Cour de cassation - Chambre civile 3
- N° de pourvoi : 19-20.103
- ECLI:FR:CCASS:2021:C300225
- Non publié au bulletin
- Solution : Rejet
Audience publique du jeudi 04 mars 2021
Décision attaquée : Cour d'appel de Rennes, du 23 mai 2019Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
CM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 4 mars 2021
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 225 F-D
Pourvoi n° U 19-20.103
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 4 MARS 2021
1°/ M. F... D...,
2°/ Mme K... B...,
tous deux domiciliés [...] ,
ont formé le pourvoi n° U 19-20.103 contre l'arrêt rendu le 23 mai 2019 par la cour d'appel de Rennes (4e chambre), dans le litige les opposant :
1°/ à M. L... W..., domicilié [...] ,
2°/ à M. Y... O..., domicilié [...] ,
3°/ à Mme I... Q..., domiciliée [...] ,
défendeurs à la cassation.
Mme Q... et M. O... ont formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident contre le même arrêt ;
Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Les demandeurs au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de Me Le Prado, avocat de M. D... et Mme B..., de la SCP Boulloche, avocat de M. W..., de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. O... et Mme Q..., et après débats en l'audience publique du 26 janvier 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 23 mai 2019), en 2005, M. D... et Mme B... (les acquéreurs) ont acquis de Mme Q... et de M. O... (les vendeurs) un immeuble constitué de deux maisons anciennes que ceux-ci avaient fait rénover en confiant à M. W... une mission de maîtrise d'oeuvre, la réception des travaux ayant été prononcée le 21 décembre 2001.
2. Se plaignant d'infiltrations dans la véranda, de l'insuffisance du chauffage et de l'isolation thermique, ainsi que de la non-conformité du système d'assainissement, les acquéreurs ont, après expertise, assigné les vendeurs et M. W... en réparation.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal et sur le deuxième et le troisième moyens du pourvoi incident, réunis
Enoncé des moyens
3. Par leur premier moyen, M. D... et Mme B... font grief à l'arrêt de rejeter leur demande à l'encontre de M. W... au titre des travaux de reprise des désordres d'inadaptation du chauffage et de l'isolation, alors :
« 1°/ que la prise de risque du maître d'ouvrage comme cause exonératoire de responsabilité du constructeur ne peut être caractérisée que s'il a effectivement et réellement été informé des risques que pourrait présenter son choix de ne pas suivre les recommandations du maître d'oeuvre, dans leur ampleur et conséquences ; qu'il appartient au maître d'oeuvre de rapporter la preuve qu'il a exécuté son obligation de conseil et d'information ; que les consorts Q...-O... contestaient avoir reçu la lettre datée du 2 août 2001 selon laquelle M. W... les aurait informés des risques que présentaient le choix de n'installer qu'une pompe à chaleur de 12 kW en ce qu'elle ne couvrirait que 80 % des besoins de chauffage de l'immeuble ; qu'en retenant que les maîtres d'ouvrage avaient eu connaissance de ces éléments sans viser aucun document permettant de rapporter la preuve de l'envoi de cette lettre, la cour d'appel a violé l'article 1792 du code civil ensemble l'article 1353 du même code dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°/ que la prise de risque du maître d'ouvrage comme cause exonératoire de responsabilité du constructeur ne peut être caractérisée que s'il a effectivement et réellement été informé des risques que pourrait présenter son choix de ne pas suivre les recommandations du maître d'oeuvre, dans leur ampleur et conséquences ; qu'en se bornant à énoncer, pour retenir que les maîtres d'oeuvre avaient été informés des risques que présentaient le choix de n'installer qu'une pompe à chaleur de 12 kW en ce qu'elle ne couvrirait que 80 % des besoins de chauffage de l'immeuble, que les annotations figurant sur les devis de la société Voineau étaient relatives à la puissance de chauffage nécessaire, quand ces annotations indiquaient uniquement "besoin pour le grand logement 11.5 kW, pour le petit 6 kW", ces mesures étant inférieures à celles jugées insuffisantes par l'expert judiciaire, la cour d'appel, qui a statué par des motifs insuffisants à caractériser l'information effective des maîtres d'ouvrage sur les risques et les conséquences de leur choix, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792 du code civil ;
3°/ que la prise de risque du maître d'ouvrage comme cause exonératoire de responsabilité du constructeur suppose que soit établie son acceptation délibérée, répétée et non équivoque des risques ; qu'en retenant une prise de risque des consorts Q...-O... sans caractériser leur acceptation revêtant ces caractères tendant à l'installation d'un système de chauffage qui se révélerait insuffisant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792 du code civil. »
4. Par leur deuxième moyen, M. O... et Mme Q... font grief à l'arrêt de laisser à leur seule charge les réparations des désordres d'inadaptation du chauffage et de l'isolation, alors « que la seule circonstance que l'architecte aurait prétendument adressé une lettre le 2 août 2001 au maître de l'ouvrage, pour leur faire des réserves sur le mode de chauffage choisi par ce dernier, ne suffit pas à l'exonérer de sa responsabilité en tant que maître d'oeuvre, laquelle résulte de sa participation à la construction d'un édifice impropre à son usage normal ; que la cour d'appel a violé l'article 1792 du code civil. »
5. Par leur troisième moyen, M. O... et Mme Q... font grief à l'arrêt de rejeter leur appel en garantie au titre de l'insuffisance de l'isolation et du chauffage, alors :
« 1°/ que, comme ils le faisaient valoir, M. W... avait envers eux une responsabilité contractuelle en matière de conception et de conseil dans le domaine du chauffage ; qu'en s'abstenant totalement d'examiner la responsabilité de l'architecte à l'égard de ses mandants sur ce point, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 devenu 1217 du code civil ;
2°/ que le fait pour un professionnel de ne pas s'opposer à une solution qu'il sait inadaptée aux objectifs poursuivis par le maître de l'ouvrage, constitue une faute et qu'il ne peut donc s'exonérer totalement de la responsabilité qu'il encourt pour avoir accepté cette solution notoirement inadaptée, ce que soulignaient d'ailleurs les maîtres de l'ouvrage ; que la cour d'appel a violé l'article précité ;
3°/ qu'en toute hypothèse, le maître d'oeuvre qui a fait exécuter une solution notoirement inadaptée, fût-ce sur instructions du maître de l'ouvrage, ne peut pas s'exonérer de sa responsabilité encourue sur le fondement de l'article 1792 du code civil à l'égard de ces derniers ; que la cour d'appel a violé ledit texte. »
Réponse de la Cour
6. La cour d'appel a constaté que M. W..., maître d'oeuvre, se prévalait d'une lettre adressée le 2 août 2001 à M. et Mme O... leur conseillant de mettre l'immeuble en conformité avec la réglementation thermique RT 2000 par la réalisation d'un complément d'isolation en toiture, un doublage des murs extérieurs et la pose de doubles vitrages, leur précisant que leur choix de n'installer qu'une pompe à chaleur ne couvrirait que 80 % des besoins de chauffage et devrait être complété par des récupérateurs de chaleur et insistant sur la nécessité de réaliser des travaux d'isolation rapidement et sur le caractère provisoire de la solution retenue.
7. Elle a retenu, dans l'exercice de son pouvoir souverain, que, si les vendeurs contestaient avoir reçu cette lettre dont ils soulignaient le caractère tardif de la production, celle-ci avait été évoquée dès l'expertise amiable réalisée en 2006, que M. W... avait été destinataire d'une étude l'alertant sur l'impossibilité de chauffer l'immeuble au moyen de pompes à chaleur par manque d'isolation des murs et proposant une solution radicalement différente et beaucoup plus onéreuse, que les deux devis soumis aux maîtres de l'ouvrage comportaient des annotations relatives à la puissance du chauffage, démontrant qu'une discussion précise s'était établie entre le maître d'oeuvre et ceux-ci avant la signature du devis fixant leur choix, les réserves émises par M. W... quant à l'insuffisance de cette solution par sa lettre du 2 août 2001 s'intégrant dans le processus de décision engagée.
8. Elle a pu en déduire, après avoir relevé que Mme Q... était, à cette époque, architecte d'intérieur, que les maîtres de l'ouvrage avaient, en toute connaissance de cause, choisi une solution de chauffage insuffisante au regard de l'absence d'isolation de l'immeuble à laquelle ceux-ci n'avaient pas souhaité remédier, faisant ainsi ressortir, qu'en l'état de l'acceptation délibérée du risque, qui leur avait été clairement signalé, d'un déficit de chauffage en l'absence de travaux d'isolation, M. W... était fondé à invoquer une exonération totale de responsabilité en raison de l'impropriété à destination dénoncée, quatre ans plus tard, par les acquéreurs.
9. La cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, a ainsi légalement justifié sa décision.
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
10. M. D... et Mme B... font grief à l'arrêt de rejeter leur demande au titre des récupérateurs de chaleur, alors « que le principe de réparation intégrale d'un dommage oblige à placer celui qui l'a subi dans la situation où il se serait trouvé si le comportement dommageable n'avait pas eu lieu ; que les consorts D... B... avaient acquis une maison équipée de récupérateurs à chaleur (inserts) qu'ils pensaient en état de fonctionnement ; qu'en déboutant de leur demande relative à la non- conformité des récupérateurs à chaleurs après avoir constaté que l'architecte reconnaissait être responsable à ce titre, que l'expert chiffrait des travaux de reprise pour remédier au préjudice subi et fournir à nouveau la maison d'un système de récupération de chaleur conforme, notamment par la pose d'insert, aux motifs impropres, d'une part, que l'expert judiciaire indiquait qu'il convenait de revenir aux foyers ouverts initiaux et que la pose d'insert imposerait des précautions particulières de compatibilité avec la VMC et, d'autre part, que dès lors que l'immeuble disposera d'une isolation adaptée, le complément de chauffage apporté par les inserts ne se justifiera plus, la cour d'appel a violé le principe de réparation intégrale du préjudice, ensemble les articles 1147 et 1792 du code civil. »
Réponse de la Cour
11. La cour d'appel a souverainement retenu que la pose de nouveaux inserts, destinés à assurer un complément de chauffage, en remplacement de ceux qui avaient été déposés en début d'expertise, ne se justifiait plus en l'état des travaux de reprise de l'isolation thermique dont le coût avait été mis à la charge des vendeurs et en a déduit, sans méconnaître le principe de réparation intégrale, que la demande formée à ce titre par les acquéreurs ne pouvait être accueillie.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
13. M. D... et Mme B... font grief à l'arrêt de rejeter leur demande à l'encontre de M. W... au titre des travaux de reprise de l'assainissement, alors « que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ; que l'architecte chargé d'un projet, tenu de s'assurer de sa faisabilité au regard des contraintes techniques des existants, commet une faute en s'abstenant de vérifier que le système d'assainissement existant peut supporter l'ajout d'une salle d'eau et d'un WC ; qu'en dégageant M. W... de toute responsabilité au titre du défaut de conformité de l'assainissement après avoir cependant constaté que celui-ci avait été en charge de créer une salle d'eau et un WC supplémentaire, ce qui lui imposait de vérifier la faisabilité de ce projet au regard du système d'assainissement existant, ce manquement constituant une faute délictuelle à l'égard de M. D... et Mme B..., la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »
Réponse de la Cour
14. La cour d'appel, qui a constaté que M. W... n'avait été chargé d'aucune mission relative à l'assainissement, a souverainement retenu qu'aucun élément ne permettait de considérer que la réalisation d'une salle d'eau et d'un WC dans l'annexe d'un bâtiment déjà équipé d'une salle de bains, d'une salle d'eau et d'un WC était de nature à justifier une éventuelle remise à niveau de l'installation.
15. Elle en a exactement déduit que la demande des acquéreurs au titre de la non-conformité de l'installation d'assainissement dirigée contre le maître d'oeuvre ne pouvait être accueillie.
16. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le quatrième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
17. M. D... et Mme B... font grief à l'arrêt de limiter les sommes allouées au titre des honoraires de maîtrise d'oeuvre et de coordination SPS, alors « que la cassation à intervenir sur les deuxième et troisième moyens du pourvoi entraînera par voie de conséquence celle du dispositif limitant à la somme de 6 002,38 euros TTC les honoraires de maîtrise d'oeuvre et à celle de 1 500,27 euros TTC au titre des honoraires de coordination SPS par application de l'article 624 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
18. La cassation n'étant pas prononcée sur les deuxième et troisième moyens, le grief tiré d'une annulation par voie de conséquence est devenu sans portée.
Sur le premier moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
19. M. O... et Mme Q... font grief de les condamner solidairement à garantir M. W... dans les proportions qu'il énonce, alors « que dans ses motifs la cour d'appel énonce, d'une part, que M. W... dont la faute de conception est établie dans la survenance des infiltrations provenant de la liaison entre la véranda et le mur est condamné à garantir les consorts Q...-O... des travaux de reprise de ce désordre et à proportion de leur montant, les frais de maîtrise d'oeuvre et de coordination et, d'autre part, que le retrait des récupérateurs de chaleur à compter du mois d'octobre 2008 a privé les consorts B... D... d'une source de chauffage complémentaire, de sorte que les manquements de M. W... ont contribué à la réalisation de leur préjudice résultant de la surconsommation d'énergie dans une proportion qu'il y a lieu de fixer, eu égard aux constats de l'expertise judiciaire à 15 % ; c'est par conséquent dans cette limite que M. W... devra garantir M. et Mme O... de l'indemnisation de ce chef de préjudice ainsi que de celle du préjudice de jouissance subi par les consorts B... D... ; que l'arrêt attaqué est ainsi attaché d'une irrémédiable contradiction entre ses motifs et son dispositif, en violation de l'article 455 du code de procédure civile, contradiction qui doit en entraîner la cassation. »
Réponse de la Cour
20. La contradiction dénoncée entre les motifs et le dispositif de l'arrêt résulte d'une erreur matérielle qui peut, selon l'article 462, du code de procédure civile, être réparée par la Cour de cassation à laquelle est déféré cet arrêt.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Ordonne la rectification de l'arrêt et dit qu'il y a lieu de remplacer les mots « Condamne solidairement M. Y... O... et Mme I... Q... à garantir M. L... W... » par les mots « Condamne M. W... à garantir M. O... et Mme Q... » et les mots « - à hauteur de 85 % des autres condamnations » par les mots « - à hauteur de 15 % des autres condamnations » ;
Dit que le présent arrêt sera transcrit en marge ou à la suite de la décision rectifiée ;
Laisse au demandeur la charge des dépens afférent à son pourvoi ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
CIV. 3
CM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 4 mars 2021
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 225 F-D
Pourvoi n° U 19-20.103
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 4 MARS 2021
1°/ M. F... D...,
2°/ Mme K... B...,
tous deux domiciliés [...] ,
ont formé le pourvoi n° U 19-20.103 contre l'arrêt rendu le 23 mai 2019 par la cour d'appel de Rennes (4e chambre), dans le litige les opposant :
1°/ à M. L... W..., domicilié [...] ,
2°/ à M. Y... O..., domicilié [...] ,
3°/ à Mme I... Q..., domiciliée [...] ,
défendeurs à la cassation.
Mme Q... et M. O... ont formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident contre le même arrêt ;
Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Les demandeurs au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de Me Le Prado, avocat de M. D... et Mme B..., de la SCP Boulloche, avocat de M. W..., de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. O... et Mme Q..., et après débats en l'audience publique du 26 janvier 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 23 mai 2019), en 2005, M. D... et Mme B... (les acquéreurs) ont acquis de Mme Q... et de M. O... (les vendeurs) un immeuble constitué de deux maisons anciennes que ceux-ci avaient fait rénover en confiant à M. W... une mission de maîtrise d'oeuvre, la réception des travaux ayant été prononcée le 21 décembre 2001.
2. Se plaignant d'infiltrations dans la véranda, de l'insuffisance du chauffage et de l'isolation thermique, ainsi que de la non-conformité du système d'assainissement, les acquéreurs ont, après expertise, assigné les vendeurs et M. W... en réparation.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal et sur le deuxième et le troisième moyens du pourvoi incident, réunis
Enoncé des moyens
3. Par leur premier moyen, M. D... et Mme B... font grief à l'arrêt de rejeter leur demande à l'encontre de M. W... au titre des travaux de reprise des désordres d'inadaptation du chauffage et de l'isolation, alors :
« 1°/ que la prise de risque du maître d'ouvrage comme cause exonératoire de responsabilité du constructeur ne peut être caractérisée que s'il a effectivement et réellement été informé des risques que pourrait présenter son choix de ne pas suivre les recommandations du maître d'oeuvre, dans leur ampleur et conséquences ; qu'il appartient au maître d'oeuvre de rapporter la preuve qu'il a exécuté son obligation de conseil et d'information ; que les consorts Q...-O... contestaient avoir reçu la lettre datée du 2 août 2001 selon laquelle M. W... les aurait informés des risques que présentaient le choix de n'installer qu'une pompe à chaleur de 12 kW en ce qu'elle ne couvrirait que 80 % des besoins de chauffage de l'immeuble ; qu'en retenant que les maîtres d'ouvrage avaient eu connaissance de ces éléments sans viser aucun document permettant de rapporter la preuve de l'envoi de cette lettre, la cour d'appel a violé l'article 1792 du code civil ensemble l'article 1353 du même code dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°/ que la prise de risque du maître d'ouvrage comme cause exonératoire de responsabilité du constructeur ne peut être caractérisée que s'il a effectivement et réellement été informé des risques que pourrait présenter son choix de ne pas suivre les recommandations du maître d'oeuvre, dans leur ampleur et conséquences ; qu'en se bornant à énoncer, pour retenir que les maîtres d'oeuvre avaient été informés des risques que présentaient le choix de n'installer qu'une pompe à chaleur de 12 kW en ce qu'elle ne couvrirait que 80 % des besoins de chauffage de l'immeuble, que les annotations figurant sur les devis de la société Voineau étaient relatives à la puissance de chauffage nécessaire, quand ces annotations indiquaient uniquement "besoin pour le grand logement 11.5 kW, pour le petit 6 kW", ces mesures étant inférieures à celles jugées insuffisantes par l'expert judiciaire, la cour d'appel, qui a statué par des motifs insuffisants à caractériser l'information effective des maîtres d'ouvrage sur les risques et les conséquences de leur choix, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792 du code civil ;
3°/ que la prise de risque du maître d'ouvrage comme cause exonératoire de responsabilité du constructeur suppose que soit établie son acceptation délibérée, répétée et non équivoque des risques ; qu'en retenant une prise de risque des consorts Q...-O... sans caractériser leur acceptation revêtant ces caractères tendant à l'installation d'un système de chauffage qui se révélerait insuffisant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792 du code civil. »
4. Par leur deuxième moyen, M. O... et Mme Q... font grief à l'arrêt de laisser à leur seule charge les réparations des désordres d'inadaptation du chauffage et de l'isolation, alors « que la seule circonstance que l'architecte aurait prétendument adressé une lettre le 2 août 2001 au maître de l'ouvrage, pour leur faire des réserves sur le mode de chauffage choisi par ce dernier, ne suffit pas à l'exonérer de sa responsabilité en tant que maître d'oeuvre, laquelle résulte de sa participation à la construction d'un édifice impropre à son usage normal ; que la cour d'appel a violé l'article 1792 du code civil. »
5. Par leur troisième moyen, M. O... et Mme Q... font grief à l'arrêt de rejeter leur appel en garantie au titre de l'insuffisance de l'isolation et du chauffage, alors :
« 1°/ que, comme ils le faisaient valoir, M. W... avait envers eux une responsabilité contractuelle en matière de conception et de conseil dans le domaine du chauffage ; qu'en s'abstenant totalement d'examiner la responsabilité de l'architecte à l'égard de ses mandants sur ce point, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 devenu 1217 du code civil ;
2°/ que le fait pour un professionnel de ne pas s'opposer à une solution qu'il sait inadaptée aux objectifs poursuivis par le maître de l'ouvrage, constitue une faute et qu'il ne peut donc s'exonérer totalement de la responsabilité qu'il encourt pour avoir accepté cette solution notoirement inadaptée, ce que soulignaient d'ailleurs les maîtres de l'ouvrage ; que la cour d'appel a violé l'article précité ;
3°/ qu'en toute hypothèse, le maître d'oeuvre qui a fait exécuter une solution notoirement inadaptée, fût-ce sur instructions du maître de l'ouvrage, ne peut pas s'exonérer de sa responsabilité encourue sur le fondement de l'article 1792 du code civil à l'égard de ces derniers ; que la cour d'appel a violé ledit texte. »
Réponse de la Cour
6. La cour d'appel a constaté que M. W..., maître d'oeuvre, se prévalait d'une lettre adressée le 2 août 2001 à M. et Mme O... leur conseillant de mettre l'immeuble en conformité avec la réglementation thermique RT 2000 par la réalisation d'un complément d'isolation en toiture, un doublage des murs extérieurs et la pose de doubles vitrages, leur précisant que leur choix de n'installer qu'une pompe à chaleur ne couvrirait que 80 % des besoins de chauffage et devrait être complété par des récupérateurs de chaleur et insistant sur la nécessité de réaliser des travaux d'isolation rapidement et sur le caractère provisoire de la solution retenue.
7. Elle a retenu, dans l'exercice de son pouvoir souverain, que, si les vendeurs contestaient avoir reçu cette lettre dont ils soulignaient le caractère tardif de la production, celle-ci avait été évoquée dès l'expertise amiable réalisée en 2006, que M. W... avait été destinataire d'une étude l'alertant sur l'impossibilité de chauffer l'immeuble au moyen de pompes à chaleur par manque d'isolation des murs et proposant une solution radicalement différente et beaucoup plus onéreuse, que les deux devis soumis aux maîtres de l'ouvrage comportaient des annotations relatives à la puissance du chauffage, démontrant qu'une discussion précise s'était établie entre le maître d'oeuvre et ceux-ci avant la signature du devis fixant leur choix, les réserves émises par M. W... quant à l'insuffisance de cette solution par sa lettre du 2 août 2001 s'intégrant dans le processus de décision engagée.
8. Elle a pu en déduire, après avoir relevé que Mme Q... était, à cette époque, architecte d'intérieur, que les maîtres de l'ouvrage avaient, en toute connaissance de cause, choisi une solution de chauffage insuffisante au regard de l'absence d'isolation de l'immeuble à laquelle ceux-ci n'avaient pas souhaité remédier, faisant ainsi ressortir, qu'en l'état de l'acceptation délibérée du risque, qui leur avait été clairement signalé, d'un déficit de chauffage en l'absence de travaux d'isolation, M. W... était fondé à invoquer une exonération totale de responsabilité en raison de l'impropriété à destination dénoncée, quatre ans plus tard, par les acquéreurs.
9. La cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, a ainsi légalement justifié sa décision.
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
10. M. D... et Mme B... font grief à l'arrêt de rejeter leur demande au titre des récupérateurs de chaleur, alors « que le principe de réparation intégrale d'un dommage oblige à placer celui qui l'a subi dans la situation où il se serait trouvé si le comportement dommageable n'avait pas eu lieu ; que les consorts D... B... avaient acquis une maison équipée de récupérateurs à chaleur (inserts) qu'ils pensaient en état de fonctionnement ; qu'en déboutant de leur demande relative à la non- conformité des récupérateurs à chaleurs après avoir constaté que l'architecte reconnaissait être responsable à ce titre, que l'expert chiffrait des travaux de reprise pour remédier au préjudice subi et fournir à nouveau la maison d'un système de récupération de chaleur conforme, notamment par la pose d'insert, aux motifs impropres, d'une part, que l'expert judiciaire indiquait qu'il convenait de revenir aux foyers ouverts initiaux et que la pose d'insert imposerait des précautions particulières de compatibilité avec la VMC et, d'autre part, que dès lors que l'immeuble disposera d'une isolation adaptée, le complément de chauffage apporté par les inserts ne se justifiera plus, la cour d'appel a violé le principe de réparation intégrale du préjudice, ensemble les articles 1147 et 1792 du code civil. »
Réponse de la Cour
11. La cour d'appel a souverainement retenu que la pose de nouveaux inserts, destinés à assurer un complément de chauffage, en remplacement de ceux qui avaient été déposés en début d'expertise, ne se justifiait plus en l'état des travaux de reprise de l'isolation thermique dont le coût avait été mis à la charge des vendeurs et en a déduit, sans méconnaître le principe de réparation intégrale, que la demande formée à ce titre par les acquéreurs ne pouvait être accueillie.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
13. M. D... et Mme B... font grief à l'arrêt de rejeter leur demande à l'encontre de M. W... au titre des travaux de reprise de l'assainissement, alors « que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ; que l'architecte chargé d'un projet, tenu de s'assurer de sa faisabilité au regard des contraintes techniques des existants, commet une faute en s'abstenant de vérifier que le système d'assainissement existant peut supporter l'ajout d'une salle d'eau et d'un WC ; qu'en dégageant M. W... de toute responsabilité au titre du défaut de conformité de l'assainissement après avoir cependant constaté que celui-ci avait été en charge de créer une salle d'eau et un WC supplémentaire, ce qui lui imposait de vérifier la faisabilité de ce projet au regard du système d'assainissement existant, ce manquement constituant une faute délictuelle à l'égard de M. D... et Mme B..., la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »
Réponse de la Cour
14. La cour d'appel, qui a constaté que M. W... n'avait été chargé d'aucune mission relative à l'assainissement, a souverainement retenu qu'aucun élément ne permettait de considérer que la réalisation d'une salle d'eau et d'un WC dans l'annexe d'un bâtiment déjà équipé d'une salle de bains, d'une salle d'eau et d'un WC était de nature à justifier une éventuelle remise à niveau de l'installation.
15. Elle en a exactement déduit que la demande des acquéreurs au titre de la non-conformité de l'installation d'assainissement dirigée contre le maître d'oeuvre ne pouvait être accueillie.
16. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le quatrième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
17. M. D... et Mme B... font grief à l'arrêt de limiter les sommes allouées au titre des honoraires de maîtrise d'oeuvre et de coordination SPS, alors « que la cassation à intervenir sur les deuxième et troisième moyens du pourvoi entraînera par voie de conséquence celle du dispositif limitant à la somme de 6 002,38 euros TTC les honoraires de maîtrise d'oeuvre et à celle de 1 500,27 euros TTC au titre des honoraires de coordination SPS par application de l'article 624 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
18. La cassation n'étant pas prononcée sur les deuxième et troisième moyens, le grief tiré d'une annulation par voie de conséquence est devenu sans portée.
Sur le premier moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
19. M. O... et Mme Q... font grief de les condamner solidairement à garantir M. W... dans les proportions qu'il énonce, alors « que dans ses motifs la cour d'appel énonce, d'une part, que M. W... dont la faute de conception est établie dans la survenance des infiltrations provenant de la liaison entre la véranda et le mur est condamné à garantir les consorts Q...-O... des travaux de reprise de ce désordre et à proportion de leur montant, les frais de maîtrise d'oeuvre et de coordination et, d'autre part, que le retrait des récupérateurs de chaleur à compter du mois d'octobre 2008 a privé les consorts B... D... d'une source de chauffage complémentaire, de sorte que les manquements de M. W... ont contribué à la réalisation de leur préjudice résultant de la surconsommation d'énergie dans une proportion qu'il y a lieu de fixer, eu égard aux constats de l'expertise judiciaire à 15 % ; c'est par conséquent dans cette limite que M. W... devra garantir M. et Mme O... de l'indemnisation de ce chef de préjudice ainsi que de celle du préjudice de jouissance subi par les consorts B... D... ; que l'arrêt attaqué est ainsi attaché d'une irrémédiable contradiction entre ses motifs et son dispositif, en violation de l'article 455 du code de procédure civile, contradiction qui doit en entraîner la cassation. »
Réponse de la Cour
20. La contradiction dénoncée entre les motifs et le dispositif de l'arrêt résulte d'une erreur matérielle qui peut, selon l'article 462, du code de procédure civile, être réparée par la Cour de cassation à laquelle est déféré cet arrêt.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Ordonne la rectification de l'arrêt et dit qu'il y a lieu de remplacer les mots « Condamne solidairement M. Y... O... et Mme I... Q... à garantir M. L... W... » par les mots « Condamne M. W... à garantir M. O... et Mme Q... » et les mots « - à hauteur de 85 % des autres condamnations » par les mots « - à hauteur de 15 % des autres condamnations » ;
Dit que le présent arrêt sera transcrit en marge ou à la suite de la décision rectifiée ;
Laisse au demandeur la charge des dépens afférent à son pourvoi ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
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