mercredi 31 juillet 2024

La Chambre mixte vient de statuer sur la prescription civile d'une action en responsabilité consécutive à un autre litige

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR DE CASSATION CH9


CHAMBRE MIXTE


Audience publique du 19 juillet 2024

Cassation

M. SOULARD, premier président

Arrêt n° 295 B+R

Pourvoi n° M 20-23.527




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, siégeant en CHAMBRE MIXTE, DU 19 JUILLET 2024


1°/ Mme [O] [V], domiciliée [Adresse 4],

2°/ Mme [F] [V], domiciliée [Adresse 7] (Chine),

3°/ Mme [Y] [V], domiciliée [Adresse 3] (Royaume-Uni),

4°/ M. [E] [V], domicilié [Adresse 10],

5°/ M. [T] [V], domicilié [Adresse 1],

tous cinq agissant en qualité d'héritiers de [Z] [H], épouse [V], leur mère, elle-même héritière de [X] [H],

6°/ M. [S] [V], domicilié [Adresse 1], agissant en son nom personnel et en qualité d'héritier de [Z] [H], épouse [V],

7°/ M. [B] [A], domicilié [Adresse 6],

8°/ M. [J] [D], domicilié [Adresse 9],

9°/ Mme [P] [I], domiciliée [Adresse 8],

10°/ Mme [M] [I], domiciliée [Adresse 5],

toutes deux agissant en leur qualité d'héritières de [R] [I], leur mère, elle-même héritière de [X] [H],

11°/ Mme [U] [H], domiciliée [Adresse 9],

12°/ Mme [K] [H], domiciliée [Adresse 6],

ces deux dernières agissant tant à titre personnel qu'en qualité d'héritières de [X] [H],

13°/ M. [C] [H], domicilié [Adresse 11], agissant tant à titre personnel qu'en qualité d'héritier de [X] et [Z] [H],

ont formé le pourvoi n° M 20-23.527, contre l'arrêt rendu le 3 novembre 2020 par la cour d'appel de Versailles (1re chambre, 1re section), dans le litige l'opposant à :

1°/ la société civile professionnelle [W] [G] et Bernard Dumas, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ M. [W] [G], domicilié [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

L'affaire initialement orientée à la première chambre civile a été renvoyée, par une ordonnance du 7 novembre 2023 du premier président, devant une chambre mixte composée de la première chambre civile, de la deuxième chambre civile, de la troisième chambre civile et de la chambre commerciale, financière et économique.

Les demandeurs au pourvoi invoquent, devant la chambre mixte, les moyens de cassation formulés dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Piwnica et Molinié, avocat des consorts [H].

Un mémoire en défense au pourvoi a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la SCP [W] [G] et Bernard Dumas et M. [W] [G].

Un mémoire en réplique, un mémoire de production, des observations et des observations complémentaires ont été déposés au greffe de la Cour de cassation par la SCP Piwnica et Molinié, avocat des consorts [H].

Le rapport écrit de M. Bruyère, conseiller, et l'avis écrit de Mme Cazaux-Charles, avocat général, ont été mis à disposition des parties.

Sur le rapport de M. Bruyère, conseiller, assisté de Mme Sciore, auditeur au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, et l'avis de Mme Cazaux-Charles, avocat général, auquel les parties, invitées à le faire, n'ont pas souhaité répliquer, après débats en l'audience publique du 21 juin 2024 où étaient présents M. Soulard, premier président, Mme Teiller, M. Vigneau, Mmes Champalaune, Martinel, présidents, M. Bruyère, conseiller rapporteur, Mmes Duval-Arnould, Durin-Karsenty, Vaissette, doyens de chambre, M. Boyer, conseiller faisant fonction de doyen de chambre, Mmes Abgrall, Dard, Ducloz, M. Alt, Mme Isola, MM. Reveneau, Brillet, conseillers, Mme Cazaux-Charles, avocat général, et Mme Mégnien, greffier fonctionnel-expert,

la Cour de cassation, siégeant en chambre mixte, composée du premier président, des présidents, des doyens de chambre et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Reprise d'instance

1. Il est donné acte à Mme [U] [H] de la reprise de l'instance engagée par [J] [D], décédé.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 3 novembre 2020), statuant sur renvoi après cassation (1re Civ., 14 novembre 2019, pourvoi n° 18-22.114), suivant acte établi le 27 mars 1998 par M. [G] (le notaire), membre de la société [G] et Dumas (la société notariale), [X] [H] et son épouse, depuis lors décédés, qui avaient antérieurement donné la nue-propriété des actions de la société GLN à leurs cinq enfants, leur en ont cédé l'usufruit sous la condition suspensive de la cession de ces titres à la société AON avant le 31 janvier 1999.

3. Par acte reçu le 30 mars 1998 par le notaire, les cinq enfants [H] ont consenti à leurs propres enfants une donation de la nue-propriété de leurs droits sur ces actions, sous la même condition suspensive.

4. Le 15 juin 1998, après cession de leurs droits à la société AON, le notaire a dressé les actes constatant la réalisation de la condition suspensive des donations, qui sont devenues définitives.

5. Le 7 décembre 2001, estimant que les donations portaient, non pas sur les actions de la société, mais sur le produit de leur vente, et qu'elles avaient pour objet d'éluder le paiement de l'impôt sur la plus-value, l'administration fiscale a notifié aux enfants [H] un redressement d'un montant de 6 226 893 euros.

6. Par arrêts des 29 avril 2011, 10 juin 2011, 6 juillet 2011 et 24 novembre 2011, une cour administrative d'appel a rejeté leur recours et, par décisions des 22 février 2012 et 21 mai 2012, le Conseil d'Etat a déclaré non admis les pourvois formés contre ces arrêts.

7. Le 14 novembre 2013, [N] [H], ses enfants (M. [C] [H] et Mmes [Z] [H] épouse [V], [K] [H] épouse [A], [U] [H] épouse [D]) et leurs conjoints (MM. [S] [V], [B] [A], [J] [D]), ainsi que Mmes [M] [I] et [P] [I], en qualité d'ayants droit de leur mère [R] [H], ont assigné le notaire et la société notariale en responsabilité et indemnisation. [N] [H] étant décédée en cours d'instance, celle-ci a été reprise par ses enfants et Mmes [M] [I] et [P] [I]. [Z] [H] étant décédée en cours d'instance, celle-ci a été reprise par ses héritiers (M. [T] [V], M. [E] [V], Mme [O] [V], Mme [F] [V], Mme [Y] [V] et M. [S] [V]).

Examen du moyen

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

8. Les consorts [H] font grief à l'arrêt de déclarer leur action prescrite, alors « que les actions personnelles se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits permettant de l'exercer ; que le recours en garantie contre un tiers responsable ne peut être exercé avant la condamnation irrévocable de la victime ; qu'en l'espèce, ils n'ont été en mesure d'exercer leur action en garantie contre le notaire qu'à compter du jour où la juridiction administrative, mettant un terme à leur contestation, les a condamnés par une décision irrévocable, rendant leur dette fiscale certaine et définitive ; qu'en retenant pour point de départ de la prescription de l'action contre le notaire, la notification de l'avis de mise en recouvrement, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2224 du code civil :

9. Aux termes de ce texte, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

10. Il s'en déduit que le délai de prescription de l'action en responsabilité civile court à compter du jour où celui qui se prétend victime a connu ou aurait dû connaître le dommage, le fait générateur de responsabilité et son auteur ainsi que le lien de causalité entre le dommage et le fait générateur.

11. Lorsque le dommage invoqué par une partie dépend d'une procédure contentieuse l'opposant à un tiers, la Cour de cassation retient qu'il ne se manifeste qu'au jour où cette partie est condamnée par une décision passée en force de chose jugée (1re Civ., 9 septembre 2020, pourvoi n° 18-26.390, publié ; 1re Civ., 9 mars 2022, pourvoi n° 20-15.012 ; 1re Civ., 29 juin 2022, pourvoi n° 21-14.633) ou devenue irrévocable (2e Civ., 3 mai 2018, pourvoi n° 17-17.527) et que, son droit n'étant pas né avant cette date, la prescription de son action ne court qu'à compter de cette décision.

12. Ainsi, en matière fiscale, il est jugé que le préjudice n'est pas réalisé et que la prescription n'a pas couru tant que le sort des réclamations contentieuses n'est pas définitivement connu ou que le dommage résultant d'un redressement n'est réalisé qu'à la date à laquelle le recours est rejeté par le juge de l'impôt (Com., 3 mars 2021, pourvoi n° 18-19.259 ; 1re Civ., 29 juin 2022, pourvoi n° 21-10.720, publié ; Com., 9 novembre 2022, pourvoi n° 21-10.632).

13. En revanche, en matière d'action récursoire, il est jugé que la prescription applicable au recours d'une personne assignée en responsabilité contre un tiers qu'il estime coauteur du même dommage a pour point de départ l'assignation qui lui a été délivrée, même en référé, si elle est accompagnée d'une demande de reconnaissance d'un droit. Tel est le cas du recours d'un constructeur, assigné en responsabilité par le maître de l'ouvrage, contre un autre constructeur ou son sous-traitant (3e Civ., 14 décembre 2022, pourvoi n° 21-21.305, publié). De même, la prescription biennale de l'action récursoire en garantie des vices cachés court à compter de l'assignation (Ch. mixte, 21 juillet 2023, pourvois n° 20-10.763 et n° 21-19.936, publiés).

14. Cette différence s'explique par la nature respective des actions.

15. Les premières sont des actions principales en responsabilité tendant à l'indemnisation du préjudice subi par le demandeur, né de la reconnaissance d'un droit contesté au profit d'un tiers. Seule la décision juridictionnelle devenue irrévocable établissant ce droit met l'intéressé en mesure d'exercer l'action en réparation du préjudice qui en résulte. Il s'en déduit que cette décision constitue le point de départ de la prescription.

16. Les secondes sont des actions récursoires tendant à obtenir la garantie d'une condamnation prononcée ou susceptible de l'être en faveur d'un tiers victime. De telles actions sont fondées sur un préjudice unique causé à ce tiers par une pluralité de faits générateurs susceptibles d'être imputés à différents coresponsables. Or, une personne assignée en responsabilité civile a connaissance, dès l'assignation, des faits lui permettant d'agir contre celui qu'elle estime responsable en tout ou partie de ce même dommage, sauf si elle établit qu'elle n'était pas, à cette date, en mesure d'identifier ce responsable.

17. Ces solutions, ainsi précisées, assurent un juste équilibre entre les intérêts respectifs des parties et contribuent à une bonne administration de la justice, en limitant, pour la première, des procédures prématurées ou injustifiées et en favorisant, pour la seconde, la possibilité d'un traitement procédural dans une même instance du contentieux engagé par la victime.

18. Pour déclarer prescrite l'action principale en responsabilité des consorts [H] contre le notaire et la société notariale au titre de manquements à leurs obligations, l'arrêt retient que le délai de prescription a couru à compter de la notification par l'administration fiscale de l'avis de mise en recouvrement, qu'il fixe au 30 septembre 2002.

19. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Condamne M. [G] et la société [G] et Dumas aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [G] et la société [G] et Dumas et les condamne à payer à M. [C] [H], Mme [K] [H] épouse [A], Mme [U] [H], M. [S] [V], M. [B] [A], Mme [M] [I], Mme [P] [I], M. [T] [V], M. [E] [V], Mme [O] [V], Mme [F] [V] et Mme [Y] [V], la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en chambre mixte, et prononcée par le premier président en son audience publique du dix-neuf juillet deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:MI00295

Toute clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite (art. 1170 C. civ.)

 Excellent bilan jurisprudentiel, par J.Risser, D. 2024, p. 1343.

QPC : urbanisme, obligation de démolir, proportionnalité et constitutionnalité

 

Décision 2024-1099 QPC - 10 juillet 2024 - M. Hervé B. et autre [Exécution provisoire des mesures de restitution en matière d’urbanisme] - Conformité

Texte intégral

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 23 mai 2024 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 782 du 22 mai 2024), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée par M. Hervé B. et Mme Élisabeth S. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2024-1099 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa de l’article L. 480-7 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, ainsi que de l’article 515-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 81-82 du 2 février 1981 renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de l’urbanisme ;
- la loi n° 81-82 du 2 février 1981 renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes ;
- la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové ;
- l’arrêt de la Cour de cassation du 31 janvier 2017 (chambre criminelle, n° 16-82.945) ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les requérants par Me Pierre-Étienne Rosenstiehl, avocat au barreau de Strasbourg, enregistrées le 2 juin 2024 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 5 juin 2024 ;
- les secondes observations présentées pour les requérants par Me Rosenstiehl, enregistrées le 10 juin 2024 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Rosenstiehl, pour les requérants, et M. Benoît Camguilhem, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 3 juillet 2024 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Le premier alinéa de l’article L. 480-7 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction résultant de la loi du 24 mars 2014 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Le tribunal impartit au bénéficiaire des travaux irréguliers ou de l’utilisation irrégulière du sol un délai pour l’exécution de l’ordre de démolition, de mise en conformité ou de réaffectation ; il peut assortir son injonction d’une astreinte de 500 € au plus par jour de retard. L’exécution provisoire de l’injonction peut être ordonnée par le tribunal ». 
2. L’article 515-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi du 2 février 1981 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Lorsque le tribunal, statuant sur l’action civile, a ordonné le versement provisoire, en tout ou en partie, des dommages-intérêts alloués, cette exécution provisoire peut être arrêtée, en cause d’appel, par le premier président statuant en référé si elle risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives. Le premier président peut subordonner la suspension de l’exécution provisoire à la constitution d’une garantie, réelle ou personnelle, suffisante pour répondre de toutes restitutions ou réparations.
« Lorsque l’exécution provisoire a été refusée par le tribunal statuant sur l’action civile ou lorsque l’exécution provisoire n’a pas été demandée, ou si, l’ayant été, le tribunal a omis de statuer, elle peut être accordée, en cas d’appel, par le premier président statuant en référé ». 
3. Les requérants reprochent à ces dispositions de ne prévoir aucun recours permettant d’obtenir la suspension de l’exécution provisoire d’une mesure de démolition prononcée par le juge pénal, y compris en cas d’appel. Ils font valoir à cet égard que, la cour d’appel n’étant pas tenue d’examiner ce recours à bref délai, ils seraient privés de la possibilité de contester utilement un ordre de démolition dont les effets peuvent pourtant être irrémédiables. Ils critiquent en outre l’absence de procédure équivalente à celle permettant de solliciter la suspension de l’exécution provisoire assortissant le versement de dommages-intérêts ordonnée par le juge pénal statuant sur l’action civile. Il en résulterait selon eux une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif, du droit de propriété, du droit au respect de la vie privée, du principe de l’inviolabilité du domicile et du droit de mener une vie familiale normale.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 480-7 du code de l’urbanisme.
5. En premier lieu, selon l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition qu’il ne doit pas être porté d’atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction.
6. En application du premier alinéa de l’article L. 480-5 du code de l’urbanisme, en cas de condamnation d’une personne pour certaines infractions prévues par ce code, le tribunal peut ordonner une mesure de restitution consistant en un ordre de démolition, de mise en conformité des lieux ou des ouvrages, ou de réaffectation des sols.
7. Le premier alinéa de l’article L. 480-7 du même code prévoit que, dans ce cas, le tribunal impartit au bénéficiaire des travaux irréguliers ou de l’utilisation irrégulière du sol un délai pour l’exécution de cette mesure de restitution et qu’il peut assortir son injonction d’une astreinte.
8. Selon les dispositions contestées, le tribunal peut également ordonner l’exécution provisoire de cette injonction.
9. D’une part, l’exécution provisoire d’une mesure de restitution ne peut être ordonnée par le juge pénal qu’à la suite d’un débat contradictoire au cours duquel la personne prévenue peut présenter ses moyens de défense et faire valoir sa situation.
10. D’autre part, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que le juge est tenu d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter au droit au respect de la vie privée et familiale de la personne prévenue, lorsqu’une telle garantie est invoquée.
11. Dès lors, au regard des conditions dans lesquelles l’exécution provisoire peut être ordonnée par le juge, le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif doit être écarté.
12. En second lieu, il est loisible au législateur d’apporter aux conditions d’exercice du droit de propriété des personnes privées, protégé par l’article 2 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi.
13. D’une part, les dispositions contestées visent à assurer l’efficacité des mesures de restitution ordonnées par le juge pénal en cas de condamnation pour violation des règles prévues par le code de l’urbanisme. En les adoptant, le législateur a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public.
14. D’autre part, il revient au juge d’apprécier si le prononcé de l’exécution provisoire de la mesure de restitution est nécessaire au regard des circonstances de l’espèce.
15. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du droit de propriété doit être écarté.
16. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus le droit au respect de la vie privée, le principe de l’inviolabilité du domicile et le droit de mener une vie familiale normale, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - La seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 480-7 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, est conforme à la Constitution.
 
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 10 juillet 2024, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.
 
Rendu public le 10 juillet 2024.
 
ECLI:FR:CC:2024:2024.1099.QPC

jeudi 25 juillet 2024

Prescription : expertise, computation, suspension et interruption des délais

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 juillet 2024




Cassation


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 414 F-D

Pourvoi n° D 23-18.495




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 JUILLET 2024

Mme [U] [Y], domiciliée [Adresse 1] agissant en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Isla Nour, a formé le pourvoi n° D 23-18.495 contre l'arrêt rendu le 18 avril 2023 par la cour d'appel de Montpellier (chambre commerciale), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Canalisations - travaux hydrauliques - aménagements routiers (CA-TH-AR), société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],

2°/ à la société Generali IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],

3°/ à la société Veolia eau - compagnie générale des eaux, société en commandite par actions, dont le siège est [Adresse 3],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Vernimmen, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boucard-Maman, avocat de Mme [Y], ès qualités, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat des sociétés Canalisations - travaux hydrauliques - aménagements routiers et Generali IARD, après débats en l'audience publique du 4 juin 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Vernimmen, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller faisant fonction de doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 18 avril 2023), à la suite d'une consommation anormale d'eau, la société Isla Nour a détecté une fuite dans le local qu'elle exploitait.

2. La canalisation alimentant ce local a été endommagée puis réparée par la société CA-TH-AR canalisations - travaux hydrauliques - aménagements routiers (la société CA-TH-AR), assurée par la société Generali IARD (la société Generali).

3. Le 6 mai 2013, la société Isla Nour a sollicité devant la juridiction administrative une mesure d'expertise qui a été ordonnée le 25 juin 2013. Le rapport d'expertise a été déposé le 24 avril 2015.

4. Les 10 et 12 août 2020, Mme [Y], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Isla Nour, a assigné en indemnisation les sociétés CA-TH-AR, Generali et Veolia eau - compagnie générale des eaux.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Mme [Y], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Isla Nour fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement du 4 mai 2021 ayant déclaré irrecevables ses demandes en raison de la prescription, alors « que les juges du fond ont considéré d'une part qu'entre la saisine du juge administratif des référés, le 6 mai 2013, et le prononcé de son ordonnance prescrivant une expertise, le 25 juin 2013, le délai de prescription quinquennale avait de nouveau couru, pour 50 jours, puis ont retenu qu'à la fin de la suspension du délai quinquennal lors de l'établissement du rapport d'expertise, le 24 juin 2015, le délai de prescription avait recommencé à courir pour une durée de cinq ans moins les 50 jours déjà écoulés, de sorte qu'il expirait le 5 mars 2020, et d'autre part que Mme [Y] ne pouvait bénéficier des articles 1er et 2 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 modifiée par l'ordonnance n° 2020-666 du 3 juin 2020 pour en déduire que son action engagée par assignation des 10 et 12 août 2020 était prescrite ; qu'en statuant ainsi, quand le délai de prescription de cinq ans avait été interrompu, suite à la saisine du juge administratif des référés, jusqu'à ce que celui-ci rende son ordonnance prescrivant une expertise, le 25 juin 2013, puis avait été aussitôt suspendu jusqu'à ce que l'expert établisse son rapport, le 24 juin 2015, donc avait expiré le 24 juin 2020, si bien qu'en vertu des articles 1er et 2 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 modifiée par l'ordonnance n° 2020-666 du 3 juin 2020 Mme [Y] ès qualités pouvait agir jusqu'au 24 août 2020 et que son action n'était pas prescrite lorsqu'elle a été engagée par acte des 10 et 12 août 2020, la cour d'appel a violé les articles 2224, 2239, 2241 et 2242 du code civil et 1er et 2 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 modifiée par l'ordonnance n° 2020-666 du 3 juin 2020. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2224, 2239, 2241 et 2242 du code civil :

6. Aux termes du premier de ces textes, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

7. Selon le deuxième, lorsque la prescription a été suspendue par une décision ayant fait droit à une mesure d'instruction présentée avant tout procès, le délai de prescription recommence à courir à compter du jour où la mesure a été exécutée.

8. Selon les troisième et quatrième, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription et l'interruption de la prescription résultant de cette demande produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance.

9. La Cour de cassation a jugé que, lorsque le juge accueille une demande de mesure d'instruction avant tout procès, la suspension de la prescription, qui fait, le cas échéant, suite à l'interruption de celle-ci au profit de la partie ayant sollicité la mesure en référé, tend à préserver les droits de cette partie durant le délai d'exécution de la mesure et ne joue qu'à son profit (2e Civ., 31 janvier 2019, pourvoi n° 18-10.011, publié).

10. Pour déclarer irrecevable l'action en indemnisation initiée par le liquidateur judiciaire de la société Isla Nour, l'arrêt retient que la saisine du juge des référés a eu pour effet d'interrompre la prescription et de faire courir un nouveau délai quinquennal, que ce nouveau délai a continué à courir entre le 6 mai 2013, date de l'assignation, et le 25 juin 2013, date de la décision ordonnant la mesure d'expertise, avant d'être suspendu à compter de cette date jusqu'au 24 avril 2015, date du dépôt du rapport d'expertise.

11. Il en déduit que cette période de cinquante jours devant être soustraite du délai quinquennal qui a recommencé à courir à compter du 24 avril 2015, celui-ci a expiré le 5 mars 2020, de sorte que le liquidateur judiciaire ne pouvant pas bénéficier des deux mois supplémentaires accordés par l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, modifiée par l'ordonnance du 3 juin 2020 aux délais et mesures ayant expiré entre le 12 mars et 23 juin 2020, son action en indemnisation était prescrite.

12. En statuant ainsi, alors que l'effet interruptif de prescription s'est prolongé jusqu'à la décision ordonnant la mesure d'expertise et que le nouveau délai quinquennal de prescription, qui a été suspendu à partir de cette décision, a recommencé à courir à la date de l'exécution de cette mesure, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 avril 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;

Condamne les sociétés CA-TH-AR canalisations - travaux hydrauliques - aménagements routiers, Generali IARD et Veolia eau - compagnie générale des eaux aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze juillet deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300414

Responsabilité conjointe et obligation au tout

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 juillet 2024




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 413 F-D

Pourvoi n° R 23-11.675




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 JUILLET 2024

M. [S] [D], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° R 23-11.675 contre l'arrêt rendu le 9 juin 2022 par la cour d'appel de Montpellier (3e chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société MAAF assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4],

2°/ à la société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],

3°/ à la société MJSA, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],
en la personne de M. [L] [G], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la Société d'exploitation des établissements Verge Claude,

défenderesses à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.


Sur le rapport de Mme Vernimmen, conseiller référendaire, les observations de la SCP Richard, avocat de M. [D], de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Axa France IARD, après débats en l'audience publique du 4 juin 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Vernimmen, conseiller référendaire rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Reprise d'instance

1. Il est donné acte à M. [D] de sa reprise d'instance à l'encontre de la société MJSA, prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la Société d'exploitation des établissements Verge Claude.

Désistement partiel

2. Il est donné acte à M. [D] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société MAAF assurances (la MAAF).

Faits et procédure

3. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 9 juin 2022), Mme [F] a vendu en 2009 à M. [D] et Mme [R] une maison d'habitation dont la construction a été confiée à la société Les Nouvelles constructions du sud, assurée auprès de la MAAF, avant sa dissolution amiable en décembre 2008.

4. La Société d'exploitation des établissements Verge Claude (la société Verge Claude), assurée auprès de la société Axa France IARD (la société Axa) a fourni et posé la charpente de la maison.

5. Se plaignant d'une non-conformité de l'habitation à la réglementation parasismique, M. [D], devenu l'unique propriétaire du bien immobilier, a, après expertise, assigné en indemnisation les sociétés MAAF, Axa et Verge Claude, désormais en liquidation judiciaire.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche





Enoncé du moyen

6. M. [D] fait grief à l'arrêt de condamner solidairement les sociétés Verge Claude et Axa à lui payer les seules sommes de 6 773,41 euros au titre du non-respect aux règles parasismiques et de 895,36 au titre du préjudice accessoire, alors « que chacun des responsables d'un même dommage doit être condamné à le réparer en totalité, sans qu'il y ait lieu de tenir compte du partage de responsabilité auquel il est procédé entre eux et qui n'affecte pas l'étendue de leurs obligations envers la partie lésée ; qu'en condamnant néanmoins solidairement les sociétés Verge Claude et Axa à payer à M. [D] les seules sommes de 6 773,41 euros au titre de la reprise du désordre relatif au non-respect des règles parasismiques, évaluée à la somme de 135 468,38 euros, et 895,36 euros au titre des préjudices accessoires, évalués à la somme de 17 907, 26 euros, motifs pris que la part de responsabilité de la société Verge Claude dans la réalisation de l'entier dommage était de 5 %, bien que la société Verge Claude et son assureur aient dû être condamnés à réparer ces dommages dans leur totalité, sans qu'il y ait eu lieu de tenir compte du partage de responsabilité entre les différents responsables des dommages, la cour d'appel a violé les articles 1792 et 1203, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1203, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

7. Il résulte de ce texte que chacun des responsables d'un même dommage doit être condamné à le réparer en totalité sans qu'il y ait lieu de tenir compte du partage de responsabilité auquel il est procédé entre eux, et qui n'affecte pas l'étendue de leurs obligations envers la partie lésée.

8. Pour limiter l'obligation à réparation de la société Verge Claude et de son assureur, l'arrêt retient que l'intervention de la société Les Nouvelles constructions du sud n'étant pas démontrée sur le chantier, la garantie de son assureur n'était pas mobilisable, de sorte que les demandes formées à son encontre et les appels en garantie devaient être rejetés.

9. Puis, il relève que l'expert a retenu à la charge de la société Verge Claude une responsabilité à hauteur de 5 % s'agissant du non-respect des règles parasismiques, celle-ci ayant accepté de poser la charpente sur un support non conforme et que cette responsabilité n'avait pas été contestée.

10. Il en déduit qu'en application du partage de responsabilité ainsi retenu entre les sociétés Les Nouvelles constructions du sud et Verge Claude au titre du non-respect des règles parasismiques, cette dernière ne pouvait être tenue, avec son assureur, à indemniser M. [D] qu'à hauteur de 5 % du montant total de la reprise de ce désordre et des préjudices accessoires.

11. En statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu que l'intervention de la société Verge Claude avait contribué à la réalisation d'un même dommage tenant au non-respect des règles parasismiques, ce dont il résultait que celle-ci devait être condamnée, avec son assureur, à le réparer dans sa totalité, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :

- condamne solidairement la Société d'exploitation des établissements Verge Claude et la société Axa France IARD à payer à M. [D], compte tenu du partage de responsabilité retenu, la somme de 6 773,41 euros TTC au titre du non-respect des règles parasismiques, avec application de l'indice BT01, l'indice de base étant celui de mars 2012 ;
- condamne solidairement la Société d'exploitation des établissements Verge Claude et la société Axa France IARD, compte tenu du partage de responsabilité retenu, à payer à M. [D] la somme de 895,36 euros TTC, au titre des préjudices accessoires, avec intérêt au taux légal à compter du 2 mai 2013, date de l'assignation ;
- rejette les demandes présentées par M. [D], la Société d'exploitation des établissements Verge Claude et la société Axa France IARD au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
-condamne solidairement, dans la proportion de 5 %, la Société d'exploitation des établissements Verge Claude et la société Axa France IARD aux entiers dépens de première instance et d'appel, comprenant les frais d'expertise judiciaire.

l'arrêt rendu le 9 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;

Condamne la société Axa France IARD et la société MJSA, prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la Société d'exploitation des établissements Verge Claude, aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Axa France IARD et la condamne, in solidum avec la société MJSA, prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la Société d'exploitation des établissements Verge Claude, à payer à M. [D] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze juillet deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300413

Dénaturation de la mission de l'expert judiciaire par le juge saisi

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 juillet 2024




Cassation partielle sans renvoi


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 411 F-D

Pourvoi n° U 23-13.380





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 JUILLET 2024

1°/ M. [K] [O], domicilié [Adresse 1],

2°/ la société Module concept, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 3], représentée par M. [R] [Y], domicilié [Adresse 2], agissant en sa qualité de liquidateur judiciaire,

ont formé le pourvoi n° U 23-13.380 contre l'arrêt rendu le 11 janvier 2023 par la cour d'appel de Bastia (chambre civile, section 2), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [V] [X],

2°/ à Mme [I] [N], épouse [X],

tous deux domiciliés [Adresse 3],

3°/ à M. [R] [Y], domicilié [Adresse 2], pris en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Module concept,

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de M. [O] et de la société Module concept représentée par M. [R] [Y], ès qualités, après débats en l'audience publique du 4 juin 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller faisant fonction de doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à M. [O] et à la société Module concept, représentée par son liquidateur judiciaire, du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [Y], pris en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Module concept.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué, (Bastia, 11 janvier 2023), statuant en matière de référé, M. et Mme [X] ont confié à la société Module concept, représentée par M. [O], des travaux de construction pour l'édification d'une maison.

3. Se plaignant, en cours de chantier, d'une mauvaise exécution des travaux, ils ont assigné la société Module concept et M. [O] en référé aux fins d'expertise et communication des pièces justifiant de la souscription des assurances.

Examen des moyens

Sur le second moyen

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. M. [O] fait grief à l'arrêt de faire droit à la demande de mesure d'instruction de M. et Mme [X] et d'ordonner une expertise avec mission donnée à l'expert désigné, notamment, de décrire tous les désordres, malfaçons, inexécutions, défauts de conformité affectant les travaux, quelle que soit leur nature et leur date d'apparition (qu'il s'agisse des désordres allégués au jour de la présente décision, d'éventuels désordres qui pourraient apparaître postérieurement à la présente décision, ou des désordres qui pourraient être mis en lumière par les opérations d'expertise ou à l'occasion de celles-ci), alors « que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que l'ordonnance entreprise a, notamment, donné mission à l'expert désigné de décrire tous les désordres, malfaçons, inexécutions, défauts de conformité affectant les travaux, quelle que soit leur nature et leur date d'apparition (qu'il s'agisse des désordres allégués au jour de la présente décision, d'éventuels désordres qui pourraient apparaître postérieurement à la présente décision, ou des désordres qui pourraient être mis en lumière par les opérations d'expertise ou à l'occasion de celles-ci) ; que la cour d'appel qui, pour considérer que la mission d'expertise n'était pas une mission d'instruction générale et confirmer l'ordonnance, a énoncé que la mission était limitée aux malfaçons et désordres invoqués et n'était donc aucunement générale, en a dénaturé les termes clairs et précis et violé le principe susvisé. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

6. Pour confirmer l'expertise ordonnée par le premier juge, l'arrêt retient qu'il ressort du texte de la mission qu'elle est limitée aux malfaçons et désordres invoqués et n'est donc aucunement générale, les désordres et malfaçons devant être analysés en fonction du permis de construire déposé et des règles de l'art, ce qui n'a rien ni d'abusif ni d'extraordinaire dans le cadre d'une expertise judiciaire.

7. En statuant ainsi, alors que l'ordonnance donnait mission à l'expert « de décrire tous les désordres, malfaçons, inexécutions, défauts de conformité affectant les travaux, quelle que soit leur nature et leur date d'apparition (qu'il s'agisse des désordres allégués au jour de la présente décision, d'éventuels désordres qui pourraient apparaître postérieurement à la présente décision, ou des désordres qui pourraient être mis en lumière par les opérations d'expertise ou à l'occasion de celles-ci) », ce dont il résultait que la mesure n'était pas limitée aux malfaçons et désordres invoqués par les maîtres de l'ouvrage, la cour d'appel, qui a dénaturé les termes clairs et précis de l'ordonnance, a violé le principe susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

8. La cassation est limitée au chef de mission d'expertise demandant à l'expert de décrire les désordres.

9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

10. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

11. La cassation partielle de l'expertise n'emporte pas celle des chefs de dispositif statuant sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par les dispositions de l'arrêt non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il donne pour mission à l'expert de décrire tous les désordres, malfaçons, inexécutions, défauts de conformité affectant les travaux, quelle que soit leur nature et leur date d'apparition (qu'il s'agisse des désordres allégués au jour de la décision, d'éventuels désordres qui pourraient apparaître postérieurement à la décision, ou des désordres qui pourraient être mis en lumière par les opérations d'expertise ou à l'occasion de celles-ci), l'arrêt rendu le 11 janvier 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;

Dit n'y avoir lieu à renvoi ;

Donne mission à l'expert de vérifier si les désordres, non-conformités contractuelles ou aux règles de l'art et défauts d'achèvement allégués par M. et Mme [X] au cours de l'instance et affectant les travaux réalisés par la société Module concept existent et, dans l'affirmative, de les décrire, les autres chefs de mission demeurant inchangés ;

Condamne M. et Mme [X] aux dépens exposés devant la Cour de cassation ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze juillet deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300411

Assurance construction et notion d'activité déclarée

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 juillet 2024




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 409 F-D


Pourvois n°
S 22-22.505
T 22-23.679 JONCTION






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 JUILLET 2024

I- M. [R] [O], domicilié [Adresse 5],
a formé le pourvoi n° S 22-22.505 contre un arrêt rendu le 30 août 2022 par la cour d'appel de Grenoble (2e chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société BIO Bât, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 6],

2°/ à Mme [U] [N],

3°/ à M. [L] [G],

tous deux domiciliés [Adresse 3],

4°/ à la société Allianz IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],

5°/ à la société QBE Europe, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2] (Royaume-Uni), venant aux droits de la société QBE Insurance Europe Limited, prise en son établissement en France, [Adresse 4],

défendeurs à la cassation.

II- 1°/ Mme [U] [N],

2°/ M. [L] [G],

ont formé le pourvoi n° T 22-23.679 contre le même arrêt rendu, dans le litige les opposant :

1°/ à la société BIO Bât, société à responsabilité limitée,

2°/ à M. [R] [O],

3°/ à la société Allianz IARD, société anonyme,

4°/ à la société QBE Europe, société anonyme, venant aux droits de la société QBE Insurance Europe Limited,

défendeurs à la cassation.

Dans le pourvoi n° S 22-22.505, la société Allianz IARD a formé un pourvoi provoqué contre le même arrêt.

Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

La demanderesse au pourvoi provoqué invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

Dans le pourvoi n° T 22-23.679, les demandeurs au pourvoi invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen de cassation.

Les dossiers a été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de Mme [N] et de M. [G], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [O], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société QBE Europe, de la SCP Duhamel, avocat de la société Allianz IARD, après débats en l'audience publique du 4 juin 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller faisant fonction de doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° S 22-22.505 et T 22-23.679 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 30 août 2022), en 2014, Mme [N] et M. [G] ont confié à la société BIO Bât la fourniture et l'installation d'un poêle à bois dans leur maison.

3. Cette société a sous-traité la pose d'un conduit flexible de tubage à M. [O], assuré auprès de la société QBE Insurance Europe Limited, aux droits de laquelle vient la société QBE Europe.

4. Un incendie s'est déclaré dans la maison le 21 janvier 2015, détruisant sa toiture.

5. La société Allianz IARD, assureur multirisque habitation de Mme [N] et M. [G], a versé des indemnités et, après une expertise judiciaire, a assigné la société BIO Bât, M. [O] et la société QBE Europe aux fins de remboursement.

Examen des moyens

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi n° S 22-22.505 de M. [O], sur le moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi provoqué de la société Allianz IARD et sur le moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi n° T 22-23.679 de Mme [N] et M. [G], réunis

Enoncé des moyens

6. Par son moyen, M. [O] fait grief à l'arrêt de rejeter les demandes formées à l'encontre de la société QBE Europe et de le condamner in solidum avec la société BIO Bât, à rembourser à la société Allianz IARD la somme de 271 724,78 euros et à payer à Mme [N] et M. [G] une somme en principal de 73 761,53 euros en réparation des préjudices non indemnisés par leur assureur, alors « que les juges sont tenus de rechercher la commune intention des parties à un contrat en tenant compte de l'ensemble de ses stipulations ; qu'en l'espèce, M. [O] faisait valoir que la nature de l'activité n° 31 couverte par le contrat d'assurance était définie dans une nomenclature figurant dans les conditions particulières, et qu'il convenait de tenir compte de cette définition pour apprécier le point de savoir si l'installation à l'origine du dommage était ou non couverte par le contrat d'assurance ; qu'en s'en tenant au seul intitulé de l'activité n° 31, tel qu'il figurait au paragraphe III des conditions particulières, pour en déduire que l'installation réalisée par M. [O] relevait d'une autre activité, non couverte par le contrat d'assurance, sans rechercher, comme il lui était demandé, si la nature de l'activité couverte par le contrat d'assurance ne devait pas s'apprécier également au regard de la définition qui en était donnée dans les conditions particulières, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 ancien devenu 1103 du code civil. »

7. Par son moyen, la société Allianz IARD fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes formées à l'encontre de la société d'assurance QBE Europe, dont sa demande à la garantir à hauteur de 271 724,78 euros, alors « que les juges sont tenus de rechercher la commune intention des parties à un contrat en tenant compte de l'ensemble de ses stipulations ; qu'en l'espèce, la cour a énoncé que M. [O] était assuré auprès de la société QBE Insurance Limited pour l'activité « 31. Installations thermiques de génie climatique y compris ramonage et aérotherme, à l'exclusion de la pose de capteurs solaires », mais qu'il n'avait pas déclaré exercer l'activité « 32. Fumisterie » qui comprend la « réalisation (hors fours et cheminées industriels) de systèmes d'évacuation des produits de combustion », de sorte qu'il n'était pas assuré pour la prestation consistant en la pose de flexible de tubage d'un insert ayant causé l'incendie ; qu'en s'en tenant au seul intitulé de l'activité 31 dans les conditions particulières de la police, sans rechercher, comme il lui était demandé, si la nature de cette activité couverte par le contrat d'assurance, devait s'apprécier également au regard de la définition qui en était donnée dans les conditions particulières, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 ancien devenu 1103 du code civil. »

8. Par leur moyen, Mme [N] et M. [G] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande tendant à ce que la société QBE Europe soit condamnée, in solidum avec la société BIO Bât et M. [O], à leur verser la somme totale de 119 124,53 euros, au titre des préjudices subis dont ils n'ont pas été indemnisés par leur assureur, alors « que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ; qu'en se bornant à énoncer, pour juger que la société QBE Insurance ne devait pas sa garantie, que M. [O] était assuré auprès de la société d'assurance QBE Insurance Limited pour l'activité de « 31. Installations thermiques de génie climatique y compris ramonage et aérothermie, à l'exclusion de la pose de capteurs solaires » mais non pour l'activité « 32. Fumisterie » qui comprenait la réalisation (hors fours et cheminées industriels) de système d'évacuation de produits de combustion, de sorte que M. [O] n'était pas assuré pour la prestation qui lui avait été sous-traitée par la Sarl Bio Bat et qui consistait en la pose du flexible de tubage moyennant un prix de 250 euros, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, au regard de la nomenclature des activités annexée au contrat d'assurance, l'activité 31 ne comprenait pas la réalisation d'installations (production, distribution, évacuation) de chauffage et de refroidissement, ce qui incluait, par voie de conséquence, la pose d'un tubage dans le cadre de l'installation d'un poêle à bois, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'ancien article 1134 du code civil, devenu l'article 1103 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1134, devenu 1103, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

9. Selon ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

10. Pour rejeter les demandes formées contre la société QBE Europe, l'arrêt relève que M. [O] était assuré pour les activités n° 30 « Plomberie-Installations sanitaires à l'exclusion de la pose de capteurs solaires » et n° 31 « Installations thermiques de génie climatique y compris ramonage et aérothermie, à l'exclusion de la pose de capteurs solaires » mais qu'il n'avait pas expressément déclaré exercer l'activité n° 32 « Fumisterie », qui comprend la réalisation, hors fours et cheminées industriels, de systèmes d'évacuation des produits de combustion.

11. Il en déduit que M. [O] n'était pas assuré pour la pose du flexible de tubage.

12. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la pose d'un flexible de tubage d'un poêle à bois n'était pas comprise dans l'activité n° 31 « installations thermiques de génie climatique » déclarée par l'assuré, compte tenu de la définition de cette activité dans la nomenclature annexée aux conditions particulières du contrat d'assurance, soit la « réalisation d'installations (production, distribution, évacuation) de chauffage et de refroidissement », la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquences de la cassation

13. La cassation ne s'étend pas aux chefs de dispositif condamnant M. [O] à indemniser Mme [N] et M. [G] et la société Allianz IARD, dès lors que les motifs critiqués par le moyen ne sont pas le soutien de ces condamnations.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes formées à l'encontre de la société QBE Insurance Europe Limited, aux droits de laquelle vient la société QBE Europe, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 30 août 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Condamne la société QBE Europe aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société QBE Europe à payer à Mme [N] et M. [G] la somme globale de 3 000 euros et à M. [O] la somme de 3 000 euros et rejette les autres demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze juillet deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300409