N° 2888
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 avril 2020.
PROPOSITION DE LOI
tendant à abroger l’ordonnance n° 2016‑157 et la loi n° 2016‑1887 relatives à une liaison ferroviaire entre Paris et l’aéroport Paris‑Charles‑de‑Gaulle,
(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Frédérique DUMAS,
députée.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le mardi 5 février 2019, Madame Élisabeth BORNE alors ministre des transports confirmait la réalisation du Charles‑de‑Gaulle Express (CDGE), « en assurant » que « cela ne se ferait pas au détriment des transports franciliens », sans toutefois y apporter de garanties concrètes.
Or cette décision avait été prise au mépris des associations des usagers, de nombreux élus et des différentes études techniques et environnementales qui ont montré que le chantier ainsi que l’existence du CDGE lui‑même, tel qu’il a été conçu, impactera de manière très négative et durablement l’exploitation des lignes du RER B, mais aussi celles du RER E et celles des lignes P et K.
C’est d’ailleurs à ce titre que Mme Valérie Pécresse en tant que Présidente de la Région Île‑de‑France et d’Île‑de‑France Mobilité avait demandé « la suspension des travaux tant que toutes les garanties n’auraient pas été données sur l’absence d’impact sur les voyageurs du quotidien ».
La ministre avait présenté à cette époque le retard pris par le projet – qui ne pourra être livré comme prévu en 2024 – comme la prise en compte du problème posé, alors qu’il était établi depuis plusieurs mois que le délai de réalisation en vue des Jeux olympiques était impossible à tenir.
Le préfet de Région M. Michel Cadot avait quant à lui évoqué que « la somme des travaux attendus d’ici 2024 sur l’axe ferroviaire de Paris‑Nord aurait nécessairement un impact sur la qualité des services de transport du quotidien avec ou sans CDGE ». Cela signifie que les usagers seraient confrontés à des difficultés sans précédent si le chantier du CDGE était maintenu de manière concomitante.
Nous tenons donc à dénoncer très fortement l’incohérence des déclarations faites :
Incohérence face aux engagements du premier ministre qui a déclaré en février 2018 au sujet du Grand Paris Express, vouloir « tenir un langage de vérité » qui oblige à « prioriser les chantiers pour assurer leurs réalisations dans des délais réalistes, pour éviter de prendre du retard sur tous les chantiers en même temps avec les conséquences sur les conditions de transport des franciliens ».
Il faisait alors des mobilités du quotidien et donc de « la mise en service des lignes qui bénéficient au plus grand nombre de franciliens, une priorité ».
Incohérence face à la nécessité que rappelle le Président de la République dans sa lettre aux Français en janvier 2019 d’« ériger la démocratie représentative comme socle de notre République ».
En effet, la consultation demandée dans l’urgence au Préfet de Région ne portait « que sur le calendrier des travaux » et non sur le report global du projet ou sur le fait de pouvoir le réinterroger, et il avait par ailleurs été omis d’y convier les députés d’Île‑de‑France hors Paris, dont la plupart s’interrogeaient sur les impacts et l’opportunité du CDGE.
Cela renforce la vision « parisienne » et « hors sol » de ce projet contre le quotidien de millions d’usagers qui n’ont pas la chance de bénéficier de la desserte parisienne.
Incohérence face aux engagements pris à l’époque par le Président de la République car cette décision hâtive vide de toute substance le concept même de « démocratie délibérative permanente » qu’il invoquait lui‑même à la sortie du grand débat national en mars 2019.
Incohérence encore face à la nécessité que rappelle le Président de la République toujours dans sa lettre aux Français de janvier 2019, d’optimiser les dépenses publiques au bénéfice des citoyens.
En effet, les conséquences sur les finances publiques n’ont pas été évaluées en transparence.
Si concession a été faite à une société privée, c’est bien l’État qui a finalement consenti à être le créancier de ce projet pour une somme avoisinant les 1,7 milliard d’euros comme le prévoit la loi de finances 2018 qui précise que « les dépenses et la dette seront consolidées au sein des finances publiques ». Et ce sera donc bien l’État qui sera garant en cas de déficit d’exploitation.
Or, un déficit d’exploitation est attendu du fait qu’en moyenne, les dépassements de coûts initiaux sont généralement de l’ordre de 30 à 50 %, que les estimations de recettes sont très « optimistes » et du fait de la conception même du projet.
En effet, s’il nous est expliqué depuis des années que le CDG Express sera le « garant du rayonnement économique de la France et constituera un véritable levier pour le tourisme », il n’était pas prévu que ce dernier soit relié au futur terminal 4 et il desservira uniquement la gare de l’Est que le candidat de la majorité aux élections municipales à Paris proposait supprimer. Bien loin donc de la conception de la future « Elisabeth line » dont la partie « express » ne côtoie aucune ligne du quotidien et qui relie l’ensemble des terminaux d’Heathrow à plusieurs stations de métro de Londres intra‑muros.
Si l’on ajoute un prix prohibitif compris entre 20 et 25 euros par personne, nous pensons que les faiblesses intrinsèques du projet ne lui permettront pas de remplir les objectifs qui lui ont été assignés et qu’augmenter la taxe sur les passagers aériens, comme l’a suggéré la ministre des Transports de l’époque lors d’une séance de Questions Orales Sans Débat le 12 février 2019, n’est pas une solution acceptable pour le contribuable.
Enfin, un tel projet rend encore plus aléatoire la tenue des engagements sur certaines autres lignes du Grand Paris Express, comme la ligne 17 devant relier Roissy à La Défense qui constitue pourtant une sérieuse alternative, aux côtés d’un RER B double rames enfin modernisé.
Cette décision hâtive et précipitée a par ailleurs été prise au moment même où le Gouvernement a affirmé sa volonté, très controversée, de privatiser Aéroports de Paris (ADP) – le CDGE permettant effectivement de valoriser l’éventuelle future cession – à un moment où il fallait aussi honorer les contreparties négociées, et ce sans transparence, à la suite de l’abandon du projet de l’aéroport de Notre Dame des Landes.
Aujourd’hui le temps s’est arrêté. L’épidémie du covid‑19 est devenue mondiale et a conduit au confinement de l’ensemble de la population dans notre pays afin d’éviter l’engorgement de nos hôpitaux et la mort de trop nombreux‑ses de nos concitoyen‑ne‑s.
Le Président de la République a annoncé que la privatisation d’ADP était abandonnée.
Une grande partie de l’activité du pays est à l’arrêt. Seule peuvent continuer les activités indispensables aux pays qui ne peuvent être réalisées par télétravail.
Or c’est bien dans ce contexte de crise sanitaire et des conséquences économiques et sociales qu’elle va entraîner, que la ministre de la transition écologique et solidaire, ex‑ministre des transports, a décidé de donner agrément au guide de l’Organisme Professionnel de prévention du bâtiment et des travaux Publics (OPPBTP) en vue de faire redémarrer les chantiers du CDGE au plus vite.
En dehors du fait que nous n’ayons aucune certitude sur la protection des salarié‑e‑s, ce qui est particulièrement grave, il est tout simplement sidérant qu’il ne soit même pas question de réinterroger à ce stade un tel projet dont la pertinence avant la crise était déjà fortement ébranlée.
Tous les arguments invoqués pour demander son annulation prennent encore plus de poids à l’aune de la crise sanitaire, économique et sociale et de la nécessité de penser autrement.
Au lieu de donner la priorité à la modernisation des transports au quotidien, ce qui aurait dû être le seul objectif poursuivi dès avant la crise et qui devient de fait aujourd’hui absolument vitale, le gouvernement continue de mettre la priorité sur la construction d’une ligne à grande vitesse en plein centre urbain, qui passera devant le nez des usagers, notamment de Seine‑Saint‑Denis, sans s’arrêter. Cela alors même que règne la plus grande incertitude sur l’avenir du tourisme et le volume des vols internationaux.
L’image même de métros ou de RER bondés et qui ne peut qu’effrayer en pleine épidémie, ne fait même pas envisager la moindre pause !
Une image d’un passé très récent qui deviendra pourtant inacceptable dans un futur très proche.
Face à un monde que nous allons devoir réinventer, il est décidé de maintenir un projet disproportionné qui émerge du passé.
Le 16 mars, le Président de la République a déclaré : « le jour d’après, quand nous aurons gagné, ce ne sera pas un retour aux jours d’avant. Nous serons plus forts moralement. Nous aurons appris et je saurai aussi avec vous en tirer toutes conséquences, toutes les conséquences. »
Le 13 avril, lors de son adresse aux Français, il déclarait : « il nous faudra bâtir une stratégie où nous retrouverons le temps long, la possibilité de planifier, la sobriété carbone, la prévention, la résilience qui seules peuvent permettre de faire face aux crises à venir. »
« Ces quelques évidences s’imposent aujourd’hui à nous mais ne suffiront pas. Je reviendrai donc vers vous pour parler de cet après. Le moment que nous vivons est un ébranlement intime et collectif. Sachons le vivre comme tel. Il nous rappelle que nous sommes vulnérables, nous l’avions sans doute oublié. Ne cherchons pas tout de suite à y trouver la confirmation de ce en quoi nous avions toujours cru. Non. Sachons, dans ce moment, sortir des sentiers battus, des idéologies, nous réinventer – et moi le premier. »
Non seulement il faut « parler de cet après », mais il faut aussi le construire. Transformer ces déclarations en actes dès maintenant.
Monsieur le Président de la République, allez‑vous donc donner de la cohérence à vos propos, allez‑vous accepter de sortir du concept abstrait de « progressisme » dont l’essayiste Dwight MacDonald donnait en 1946 l’allégorie suivante : « Un groupe de gens sont installés dans un bolide fonçant tout droit vers un précipice. En voyant d’autres assis sans rien faire au bord de la route, ils crient : “Ce que vous êtes négatifs ! Regardez‑nous ! Nous allons quelque part, nous faisons vraiment quelque chose, nous !” »
Si tous les ingrédients d’une future catastrophe semblaient d’ores et déjà réunis avant la crise, qu’il est urgent de « se réinventer », alors, la remise en cause de la réalisation du Charles‑de‑Gaulle Express, un projet disproportionné, hors sol, en décalage total non seulement avec ce que nous sommes en train d’éprouver mais avec le monde qu’il nous faudra reconstruire demain, s’impose aujourd’hui comme une évidence.
Pour toutes ces raisons, nous vous proposons de bien vouloir adopter la proposition de loi suivante.
PROPOSITION DE LOI
Article 1er
L’ordonnance n° 2016‑157 du 18 février 2016 relative à la réalisation d’une infrastructure ferroviaire entre Paris et l’aéroport Paris‑Charles‑de‑Gaulle et la loi n° 2016‑1887 du 28 décembre 2016 relative à une liaison ferroviaire entre Paris et l’aéroport Paris‑Charles de Gaulle sont abrogées.
Article 2
La charge pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux article 575 et 575 A du code général des impôts
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