jeudi 6 octobre 2022

Responsabilité du notaire - causalité du préjudice

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

MY1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 28 septembre 2022




Cassation partielle


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 692 F-D

Pourvoi n° X 20-16.499




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 28 SEPTEMBRE 2022

1°/ la société MMA IARD assurances mutuelles, société d'assurance mutuelle à cotisations fixes,

2°/ la société MMA IARD, société anonyme,

ayant toutes deux leur siège [Adresse 3],

3°/ M. [V] [S], domicilié [Adresse 2],

4°/ la société [G] [C] [L],[V] [S], [E] [O], [B] [A], [J] [X], société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° X 20-16.499 contre l'arrêt rendu le 24 avril 2020 par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion (chambre civile TGI), dans le litige les opposant à M. [P] [R], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat des sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD, de M. [S] et de la société [G] [C] [L], [V] [S], [E] [O], [B] [A], [J] [X], de Me Carbonnier, avocat de M. [R], et l'avis de M. Sassoust, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 juillet 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis, 24 avril 2020), suivant acte reçu le 28 décembre 2010 par M. [S] (le notaire), exerçant au sein de la SCP [U], [L], [S] et [O] (la SCP), la société civile de construction vente « Les vergers du soleil » (le vendeur) a vendu à M. [R] (l'acquéreur), agissant dans un objectif de défiscalisation, un appartement et des emplacements de stationnement destinés à la location et compris dans un immeuble soumis au statut de la copropriété, moyennant un prix financé en totalité par un prêt.

2. A la suite d'une décision administrative de retrait de l'avantage fiscal en raison du défaut d'achèvement de l'immeuble, M. [R] a assigné le vendeur en nullité de la vente, ainsi que le notaire et la SCP en responsabilité. Les assureurs de ces derniers, les sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD (les assureurs), sont intervenus volontairement à l'instance.

Examen des moyens

Sur les premier et troisième moyens

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

4. Le notaire, la SCP et leurs assureurs font grief à l'arrêt de les condamner, in solidum avec le vendeur, à payer à l'acquéreur la somme de 327 664,44 euros à titre de dommages-intérêts, comprenant la somme de 21 000 euros correspondant aux « frais notariés » exposés par M. [R], alors « que les frais notariés payés à l'occasion d'une vente annulée doivent être restituées par l'administration fiscale ; qu'en condamnant le notaire et la SCP notariale, ainsi que leurs assureurs, à payer à l'acquéreur la somme de 21 000 euros correspondant aux frais notariés afférents à la vente annulée, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si ces frais ne devaient pas être restitués par l'administration fiscale de sorte qu'ils ne pouvaient constituer un préjudice susceptible d'être mis à la charge du notaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5. L'acquéreur conteste la recevabilité du moyen. Il soutient qu'il est nouveau et mélangé de fait et de droit.

6. Cependant, le moyen n'est pas nouveau dès lors que, dans leurs conclusions, les assureurs soutenaient que les taxes versées à l'administration fiscale par l'intermédiaire du notaire ne constituaient pas un préjudice indemnisable, en invoquant l'application de l'article 1961, alinéa 2, du code général des impôts.

7. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :

8. Pour condamner in solidum, avec le vendeur, le notaire, la SCP et les assureurs à payer à l'acquéreur une certaine somme correspondant à des « frais notariés », l'arrêt énonce que celui-ci a dû exposer inutilement de tels frais compte tenu de l'annulation de la vente.

9. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si ces « frais notariés » ne comprenaient pas des taxes ne pouvant pas constituer un préjudice réparable dès lors que la restitution pouvait en être demandée par l'acquéreur à l'administration fiscale à la suite de l'annulation de la vente, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé.

Et sur le quatrième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

10. Le notaire, la SCP et leurs assureurs font grief à l'arrêt de les condamner, in solidum avec le vendeur, à payer à l'acquéreur la somme de 327 664,44 euros à titre de dommages-intérêts, comprenant la somme de 85 976,44 euros correspondant aux frais afférents au prêt souscrit à l'occasion de l'acquisition litigieuse, alors « qu'il doit être tenu compte, dans la détermination du préjudice, des avantages que la victime a pu retirer de la situation dommageable ; qu'en condamnant le notaire et la SCP notariale, ainsi que leurs assureurs, à payer à l'acquéreur la somme de 85 976,44 euros correspondant aux frais liés au contrat de prêt qu'il avait souscrit afin de financer l'acquisition litigieuse, quand les frais et intérêts afférents à ce contrat de prêt, qui n'a pas été annulé, n'étaient que la contrepartie du versement et de la libre disposition des sommes prêtées, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :

11. Il résulte de ce texte qu'en l'absence d'annulation d'un contrat de prêt à la suite de l'annulation du contrat de vente du bien immobilier financé, les frais liés à la souscription de ce prêt, qui sont la contrepartie de la jouissance du capital emprunté par l'acquéreur, ne constituent pas un préjudice réparable pouvant être mis à la charge du notaire fautif.

12. Pour condamner in solidum, avec le vendeur, le notaire, la SCP et les assureurs à payer à l'acquéreur une certaine somme correspondant aux frais afférents au prêt souscrit à l'occasion de l'opération litigieuse, l'arrêt retient que ces frais ont été souscrits inutilement compte tenu de l'annulation de la vente.

13. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. [S], la SCP [U], [L], [S] et [O] ainsi que leurs assureurs, les sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD, in solidum avec la SCCV Les vergers du soleil, à payer à M. [R] la somme de 327 664,44 euros à titre de dommages-intérêts, comprenant celles de 21 000 euros au titre du remboursement des « frais notariés » et de 85 976,44 euros au titre du remboursement des frais financiers, l'arrêt rendu le 24 avril 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis autrement composée ;

Condamne M. [R] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

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