dimanche 26 avril 2020

La qualité pour agir n'est pas subordonnée à la démonstration préalable du bien fondé de l'action

Cour de cassation
chambre civile 2
Audience publique du jeudi 19 mars 2020
N° de pourvoi: 18-26.157
Non publié au bulletin Cassation

M. Pireyre (président), président
Me Balat, SCP Colin-Stoclet, SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat(s)





Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 2

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 19 mars 2020




Cassation


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 364 F-D

Pourvoi n° D 18-26.157




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 MARS 2020

La société Karavelli, société en nom collectif, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° D 18-26.157 contre l'arrêt rendu le 20 septembre 2018 par la cour d'appel de Papeete (chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Les Terrasses de l'Océan, anciennement dénommée société Orava, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,

2°/ au syndicat des copropriétaires de la résidence Les Terrasses de l'Océan, dont le siège est [...] ,

3°/ au syndicat des copropriétaires de la résidence Orava, dont le siège est [...] , représenté par son syndic en exercice, la société Cailleau immobilier, dont le siège est [...] ,

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Cardini, conseiller référendaire, les observations de la SCP Colin-Stoclet, avocat de la société Karavelli, de Me Balat, avocat du syndicat des copropriétaires de la résidence Orava, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Les Terrasses de l'Océan, et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 12 février 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Cardini, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Donne acte à la société Karavelli du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre le syndicat des copropriétaires de la Résidence Les Terrasses de l'Océan.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 20 septembre 2018) et les productions, aux termes d'un protocole d'accord conclu le 12 juillet 2006, la société Orava a été autorisée à réaliser contre paiement un piquage sur deux réservoirs lui appartenant pour l'alimentation en eau d'un lotissement, et s'est engagée à l'égard de la société Karavelli à ce que le futur syndicat des copropriétaires du lotissement souscrive à cet engagement. La société Orava restait, à défaut, redevable des sommes dues au titre de la consommation d'eau.

3. La société Karavelli a assigné la société Orava en paiement de certaines sommes au titre de ce protocole d'accord.

4. Un jugement a condamné la société Orava, désormais dénommée Les Terrasses de l'Océan, à payer une certaine somme à la société Karavelli.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La société Karavelli fait grief à l'arrêt de juger irrecevable sa demande tendant, notamment, à la condamnation de la SARL Orava à lui payer la somme de 21 750 611 F CFP et de la débouter de toutes ses autres demandes alors « que l'action en justice est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ; que le cocontractant dont le contrat n'a pas été respecté par l'autre partie a qualité pour demander en justice l'application de celui-ci ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la société Karavelli et la société Orava avaient conclu un protocole d'accord le 12 juillet 2006 (arrêt, p. 5 dans le § 7), dont la société Karavelli demandait l'exécution ; que pour débouter la société Karavelli de ses demandes, la cour d'appel a énoncé « qu'il n'était pas conclu en défense sur l'existence du protocole du 10 mars 2004 et sur les conséquences légitimes qui en sont tirées par l'appelante et que dès lors, faute pour la société Karavelli d'établir sa qualité pour conclure le protocole du 12 juillet 2006 dont elle se prévaut pourtant dans le cadre de la présente instance, son action sera déclarée irrecevable » (arrêt, p. 5 § 6 et 7) ; qu'en confondant ainsi le droit de conclure le protocole d'accord et le droit d'agir pour en obtenir l'exécution, la cour d'appel s'est déterminée par un motif impropre à exclure la qualité à agir de la société Karavelli pour demander en justice l'exécution du protocole d'accord du 12 juillet 2006 et a privé sa décision de base légale au regard de l'article 45 du code de procédure civile de la Polynésie française. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 45 du code de procédure civile de la Polynésie française :

6. Selon ce texte, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut du droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

7. Pour déclarer irrecevable la demande de la société Karavelli, l'arrêt relève qu'il est soutenu que, contrairement au protocole d'accord conclu le 12 juillet 2006, la société Karavelli n'est pas propriétaire des deux réservoirs, édifiés sur le terrain appartenant à la société Vaihiapa, et ne pouvait donc avoir conclu ledit protocole pour facturer des frais de consommation d'eau à la société Orava. Il ajoute qu'est produit un protocole du 10 mars 2004 aux termes duquel la société Vaihiapa cédait pour une durée de quatre-vingt-dix-neuf années à un adjoint chargé de l'eau de la commune de Papeete, une parcelle de terre avec autorisation d'y faire construire deux réservoirs d'alimentation en eau et retient qu'il n'est pas conclu en défense sur l'existence de ce protocole d'accord du 10 mars 2004 et sur les conséquences légitimes qui en sont tirées par la société Les Terrasses de l'Océan. Il en déduit que faute pour la société Karavelli d'établir sa qualité pour conclure le protocole du 12 juillet 2006 et dont elle se prévaut pourtant dans le cadre de la présente instance, son action sera déclarée irrecevable.

8. En statuant ainsi, alors que la qualité pour agir n'est pas subordonnée à la démonstration préalable du bien fondé de l'action, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Papeete ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Papeete autrement composée ;

Condamne la société Les Terrasses de l'Océan et le syndicat des copropriétaires de la Résidence Orava aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par la société Les Terrasses de l'Océan et le syndicat des copropriétaires de la Résidence Orava et les condamne à payer à la société Karavelli la somme globale de 3 000 euros ;

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