mardi 16 avril 2019

Référé "mesures utiles", urgence et impartialité (CE)

Note Minet-Leleu, GP 2019, n° 14, p.  14.

Conseil d'État

N° 424005   
ECLI:FR:CECHR:2019:424005.20190228
Publié au recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
M. Paul Bernard, rapporteur
Mme Sophie Roussel, rapporteur public
SCP BENABENT ; SCP FABIANI, LUC-THALER, PINATEL, avocats


lecture du jeudi 28 février 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Les sociétés Sodifram, Multi autos location et Bahedja ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Mayotte, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, d'enjoindre, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à la commune de Mamoudzou et au département de Mayotte de réaliser des travaux d'entretien, de curage et de réfection du réseau d'eaux pluviales et de la voirie sur la route de l'Archipel dans la zone industrielle de Kaweni à Mamoudzou. Par une ordonnance n° 1701263 du 19 décembre 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte a rejeté cette demande.

Saisi d'un pourvoi par la société Sodifram, le Conseil d'Etat, par une décision n° 417005 du 18 juillet 2018, a annulé cette ordonnance.

Par une ordonnance n° 1800991 du 27 août 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte, statuant après renvoi de l'affaire par le Conseil d'Etat, a rejeté la demande de la société Sodifram.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 septembre 2018 et 10 janvier 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Sodifram demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) réglant l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Mamoudzou et du département de Mayotte, ensemble, une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;





Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Paul Bernard, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Sophie Roussel, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Benabent, avocat de la société Sodifram, et à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat du Conseil départemental de Mayotte ;







Considérant ce qui suit :

1. Les sociétés Sodifram, Multi autos location et Bahedja ont, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, demandé au juge des référés du tribunal administratif de Mayotte d'enjoindre, sous astreinte, à la commune de Mamoudzou et au département de Mayotte d'exécuter des travaux de réfection de voirie et de réseaux d'eaux pluviales ainsi que des travaux de curage ou d'entretien de ces derniers dans la zone industrielle de Kaweni où elles exercent leurs activités commerciales. Leur demande a été rejetée par une ordonnance du juge des référés du 19 décembre 2017. Par une décision du 18 juillet 2018, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a, sur la demande de la société Sodifram, annulé cette ordonnance. Par une ordonnance du 27 août 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte a de nouveau rejeté la demande. La société Sodifram se pourvoit en cassation contre cette dernière ordonnance.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " S'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, le Conseil d'Etat peut soit renvoyer l'affaire devant la même juridiction statuant, sauf impossibilité tenant à la nature de la juridiction, dans une autre formation, soit renvoyer l'affaire devant une autre juridiction de même nature, soit régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie. " Il résulte de ces dispositions que la formation de jugement appelée à délibérer à nouveau sur une affaire à la suite d'une annulation par le Conseil d'Etat de la décision précédemment prise sur cette même affaire ne peut comprendre aucun magistrat ayant participé au délibéré de cette décision, sauf impossibilité pour la juridiction à laquelle l'affaire a été renvoyée de statuer dans une formation de jugement ne comprenant aucun membre ayant déjà participé au jugement de l'affaire. En particulier, lorsque le Conseil d'Etat a annulé une ordonnance rendue par un juge des référés d'un tribunal administratif et renvoyé l'affaire devant ce tribunal, le nouvel examen de la demande de référé ne peut pas être confié au magistrat qui avait rendu l'ordonnance annulée. Il n'en irait autrement qu'en cas d'impossibilité d'attribuer l'affaire à un autre magistrat. Or, il ressort des mentions de l'ordonnance attaquée que le juge des référés qui, à la suite de la décision du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, du 18 juillet 2018, a statué à nouveau sur la demande de la société Sodifram, était le même que celui qui avait rendu l'ordonnance du 19 décembre 2017, alors qu'il n'existait pas d'impossibilité pour le président du tribunal de Mayotte de confier cette affaire à un autre juge des référés. Ainsi les dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ont été méconnues. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, la société Sodifram est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée.

3. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire. " Il y a lieu, par suite, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée par la société Sodifram.

4. Aux termes de l'article L. 521-3 du code de justice administrative : " En cas d'urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l'absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative ". Saisi sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative d'une demande qui n'est pas manifestement insusceptible de se rattacher à un litige relevant de la compétence du juge administratif, le juge des référés peut prescrire, à des fins conservatoires ou à titre provisoire, toutes mesures que l'urgence justifie, notamment sous forme d'injonctions adressées à l'administration, à la condition que ces mesures soient utiles et ne se heurtent à aucune contestation sérieuse. En particulier le juge des référés, saisi dans ce cadre, peut pour prévenir ou faire cesser un dommage dont l'imputabilité à des travaux publics ou à un ouvrage public ne se heurte à aucune contestation sérieuse, enjoindre au responsable du dommage de prendre des mesures conservatoires destinées à faire échec ou mettre un terme à des dangers immédiats.

5. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier, qu'à la suite de précédentes inondations de la zone industrielle de Kaweni à Mamoudzou, le département de Mayotte, se conformant aux conclusions d'une expertise réalisée en 2011, a mis en place dans le secteur de la route de l'Archipel au sein de cette zone industrielle, des caniveaux et d'autres ouvrages d'évacuation des eaux pluviales. Si la société Sodifram soutient qu'en raison de l'entretien insuffisant de ces installations, de nouvelles inondations se sont produites qui ont rendu nécessaires des opérations de nettoyage de son parking et d'un local situé en rez-de-chaussée en raison de la boue déposée par l'inondation et si elle se prévaut de l'approche de la saison des pluies, elle ne justifie pas de l'existence d'un danger immédiat permettant au juge des référés saisi dans le cadre des dispositions de l'article L. 521-3 du code de justice administrative d'ordonner à une personne publique de procéder à des travaux conservatoires. Il suit de là que la condition d'urgence exigée par les dispositions de l'article L. 521-3 du code de justice administrative n'est pas remplie. La demande présentée par la société Sodifram devant le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte ne peut donc qu'être rejetée.

6. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
--------------

Article 1er : L'ordonnance du 27 août 2018 du juge des référés du tribunal administratif de Mayotte est annulée.

Article 2 : La demande présentée par la société Sodifram devant le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte est rejetée.

Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la société Sodifram est rejeté.

Article 4 : Les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par le département de Mayotte sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Sodifram, au département de Mayotte et à la commune de Mamoudzou.






Analyse

Abstrats : 54-035-04-03 PROCÉDURE. PROCÉDURES INSTITUÉES PAR LA LOI DU 30 JUIN 2000. RÉFÉRÉ TENDANT AU PRONONCÉ DE TOUTES MESURES UTILES (ART. L. 521-3 DU CODE DE JUSTICE ADMINISTRATIVE). CONDITIONS D'OCTROI DE LA MESURE DEMANDÉE. - CONDITIONS DU PRONONCÉ D'UNE INJONCTION AU RESPONSABLE D'UN DOMMAGE DE TRAVAUX PUBLICS DE PRENDRE DES MESURES CONSERVATOIRES - CONDITION D'URGENCE - CONDITION NON REMPLIE EN L'ABSENCE DE DANGER IMMÉDIAT [RJ1] - ESPÈCE.

Résumé : 54-035-04-03 Saisi sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative (CJA) d'une demande qui n'est pas manifestement insusceptible de se rattacher à un litige relevant de la compétence du juge administratif, le juge des référés peut prescrire, à des fins conservatoires ou à titre provisoire, toutes mesures que l'urgence justifie, notamment sous forme d'injonctions adressées à l'administration, à la condition que ces mesures soient utiles et ne se heurtent à aucune contestation sérieuse. En particulier le juge des référés, saisi dans ce cadre, peut pour prévenir ou faire cesser un dommage dont l'imputabilité à des travaux publics ou à un ouvrage public ne se heurte à aucune contestation sérieuse, enjoindre au responsable du dommage de prendre des mesures conservatoires destinées à faire échec ou mettre un terme à des dangers immédiats.... ...A la suite d'inondations, un département a mis en place des caniveaux et d'autres ouvrages d'évacuation des eaux pluviales. Requérant soutenant qu'en raison de l'entretien insuffisant de ces installations, de nouvelles inondations se sont produites qui ont rendu nécessaires des opérations de nettoyage de son parking et d'un local situé en rez-de-chaussée en raison de la boue déposée par l'inondation et se prévalant de l'approche de la saison des pluies. Requérant ne justifiant pas en revanche de l'existence d'un danger immédiat permettant au juge des référés saisi dans le cadre de l'article L. 521-3 du CJA d'ordonner à une personne publique de procéder à des travaux conservatoires. Il suit de là que la condition d'urgence exigée par les dispositions de l'article L. 521-3 du CJA n'est pas remplie.



[RJ1] Rappr., s'agissant du caractère subsidiaire du référé régi par l'article L. 521-3 du CJA, CE, Section, 5 février 2016, M. Benabdellah, n°s 393540, 393451, p. 13.  

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