mercredi 22 juin 2022

Incohérence interne de l'arrêt à propos de l'existence (ou non...) d'une réception des travaux

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 15 juin 2022




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 493 F-D

Pourvoi n° R 21-13.622




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 15 JUIN 2022

La société Axa France IARD, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° R 21-13.622 contre l'arrêt rendu le 15 décembre 2020 par la cour d'appel de Grenoble (2e chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [V] [W],

2°/ à Mme [G] [E], épouse [W],

domiciliés tous deux [Adresse 3],

3°/ à M. [U] [I], domicilié [Adresse 4],

4°/ à la société Prestalpes, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],

5°/ à la société Realbatie, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 5],

défendeurs à la cassation.

La société Prestalpes a formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident contre le même arrêt ;

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen de cassation également annexé au présent arrêt ;

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Axa France IARD, de Me Haas, avocat de la société Prestalpes, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. et Mme [W], après débats en l'audience publique du 10 mai 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 15 décembre 2020), par contrat de construction de maison individuelle avec fourniture du plan, M. et Mme [W] ont confié la construction d'une maison à la société Prestalpes.

2. L'exécution des travaux a été sous-traitée à M. [I] et à la société Realbatie, assurée auprès de la société Axa France IARD (la société Axa).

3. En raison d'un litige entre les maîtres de l'ouvrage et le constructeur concernant la conformité des travaux aux prévisions contractuelles, le chantier a été arrêté et une expertise a été ordonnée.

4. M. et Mme [W] ont assigné le constructeur et les deux sous-traitants en indemnisation de leurs préjudices. La société Axa a été appelée en intervention forcée par la société Realbatie devant la cour d'appel.

Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi incident, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en ses première et troisième branches, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

6. La société Axa fait grief à l'arrêt de déclarer recevable son intervention forcée en appel et de déclarer recevables les demandes de M. et Mme [W] à son encontre, alors :

« 1°/ que pour déclarer recevable l'appel en la cause de la société Axa France IARD pour la première fois en appel, la cour d'appel a retenu que le procès-verbal de réception de travaux, permettant d'invoquer une garantie décennale, était daté de septembre 2011, et donc postérieur au jugement du tribunal de janvier 2011, de sorte qu'il existait bien une évolution du litige justifiant rendant recevable cette mise en cause ; qu'en statuant ainsi, tout en ayant constaté par ailleurs « qu'aucune réception expresse n'est intervenue » et qu'elle prononçait la réception judiciaire des travaux, la cour d'appel a statué par des motifs contradictoires et violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que pour retenir l'existence d'une évolution du litige, la cour d'appel s'est bornée à constater que par des pré-conclusions du 25 mars 2013, l'expert M. [H], nommé en cause d'appel, avait considéré que l'ouvrage était affecté de dommages le rendant impropre à sa destination et compromettant sa solidité, et conclu que la démolition et la reconstruction intégrale de l'ouvrage s'imposaient, de sorte que ces éléments constituaient une évolution importante du litige, par rapport aux conclusions du précédent expert, M. [F], nommé en première instance, qui n'avait pas conclu à l'existence de dommages de nature décennale et n'avait mis en exergue que de menus dommages esthétiques, sans gravité et de coût modéré, s'agissant du lot « maçonnerie » effectué par la société Realbatie ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme l'y invitait la société Axa France IARD, en se fondant sur les rapports établis par le Bureau d'études Renault et [B], le 20 juillet 2006 et le 13 novembre 2006, si la société Realbatie était en possession, dès la première instance, des éléments nécessaires et suffisants pour se convaincre de la nécessité d'appeler son assureur dans la cause, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

7. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs. Il en est de même de la contradiction de motifs.

8. Pour déclarer recevable l'intervention forcée de la société Axa, l'arrêt retient que le litige a évolué de manière importante, dès lors que le procès-verbal de réception de travaux, permettant d'invoquer une garantie décennale, était en date de septembre 2011 et donc postérieur au jugement de première instance et que le second expert, désigné en appel, a considéré que l'ouvrage était affecté de dommages le rendant impropre à sa destination et compromettant sa solidité au regard des exigences de construction parasismique, alors que le premier technicien n'avait retenu que de menus dommages esthétiques sans gravité et de coût modéré.

9. En statuant ainsi, alors qu'elle retenait, par ailleurs, qu'il n'était pas contesté qu'aucune réception expresse n'était intervenue, sans répondre, en outre, aux conclusions de la société Axa qui soutenait que la gravité décennale des désordres parasismiques était alléguée depuis 2006, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte suvisé.

Portée et conséquences de la cassation

10. La cassation du chef de dispositif déclarant recevable l'intervention forcée de la société Axa en appel s'étend aux condamnations prononcées contre cette société et aux dispositions laissant à sa charge une partie de la dette, qui se trouvent dans un lien de dépendance nécessaire.

Mise hors de cause

11. En application de l'article 625 du code de procédure civile, compte tenu de la demande de garantie formée par la société Axa contre la société Prestalpes, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause cette dernière société, dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :

- déclare recevable l'appel en cause de la société Axa France IARD en cause d'appel,
- déclare recevables les demandes de M. et Mme [W] à l'encontre de la société Axa France IARD,
- condamne la société Axa France IARD , prise en sa qualité d'assureur responsabilité civile décennale de l'EURL Realbatie, à payer à M. et Mme [W] la somme de 90 410 euros au titre des reprises des désordres parasismiques, et la somme de 286 679,40 euros au titre des pénalités de retard,
- condamne la société Axa France IARD, prise en sa qualité d'assureur responsabilité civile de l'EURL Realbatie, à payer à M. et Mme [W] la somme de 3 000 euros au titre des fissurations et de la reprise du dallage extérieur, la somme de 2 000 euros au titre de la réfection de la géothermie et du compresseur et la somme de 4 000 euros au titre de la réfection des tuiles,
- dit que la société Axa France IARD (assureur de l'EURL Realbatie) conservera à sa charge 35 % des condamnations prononcées contre elle,

l'arrêt rendu le 15 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause la société Prestalpes ;

Condamne M. et Mme [W] et les sociétés Prestalpes et Realbatie aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

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