maîtres d'ouvrage, pour en déduire qu'elle avait ainsi satisfait à son obligation d'information et de conseil, sans rechercher, comme il lui était demandé, si cet architecte avait alerté les maîtres d'ouvrage de la nécessité de réaliser ces travaux compte tenu de l'état de dangerosité que présentait la cheminée, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1382 ancien devenu 1240 du code civil. »
12. Par son moyen unique, la société civile immobilière Langlois et la société Résidence du théâtre font grief à l'arrêt de rejeter leur appel en garantie contre la société Laurent et associés et la MAF, alors :
« 1°/ que l'architecte chargé d'une mission complète de maîtrise d'oeuvre est tenu d'une obligation de suivi des travaux et de conseil vis à vis de son client profane ; qu'en cas de manquement allégué à cette obligation, l'architecte doit apporter la preuve de ce qu'il a averti le maître de l'ouvrage des risques encourus, notamment, en raison de l'état et de la fragilité d'un élément de l'ouvrage ; que dans leurs conclusions, les sociétés Langlois et Résidence du théâtre soutenaient n'avoir jamais été informées de la nécessité d'entreprendre des travaux d'urgence pour remédier à un risque d'effondrement de la cheminée ; que si des travaux avaient effectivement été envisagés dans le cadre d'un projet global, ceux-ci avaient été perdus de vue sans que l'architecte n'insiste, dans le cadre de sa mission de suivi de projet, sur l'urgence de ces travaux nécessaires à la solidité de l'ouvrage ; qu'en se bornant à constater, pour exonérer l'architecte de sa responsabilité, que des travaux avaient été préconisés et chiffrés avant d'être reportés par décision des maîtres de l'ouvrage, sans cependant rechercher si l'architecte avait effectivement informé les maîtres de l'ouvrage des risques inhérents à un report des travaux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
2°/ que le juge doit indiquer et analyser, fût-ce sommairement, les pièces au vu desquelles il se détermine ; qu'en se bornant à énoncer, pour exonérer l'architecte de toute responsabilité s'agissant de son obligation de conseil, que contrairement à ce que les sociétés Langlois et Résidence du théâtre tentent de faire croire, elles avaient été informées de la nécessité de consolider la cheminée, sans mentionner ni analyser les documents de preuve sur lesquels elle se serait fondée et qui révéleraient que les maîtres d'ouvrage avaient effectivement été informés par l'architecte des dangers d'un report des travaux de la cheminée, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
13. La cour d'appel a relevé que le maître d'oeuvre avait préconisé des travaux de démolition et de reconstruction de la partie haute de la cheminée, adaptés à son état de vétusté, et avait soumis aux maîtres de l'ouvrage un devis qui avait été accepté avant que ceux-ci, informés de cette nécessité, décidassent, comme cela résultait d'une situation du lot gros oeuvre et d'une lettre de l'entreprise chargée de ce lot, de renoncer aux travaux de confortement de la cheminée.
14. Ayant retenu, par motifs adoptés, que les maîtres de l'ouvrage auraient dû, en toute hypothèse, supporter la moitié du coût des travaux de confortement de la cheminée mitoyenne si ceux-ci avaient été entrepris durant l'opération de réhabilitation de leur immeuble, elle n'était pas tenue de procéder à une recherche relative à l'absence d'information sur les risques inhérents à un report des travaux que ses constatations rendaient inopérante.
15. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel, qui a pu retenir que la société Laurent et associés n'avait pas engagé sa responsabilité contractuelle à l'égard des maîtres de l'ouvrage au titre d'un manquement à son obligation d'information et de conseil, en a exactement déduit que la demande formée par la SCI Sonige sur le fondement de la responsabilité délictuelle de l'architecte prise d'un manquement contractuel ne pouvait être accueillie.
16. Elle a ainsi légalement justifié sa décision.
Sur le troisième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
17. La SCI Sonige fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes à l'encontre du syndicat des copropriétaires de la résidence du théâtre, alors :
« 1°/ que constitue un trouble anormal de voisinage le dommage qui excède les inconvénients normaux de voisinage ; que ce dommage et ses suites donnent lieu à réparation lorsqu'ils trouvent leur origine dans le comportement, même non fautif, du propriétaire voisin, y compris quand ils procèdent du défaut de réparation d'un ouvrage mitoyen ; qu'en rejetant en l'espèce les demandes indemnitaires formées par la société Sonige à l'encontre du syndicat des copropriétaires de l'immeuble voisin pour cette raison que les parties étaient toutes deux propriétaires mitoyens de la cheminée litigieuse, quand les demandes de la société Sonige ne portaient pas sur la prise en charge du coût de réparation de la cheminée, mais sur la perte locative que l'inaction de la copropriété voisine lui avait occasionnée, la cour d'appel a violé les articles 544, 651, 655 du code civil, ensemble le principe selon lequel nul ne peut causer à autrui un trouble anormal de voisinage ;
2°/ que le propriétaire d'un immeuble est responsable des préjudices causés aux propriétaires voisins à raison d'un défaut d'entretien de son bien ; qu'il en va de même à l'égard du copropriétaire mitoyen si le défaut d'entretien est seulement imputable à ce propriétaire ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations des juges que la société Sonige avait, dès 2004, sollicité les copropriétaires voisins afin de faire réaliser des travaux de réfection de la cheminée mitoyenne, et qu'elle avait encore sollicité à même fin le syndicat des copropriétaires au mois de février 2007, lequel avait refusé toute intervention au prétexte que la cheminée n'était pas plus dégradée que d'autres cheminées du quartier ; qu'en écartant toute responsabilité du syndicat des copropriétaires pour cette raison que la société Sonige n'avait pas pris d'autres initiatives au cours des années 2005 et 2006, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation des articles 544, 651 et 1382 ancien devenu 1240 du code civil, ensemble le principe selon lequel nul ne peut causer à autrui un trouble anormal de voisinage ;
3°/ que l'obligation d'un propriétaire d'entretenir son bien ne dépend pas de la question de la prise en charge financière de cet entretien ; qu'en excluant toute responsabilité du syndicat des copropriétaires de la résidence du Théâtre dans le défaut de remise en état de la cheminée mitoyenne pour cette raison que le propriétaire voisin, qui avait pris la peine de l'alerter sur la nécessité de consolider la cheminée, n'avait pas précisé que les travaux de réfection de cet ouvrage mitoyen s'effectueraient à frais partagés, la cour d'appel a statué par un motif inopérant, privant sa décision de base légale au regard des articles 544, 651, 655 et 1382 ancien devenu 1240 du code civil, ensemble le principe selon lequel nul ne peut causer à autrui un trouble anormal de voisinage. »
Réponse de la Cour
18. La cour d'appel, qui a souverainement retenu que la SCI Sonige ne justifiait pas de l'existence d'un préjudice locatif en lien direct avec l'état de vétusté de la cheminée mitoyenne, a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne la SCI Sonige aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
CIV. 3
CM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 4 mars 2021
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 224 F-D
Pourvoi n° B 19-19.443
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 4 MARS 2021
La société Sonige, société civile immobilière, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° B 19-19.443 contre l'arrêt rendu le 16 mai 2019 par la cour d'appel de Rennes (4e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ au syndicat de copropriété résidence du théâtre, dont le siège est [...] , représenté par son syndic la société A.M.C.L. Immobilier, dont le siége [...] ,
2°/ à la société Résidence du théâtre, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,
3°/ à la société Langlois, société civile immobilière, dont le siège est [...] ,
4°/ à la société Laurent et associés, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,
5°/ à la société MMA IARD assurances mutuelles, société d'assurances mutuelles, dont le siège est [...] ,
6°/ à la société la Mutuelle architectes français, société d'assurances mutuelles, dont le siège est [...] ,
7°/ à la société MMA IARD, société anonyme, dont le siège est [...] ,
défendeurs à la cassation.
Les sociétés Résidence du théâtre et Langlois ont formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident contre le même arrêt ;
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Les demanderesses au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de la société Sonige, de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat des sociétés Résidence du théâtre et Langlois, de la SCP Boulloche, avocat de la société Laurent et associés, de la société la Mutuelle architectes français, de Me Le Prado, avocat des sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD, et après débats en l'audience publique du 26 janvier 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 16 mai 2019), la société civile immobilière Langlois et la société Résidence du théâtre ont réhabilité, à la suite d'un incendie, un immeuble leur appartenant sous la maîtrise d'oeuvre de la société Laurent et associés, assurée auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF), une assurance dommages-ouvrage ayant été souscrite auprès de la société MMA.
2. La réception des travaux a été prononcée le 19 novembre 2004.
3. En 2008, invoquant le mauvais état d'une cheminée mitoyenne, la société civile immobilière Sonige (la SCI Sonige), propriétaire de l'immeuble voisin, a assigné en référé-expertise le syndicat des copropriétaires de la résidence du théâtre. L'expert désigné a conclu à une menace d'effondrement de la cheminée et préconisé des mesures d'urgence.
4. La société civile immobilière Langlois et la société Résidence du théâtre ont assigné en référé-expertise les intervenants à l'opération de réhabilitation et leurs assureurs, ainsi que le syndicat des copropriétaires de la résidence du théâtre, les opérations d'expertise ayant été ultérieurement rendues communes à la SCI Sonige.
5. Les travaux de consolidation de la cheminée ont été réalisés à frais partagés entre le syndicat des copropriétaires de la résidence du théâtre et la SCI Sonige.
6. Invoquant, notamment, la perte locative résultant de l'impossibilité de mettre en location les appartements lui appartenant en raison de l'état de la cheminée mitoyenne, la SCI Sonige a assigné en réparation les sociétés Langlois, Résidence du théâtre, la MAF et le syndicat des copropriétaires de la résidence du théâtre. La société MMA a été appelée en garantie.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. La SCI Sonige fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes au titre du préjudice locatif, alors :
« 1°/ que sauf à ce qu'elle constitue un cas de force majeure ou la cause exclusive du dommage, la faute de la victime n'est qu'une cause d'exonération partielle de l'auteur dont la responsabilité est recherchée ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que les sociétés Langlois et La Résidence du Théâtre avaient commis une faute en renonçant, en 2003, à engager les travaux de réfection de leur cheminée mitoyenne avec l'immeuble de la société Sonige, et en ne modifiant pas leur position après avoir été averties du péril par cette dernière dès l'année suivante ; qu'en faisant ensuite état, s'agissant du préjudice locatif, de ce que la société Sonige avait elle-même fait preuve de négligence en ne saisissant pas le juge des référés avant le mois de mars 2008 afin d'exonérer les sociétés Langlois et La Résidence du Théâtre de toute responsabilité, sans constater que cette faute de la demanderesse aurait constitué pour ces dernières un cas de force majeure ou encore la cause exclusive du dommage, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1382 ancien devenu 1240 du code civil ;
2°/ que la perte de chance de bénéficier d'une éventualité favorable constitue un préjudice actuel et certain donnant lieu à réparation ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le préjudice locatif de la société Sonige s'analysait en une perte de chance de louer son bien ; qu'en s'en tenant ensuite, pour exclure tout droit à réparation de cette société, à observer que le taux d'occupation de l'immeuble était inférieur à 60 %, de sorte que la société Sonige n'avait perdu aucune chance de louer immédiatement la totalité de ses logements, quand il se déduisait de ses constatations que cette société avait à tout le moins perdu une chance de louer près de 60 % de ses logements, la cour d'appel a violé l'article 1382 ancien devenu 1240 du code civil, ensemble le principe de réparation intégrale ;
3°/ que la perte de chance de bénéficier d'une éventualité favorable constitue un préjudice actuel et certain donnant lieu à réparation ; qu'en retenant, pour exclure tout préjudice de la société Sonige, qu'il s'était écoulé un délai de deux ans entre la réception des travaux de réfection de la cheminée, intervenue le 6 juillet 2010, et la signature du premier bail en 2012, après avoir pourtant observé que la société Sonige avait vendu son bien le 30 novembre 2011, ce qui suffisait à expliquer que les logements n'aient pas été donnés plus tôt en location, la cour d'appel a statué par un motif inopérant, privant sa décision de base légale au regard de l'article 1382 ancien devenu 1240 du code civil ;
4°/ que la perte de chance de bénéficier d'une éventualité favorable constitue un préjudice actuel et certain donnant lieu à réparation ; qu'en s'appuyant sur la circonstance qu'il s'était écoulé un délai de deux ans entre la réception des travaux de réfection de la cheminée, intervenue le 6 juillet 2010, et la signature du premier bail, quand ce délai aurait permis à la société Sonige, si les travaux avaient été réalisés dès l'année 2004, de commencer à louer ses logements en 2006, soit cinq ans avant la vente de son bien, la cour d'appel, à cet égard également, a statué par un motif inopérant, et privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 ancien devenu 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
8. La cour d'appel, après avoir relevé que le préjudice locatif de la SCI Sonige ne pouvait s'analyser qu'en une perte de chance de mettre ses appartements en location, a retenu que la SCI Sonige, qui n'avait eu connaissance de la dangerosité de la cheminée mitoyenne, résultant de la vétusté et d'un défaut d'entretien, que par le rapport d'expertise déposé le 5 novembre 2008, ne justifiait pas de la location d'appartements durant les deux années ayant suivi la réalisation des travaux de consolidation de la cheminée, faisant ainsi ressortir qu'elle ne démontrait pas que ces appartements étaient destinés à être loués avant la revente de l'immeuble intervenue le 30 novembre 2011.
9. Elle en a souverainement déduit, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, qu'elle n'établissait pas l'existence d'une perte de chance en lien direct avec l'état de vétusté de la cheminée.
10. Elle a ainsi légalement justifié sa décision.
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal et le moyen unique du pourvoi incident, réunis
Enoncé des moyens
11. Par son deuxième moyen, la SCI Sonige fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes à l'encontre de la société Laurent et associés et de la MAF, alors « que le tiers peut rechercher la responsabilité de l'auteur d'un manquement à une obligation contractuelle d'information et de conseil si ce manquement constitue une faute quasi-délictuelle à son égard ; qu'en l'espèce, la société Sonige s'attachait à démontrer que la société d'architecte Laurent et associés, maître d'oeuvre des travaux de rénovation de l'immeuble appartenant aux sociétés Langlois et La Résidence du Théâtre, avait omis d'alerter les maîtres de l'ouvrage de la nécessité de procéder à la réfection de la cheminée mitoyenne avec l'immeuble de la société Sonige ; qu'en se bornant à relever que la société Laurent et associés avait initialement prévu des travaux de réfection de la cheminée ensuite refusés par les maîtres d'ouvrage, pour en déduire qu'elle avait ainsi satisfait à son obligation d'information et de conseil, sans rechercher, comme il lui était demandé, si cet architecte avait alerté les maîtres d'ouvrage de la nécessité de réaliser ces travaux compte tenu de l'état de dangerosité que présentait la cheminée, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1382 ancien devenu 1240 du code civil. »
12. Par son moyen unique, la société civile immobilière Langlois et la société Résidence du théâtre font grief à l'arrêt de rejeter leur appel en garantie contre la société Laurent et associés et la MAF, alors :
« 1°/ que l'architecte chargé d'une mission complète de maîtrise d'oeuvre est tenu d'une obligation de suivi des travaux et de conseil vis à vis de son client profane ; qu'en cas de manquement allégué à cette obligation, l'architecte doit apporter la preuve de ce qu'il a averti le maître de l'ouvrage des risques encourus, notamment, en raison de l'état et de la fragilité d'un élément de l'ouvrage ; que dans leurs conclusions, les sociétés Langlois et Résidence du théâtre soutenaient n'avoir jamais été informées de la nécessité d'entreprendre des travaux d'urgence pour remédier à un risque d'effondrement de la cheminée ; que si des travaux avaient effectivement été envisagés dans le cadre d'un projet global, ceux-ci avaient été perdus de vue sans que l'architecte n'insiste, dans le cadre de sa mission de suivi de projet, sur l'urgence de ces travaux nécessaires à la solidité de l'ouvrage ; qu'en se bornant à constater, pour exonérer l'architecte de sa responsabilité, que des travaux avaient été préconisés et chiffrés avant d'être reportés par décision des maîtres de l'ouvrage, sans cependant rechercher si l'architecte avait effectivement informé les maîtres de l'ouvrage des risques inhérents à un report des travaux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
2°/ que le juge doit indiquer et analyser, fût-ce sommairement, les pièces au vu desquelles il se détermine ; qu'en se bornant à énoncer, pour exonérer l'architecte de toute responsabilité s'agissant de son obligation de conseil, que contrairement à ce que les sociétés Langlois et Résidence du théâtre tentent de faire croire, elles avaient été informées de la nécessité de consolider la cheminée, sans mentionner ni analyser les documents de preuve sur lesquels elle se serait fondée et qui révéleraient que les maîtres d'ouvrage avaient effectivement été informés par l'architecte des dangers d'un report des travaux de la cheminée, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
13. La cour d'appel a relevé que le maître d'oeuvre avait préconisé des travaux de démolition et de reconstruction de la partie haute de la cheminée, adaptés à son état de vétusté, et avait soumis aux maîtres de l'ouvrage un devis qui avait été accepté avant que ceux-ci, informés de cette nécessité, décidassent, comme cela résultait d'une situation du lot gros oeuvre et d'une lettre de l'entreprise chargée de ce lot, de renoncer aux travaux de confortement de la cheminée.
14. Ayant retenu, par motifs adoptés, que les maîtres de l'ouvrage auraient dû, en toute hypothèse, supporter la moitié du coût des travaux de confortement de la cheminée mitoyenne si ceux-ci avaient été entrepris durant l'opération de réhabilitation de leur immeuble, elle n'était pas tenue de procéder à une recherche relative à l'absence d'information sur les risques inhérents à un report des travaux que ses constatations rendaient inopérante.
15. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel, qui a pu retenir que la société Laurent et associés n'avait pas engagé sa responsabilité contractuelle à l'égard des maîtres de l'ouvrage au titre d'un manquement à son obligation d'information et de conseil, en a exactement déduit que la demande formée par la SCI Sonige sur le fondement de la responsabilité délictuelle de l'architecte prise d'un manquement contractuel ne pouvait être accueillie.
16. Elle a ainsi légalement justifié sa décision.
Sur le troisième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
17. La SCI Sonige fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes à l'encontre du syndicat des copropriétaires de la résidence du théâtre, alors :
« 1°/ que constitue un trouble anormal de voisinage le dommage qui excède les inconvénients normaux de voisinage ; que ce dommage et ses suites donnent lieu à réparation lorsqu'ils trouvent leur origine dans le comportement, même non fautif, du propriétaire voisin, y compris quand ils procèdent du défaut de réparation d'un ouvrage mitoyen ; qu'en rejetant en l'espèce les demandes indemnitaires formées par la société Sonige à l'encontre du syndicat des copropriétaires de l'immeuble voisin pour cette raison que les parties étaient toutes deux propriétaires mitoyens de la cheminée litigieuse, quand les demandes de la société Sonige ne portaient pas sur la prise en charge du coût de réparation de la cheminée, mais sur la perte locative que l'inaction de la copropriété voisine lui avait occasionnée, la cour d'appel a violé les articles 544, 651, 655 du code civil, ensemble le principe selon lequel nul ne peut causer à autrui un trouble anormal de voisinage ;
2°/ que le propriétaire d'un immeuble est responsable des préjudices causés aux propriétaires voisins à raison d'un défaut d'entretien de son bien ; qu'il en va de même à l'égard du copropriétaire mitoyen si le défaut d'entretien est seulement imputable à ce propriétaire ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations des juges que la société Sonige avait, dès 2004, sollicité les copropriétaires voisins afin de faire réaliser des travaux de réfection de la cheminée mitoyenne, et qu'elle avait encore sollicité à même fin le syndicat des copropriétaires au mois de février 2007, lequel avait refusé toute intervention au prétexte que la cheminée n'était pas plus dégradée que d'autres cheminées du quartier ; qu'en écartant toute responsabilité du syndicat des copropriétaires pour cette raison que la société Sonige n'avait pas pris d'autres initiatives au cours des années 2005 et 2006, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation des articles 544, 651 et 1382 ancien devenu 1240 du code civil, ensemble le principe selon lequel nul ne peut causer à autrui un trouble anormal de voisinage ;
3°/ que l'obligation d'un propriétaire d'entretenir son bien ne dépend pas de la question de la prise en charge financière de cet entretien ; qu'en excluant toute responsabilité du syndicat des copropriétaires de la résidence du Théâtre dans le défaut de remise en état de la cheminée mitoyenne pour cette raison que le propriétaire voisin, qui avait pris la peine de l'alerter sur la nécessité de consolider la cheminée, n'avait pas précisé que les travaux de réfection de cet ouvrage mitoyen s'effectueraient à frais partagés, la cour d'appel a statué par un motif inopérant, privant sa décision de base légale au regard des articles 544, 651, 655 et 1382 ancien devenu 1240 du code civil, ensemble le principe selon lequel nul ne peut causer à autrui un trouble anormal de voisinage. »
Réponse de la Cour
18. La cour d'appel, qui a souverainement retenu que la SCI Sonige ne justifiait pas de l'existence d'un préjudice locatif en lien direct avec l'état de vétusté de la cheminée mitoyenne, a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne la SCI Sonige aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
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