mardi 18 octobre 2022

Limites de la mission du maître d'oeuvre

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 12 octobre 2022




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 710 F-D

Pourvoi n° Q 21-20.659




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 OCTOBRE 2022

La société du Serrassaint, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Q 21-20.659 contre l'arrêt rendu le 27 mai 2021 par la cour d'appel d'Amiens (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [O] [L], domicilié [Adresse 1],

2°/ à la société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), dont le siège est [Adresse 3],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Brun, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de la société du Serrassaint, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de M. [L] et de la SMABTP, après débats en l'audience publique du 6 septembre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Brun, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 27 mai 2021), le 21 janvier 2013, la société civile immobilière du Serrassaint (la SCI) a confié à M. [L], assuré auprès de la SMABTP, la maîtrise d'oeuvre de travaux de démolition partielle, réhabilitation d'un bâtiment et construction de trois immeubles destinés à la location.

2. Le 17 avril 2015, la SCI a notifié à M. [L] la résiliation du contrat de maîtrise d'oeuvre, lui reprochant divers manquements à ses obligations, puis l'a assigné, ainsi que son assureur, en indemnisation de ses préjudices et remboursement des honoraires du maître d'oeuvre lui ayant succédé.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches

Enoncé du moyen

4. La SCI fait grief à l'arrêt de prononcer la résiliation du contrat de maîtrise d'oeuvre à ses torts, de la condamner à payer à M. [L] une certaine somme au titre du solde des honoraires et de rejeter sa demande en paiement de certaines sommes à titre de dommages-intérêts pour travaux supplémentaires, au titre de son préjudice financier et en remboursement des frais et honoraires du successeur de M. [L], alors :

« 4°/ que la SCI avait encore expressément soutenu que M. [L], qui n'avait pas été en mesure de respecter son propre planning de travaux aux entreprises, n'avait pas davantage appliqué des pénalités de retard aux entreprises défaillantes malgré les nombreuses mises en demeure de la SCI qui rappelait que, selon le CCAP, les retards pouvaient être « calculés lors de l'établissement de chaque situation » ; qu'en s'abstenant de répondre à ce chef péremptoire de conclusions de nature à établir un manquement de M. [L] dans sa mission d'exécution des travaux à l'origine d'un préjudice financier pour la SCI, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

5°/ que M. [L] avait, pour tenter d'échapper à sa responsabilité sur l'absence d'application des pénalités de retard, fait valoir que celles-ci sont comptées à l'occasion de l'établissement du décompte général définitif, c'est-à-dire en fin de chantier, DGD qui devait être établi par la SARL ADA ; que M. [L] n'avait ainsi pas contesté qu'il lui appartenait, en sa qualité de maître d'oeuvre, d'appliquer les pénalités de retard aux entreprises, que dès lors, à supposer que l'arrêt ait adopté le motif du jugement selon lequel il n'entre pas dans les attributions du maître d'oeuvre d'appliquer des pénalités aux entrepreneurs, la cour d'appel aurait méconnu les termes du litige en violation de l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. Ayant, abstraction faite d'un motif surabondant, imputé la cause du retard de chantier au seul comportement de la SCI, la cour d'appel n'était pas tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le premier moyen, en ses sixième, septième et huitième branches

Enoncé du moyen

7. La SCI fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 6°/ que la SCI avait expressément souligné que le manquement par M. [L] à son obligation de conseil quant au budget nécessaire pour la réalisation des opérations de construction avait été à l'origine d'un retard pour la signature des marchés de travaux ayant entraîné un préjudice dont elle réclamait réparation ; que la cour d'appel a retenu à la charge de M. [L] un manquement à son obligation de conseil quant au coût du projet et relevé qu'il appartenait « au maître d'oeuvre chargé d'une mission d'exécution de veiller au respect des délais » ; qu'en refusant pourtant d'indemniser la SCI de son préjudice financier issu du retard dans la direction et l'exécution des travaux, motif pris de ce qu'il n'était pas établi que « les manquements de M. [L] dans la direction et l'exécution des travaux [aient été] à l'origine du retard des travaux », sans rechercher, comme elle y avait été invitée, si le manquement avéré du maître d'oeuvre à son obligation de conseil quant au coût du projet n'avait pas retardé la signature des marchés et, par conséquent, la réalisation des travaux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 devenu 1231-1 du code civil ;

7°/ que la SCI soutenait que le conflit né entre elle et la société [B], laquelle avait refusé de se présenter sur le chantier, résultait des manquements de M. [L] qui n'avait pas prévu le doublage du plafond dans le bâtiment neuf et n'avait pas procédé à un contrôle du devis de cette société ; qu'en conséquence, en se bornant à relever que la SCI « ne conteste pas son refus de régler la société [B] ce qui a entrainé un blocage du chantier » sans rechercher, comme elle y avait été invitée, si le blocage du chantier dû au fait de cette société n'avait pas pour origine l'oubli par M. [L] de certains postes de travaux et un défaut de contrôle du devis de celle-ci, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147, devenu 1231-1, du code civil.

8°/ que selon l'article 12, alinéa 3, du CCAP, « le maître d'oeuvre est réputé avoir prévu, dans le document ayant servi de base à la consultation des entreprises tous les travaux nécessaires à la réalisation du programme et du projet » ; qu'à cet égard, la SCI du Serrassaint avait souligné que tel n'avait pas été le cas puisque le descriptif des travaux de la société [B] était incomplet - notamment son insuffisance de descriptif pour le lot cloisons et doublage - qui avait prévu une technique de doublage inadaptée aux contraintes techniques et avait oublié un faux plafond à l'étage lors de la conception du projet de construction du bâtiment neuf ce qui avait engendré le surcoût réclamé par l'entreprise [B] ; qu'en se bornant dès lors à retenir qu'il ne pouvait être « reproché [à M. [L]] un manquement à son obligation de vérification des existants entraînant des travaux supplémentaires » motif pris de ce que celui-ci, « en charge d'une mission d'exécution, n'était en charge d'aucune de ces missions d'études préliminaires », à savoir l'étude de faisabilité (FAISA), le relevé (REL) et diagnostic (DIAG) sans rechercher, comme elle y avait été invitée, si M. [L] n'avait pas manqué à ses obligations, telles qu'elles résultaient du cahier des charges consistant notamment à prévoir l'ensemble des travaux lors de l'établissement des devis afin d'éviter des surcoûts imprévus pour le maître de l'ouvrage, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147, devenu 1231-1, du code civil. »

Réponse de la Cour

8. D'une part, la cour d'appel, n'étant pas saisie par la SCI de conclusions précises et circonstanciées relatives au lien de causalité entre le manquement du maître d'oeuvre quant au coût du projet et le retard de réalisation des travaux, n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation.

9. D'autre part, procédant à la recherche prétendument omise sur l'origine du blocage du chantier, elle a relevé que la SCI reprochait à M. [L] d'avoir omis de procéder à la vérification de la structure des murs du bâtiment à réhabiliter sur lesquels il était impossible de coller les isolants prévus par le plaquiste qui avait refusé de poursuivre ses travaux tant qu'elle n'acceptait pas des travaux supplémentaires, et retenu que ces travaux supplémentaires ne pouvaient être reprochés au maître d'oeuvre qui n'avait pas pour mission de réaliser les relevés du bâti existant ni de faire un diagnostic global de la partie à réhabiliter, de sorte que le blocage du chantier était dû au refus de la SCI de régler ces travaux supplémentaires.

10. Enfin, elle a retenu que M. [L] n'était pas tenu d'une mission de relevé des existants et elle n'avait pas à procéder à une recherche sur l'omission du faux plafond en partie neuve de la construction qui ne lui était pas demandée.

11. La cour d'appel a, ainsi, légalement justifié sa décision.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

12. La SCI fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. [L] le solde d'honoraires, alors « que la cassation d'un chef de décision entraîne la cassation par voie de conséquence de tous les autres chefs de décision qui en sont la suite nécessaire, en application de l'article 624 du code de procédure civile ; qu'en l'espèce, la cassation à intervenir sur le premier moyen relatif à la prétendue rupture fautive du contrat par la SCI du Serrassaint entraînera, par voie de conséquence, la cassation de l'arrêt en ce qu'il condamné la SCI à payer le solde des honoraires à M. [L]. »

Réponse de la Cour

13. La cassation n'étant pas prononcée sur le premier moyen, le grief, tiré d'une annulation par voie de conséquence, est devenu sans portée.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société civile immobilière du Serrassaint aux dépens ;

Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.