mardi 7 avril 2020

Le principe de sécurité juridique implique que de nouvelles règles, prises dans leur ensemble, soient accessibles et prévisibles et n'affectent pas le droit à l'accès effectif au juge, dans sa substance même.

Cour de cassation
chambre civile 2
Audience publique du jeudi 19 mars 2020
N° de pourvoi: 19-12.990
Publié au bulletin Cassation sans renvoi

M. Pireyre (président), président
SCP Didier et Pinet, avocat(s)





Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 19 mars 2020




Cassation sans renvoi


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 495 FS-P+B+I

Pourvoi n° N 19-12.990


Aide juridictionnelle partielle en demande
au profit de M. K....
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 7 novembre 2018.








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 MARS 2020


M. I... K..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° N 19-12.990 contre l'arrêt rendu le 11 janvier 2018 par la cour d'appel de Lyon (1re chambre civile A), dans le litige l'opposant à M. Y... B..., domicilié [...] , défendeur à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. de Leiris, conseiller référendaire, les observations de la SCP Didier et Pinet, avocat de M. K..., et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 11 mars 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, M. de Leiris, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, Mmes Kermina, Maunand, Leroy-Gissinger, M. Fulchiron, conseillers, Mmes Lemoine, Jollec, M. Cardini, Mme Dumas, conseillers référendaires, M. Aparisi, avocat général référendaire, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 11 janvier 2018), M. K... a relevé appel, le 9 janvier 2017, du jugement d'un tribunal de grande instance, puis a déposé une demande d'aide juridictionnelle, le 31 janvier 2017, dont le bénéfice lui a été accordé le 2 mars 2017.

2. Par ordonnance du 23 mai 2017, le conseiller de la mise en état a prononcé la caducité de la déclaration d'appel, en application de l'article 908 du code de procédure civile, faute de conclusions de M. K... dans un délai de trois mois suivant cette déclaration d'appel. M. K... a déféré cette ordonnance à la cour d'appel et conclu au fond le 1er juin 2017.

Examen du moyen relevé d'office

3. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l'article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

4. Il résulte de ce texte que le principe de sécurité juridique implique que de nouvelles règles, prises dans leur ensemble, soient accessibles et prévisibles et n'affectent pas le droit à l'accès effectif au juge, dans sa substance même.

5. Pour prononcer la caducité de la déclaration d'appel, l'arrêt, après avoir rappelé les dispositions de l'article 908 du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable au 9 janvier 2017, de l'article 38 du décret du 19 décembre 1991 relatif à l'aide juridictionnelle, modifié par l'article 8 du décret n° 2016-1876 du 27 décembre 2016 ayant abrogé l'article 38-1, et des articles 9 et 50 de ce dernier décret, retient, d'abord, que ce décret est applicable en l'espèce, s'agissant d'une demande d'aide juridictionnelle déposée le 31 janvier 2017 ayant fait l'objet d'une décision d'admission le 2 mars suivant.

6. L'arrêt retient, ensuite, que la circulaire du 19 janvier 2017, prise en application du décret du 27 décembre 2016, précise notamment en son point 2.2 concernant la modification de l'effet interruptif de la demande juridictionnelle sur les délais d'action, que « L'extension de l'effet interruptif aux délais d'appel s'applique également aux délais prévus aux articles 902 et 908 à 910 du code de procédure civile, comme cela était le cas jusqu'à présent en vertu de l'ancien article 38-1 du décret du 19 décembre 1991. », que cette circulaire, prise à l'occasion de la parution du décret du 27 décembre 2016, ne comporte aucune disposition impérative et ne peut avoir pour effet, en l'absence de toute portée juridique, de rétablir les dispositions d'un article abrogé par les nouvelles dispositions.

7. L'arrêt énonce, enfin, qu'en aucun cas le décret ayant abrogé l'article 38 du décret du 19 décembre 1991 ne peut être considéré comme contraire à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dans la mesure où chaque justiciable peut déposer, avant de former appel, une demande d'aide juridictionnelle et ainsi bénéficier des nouvelles dispositions, que si le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 a modifié les dispositions du décret du 27 décembre 2016, le nouvel article 38, alinéa 2, qui prévoit que la demande d'aide juridictionnelle interrompt les délais prévus par les articles 909 et 910 du code de procédure civile, n'est pas applicable aux délais prévus par les articles 902 ou 908 du même code, et qu'en conséquence, les conclusions déposées le 1er juin 2017 par M. K... l'ont été au-delà du délai de trois mois prévu par l'article 908 du code de procédure civile, qui avait commencé à courir dès le 9 janvier 2017, date de sa déclaration d'appel.

8. Cet arrêt encourt la censure pour les motifs suivants.

9. Le décret du 27 décembre 2016 a modifié l'article 38 du décret du 19 décembre 1991, à l'effet de reporter le point de départ du délai d'une action en justice ou d'un recours, au profit de celui qui demande le bénéfice de l'aide juridictionnelle, au jour de la notification de la décision statuant définitivement sur cette demande ou, en cas d'admission, de la date, si elle est plus tardive, au jour de la désignation d'un auxiliaire de justice en vue d'assister ou de représenter le bénéficiaire de cette aide pour l'exercice de cette action ou de ce recours. Ce décret du 27 décembre 2016 a corrélativement abrogé l'article 38-1 du décret du 19 décembre 1991, qui prévoyait, dans le cas particulier d'une procédure d'appel, l'interruption des délais réglementaires que cette procédure fait courir.

10. L'abrogation de l'article 38-1 a entraîné la suppression d'un dispositif réglementaire, qui était notamment destiné à mettre en oeuvre les articles 18 et 25 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, selon lesquels l'aide juridictionnelle peut être demandée avant ou pendant l'instance et le bénéficiaire de cette aide a droit à l'assistance d'un avocat. Il en résulte qu'en l'état de cette abrogation, le sens et la portée des modifications apportées à l'article 38 de ce décret ne pouvaient que susciter un doute sérieux et créer une situation d'incertitude juridique.

11. La confusion a été accrue par la publication de la circulaire d'application du décret du 27 décembre 2016, bien que celle-ci soit, par nature, dépourvue de portée normative. En effet, commentant la modification apportée à l'article 38 du décret du 19 décembre 1991, cette circulaire affirmait en substance que l'extension aux délais d'appel de l'effet interruptif s'appliquait également aux délais prévus aux articles 902 et 908 à 910 du code de procédure civile. En outre, elle annonçait qu'une modification du décret du 19 décembre 1991 serait prochainement apportée sur ce point. Postérieurement, le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 a rétabli, pour partie, le dispositif prévu par l'article 38-1 du décret du 19 décembre 1991.

12. Il résulte de ce qui précède que le dispositif mis en place par le décret du 27 décembre 2016 est susceptible de porter atteinte au principe de sécurité juridique et, en cela, d'avoir pour effet de restreindre, de manière disproportionnée au regard des objectifs de célérité et de bonne administration de la justice que ce texte poursuivait, le droit d'accès effectif au juge des requérants qui sollicitent l'aide juridictionnelle après avoir formé une déclaration d'appel. En effet, ces appelants peuvent se voir opposer la caducité de leur déclaration d'appel, les privant ainsi de la faculté d'accéder au juge d'appel.

13. Par conséquent, l'appelant qui a formé appel avant le 11 mai 2017, date d'entrée en vigueur du décret du 6 mai 2017, et sollicité, dans le délai prévu par l'article 908 du code de procédure civile, le bénéfice de l'aide juridictionnelle, puis remis au greffe ses conclusions dans ce même délai, courant à compter de la notification de la décision statuant définitivement sur cette aide, ne peut se voir opposer la caducité de sa déclaration d'appel.

14. En statuant comme elle l'a fait, alors qu'elle constatait que M. K... avait relevé appel le 9 janvier 2017, sollicité, le 31 janvier 2017, le bénéfice de l'aide juridictionnelle, qui lui avait été accordé 2 mars 2017, puis conclu le 1er juin 2017, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

15. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 janvier 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

INFIRME l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 23 mai 2017 ;

DIT n'y avoir lieu de prononcer la caducité de la déclaration d'appel de M. K... en application de l'article 908 du code de procédure civile ;

DIT que l'affaire se poursuivra devant la cour d'appel de Lyon ;

DIT que les dépens de l'incident devant le conseiller de la mise en état et du déféré suivront le sort de ceux de l'instance d'appel ;

DIT n'y avoir lieu à statuer sur les demandes présentées au titre de l'article 700 du code de procédure civile formées devant le conseiller de la mise en état et la cour d'appel ;

Condamne M. B... aux dépens exposés devant la Cour de cassation ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. B... à payer à la SCP Didier et Pinet la somme de 3 000 euros ;

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