vendredi 17 septembre 2021

Délégation de pouvoirs de fait

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :


-
La société Gates,


contre l'arrêt de la cour d'appel de BOURGES, chambre correctionnelle, en date du 8 novembre 2018, qui, pour blessures involontaires, l'a condamnée à 25 000 euros d'amende ;









La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 13 novembre 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Maziau, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Darcheux ;

Sur le rapport de M. le conseiller MAZIAU, les observations de la société civile professionnelle ROCHETEAU et UZAN-SARANO, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LEMOINE ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen pris de la violation des articles 121-2, 222-19, 222-21, du code pénal, 485, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la société Gates coupable des faits de blessures involontaires par personne morale avec incapacité supérieure à trois mois dans le cadre du travail commis le 17 novembre 2014 à Nevers et a, en répression, condamné la société Gates au paiement d'une amende de 25 000 euros ;

"1°) alors qu'ont seules la qualité de représentant, au sens de l'article 121-2 du code pénal, les personnes pourvues de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires, ayant reçu une délégation de pouvoirs, de droit ou de fait, de la part des organes de la personne morale ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que M. W..., directeur de l'usine de Nevers, avait engagé la responsabilité pénale de la société Gates en qualité de représentant de cette dernière, à défaut d'en être un organe ; qu'en statuant ainsi sans vérifier si M. W..., directeur salarié, était titulaire d'une délégation de pouvoirs, de droit ou au moins de fait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

"2°) alors qu'ont seules la qualité de représentant, au sens de l'article 121-2 du code pénal, les personnes pourvues de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires, ayant reçu une délégation de pouvoirs, de droit ou de fait, de la part des organes de la personne morale ; qu'en l'espèce, pour juger que M. W... avait engagé la responsabilité pénale de la société Gates, la cour d'appel a relevé que M. W... était directeur de l'usine Gates sur Nevers et seul représentant de la société Gates sur le site, à défaut d'en être un organe, et qu'il était le supérieur hiérarchique du responsable qualité, sécurité, environnement ; qu'en statuant par de tels motifs impropres à caractériser en quoi M. W..., directeur salarié, aurait été titulaire d'une délégation de pouvoirs, de droit ou même de fait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

"3°) alors, en toute hypothèse, que les juges du fond ont l'obligation de répondre aux moyens péremptoires de nature à influer sur la solution du litige ; qu'en l'espèce, la société Gates soutenait dans ses conclusions que M. W..., qui était directeur salarié sans mandat social, ne bénéficiait pas de délégation de pouvoirs, notamment en matière d'hygiène et de sécurité, de sorte qu'il ne pouvait pas engager la responsabilité pénale de la personne morale (conclusions p. 2 et p. 6) ; qu'en jugeant que M. W... avait agi en qualité de représentant de la société Gates sans répondre aux conclusions de la société Gates sur ce moyen pourtant décisif tiré de l'absence de délégation de pouvoirs, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

"4°) alors que le délit de blessures involontaires réprimé par l'article 222-19, alinéa 1, du code pénal suppose une incapacité totale de travail de plus de trois mois ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'expert mandaté par le Parquet pour évaluer la durée de l'incapacité totale de travail subie par la victime avait retenu dans son certificat établi le 29 mai 2017 que M. X... avait subi du fait de son accident du travail du 17 novembre 2014 une incapacité totale de travail de 92 jours ; qu'en en concluant que la durée effective de l'incapacité de travail avait donc été de plus de trois mois, quand il ressortait au contraire du certificat de l'expert que cette incapacité avait été égale à trois mois, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs ;

"5°) alors que le délit de blessures involontaires réprimé par l'article 222-19, alinéa 1, du code pénal suppose une incapacité totale de travail de plus de trois mois ; qu'en l'espèce, en relevant, pour conclure à une incapacité totale de travail de plus de trois mois, la gravité des lésions, quand la durée de l'incapacité totale de travail doit être calculée arithmétiquement, indépendamment de la gravité des lésions, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

"6°) alors que le délit de blessures involontaires réprimé par l'article 222-19, alinéa 1, du code pénal suppose une incapacité totale de travail de plus de trois mois ; que la prescription d'un arrêt de travail ne suffit pas à établir la réalité d'une incapacité totale de travail ; qu'en se fondant sur la circonstance, en réalité inopérante, que la durée des arrêts de travail prescrits à M. X... avait été supérieure à l'incapacité totale de travail constatée par l'expert judiciaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

"7°) alors que le délit de blessures involontaires réprimé par l'article 222-19, alinéa 1, du code pénal suppose une incapacité totale de travail pendant plus de trois mois ; qu'en l'espèce, en jugeant, par motifs adoptés, que la notion d'incapacité totale de travail devait être appréciée de manière abstraite sur la base d'un mois de 30 jours, et ce quelle que soit la date de l'accident, quand la loi ne prévoit pas un tel mode de calcul déconnecté de la durée réelle effective de l'incapacité de travail, la cour d'appel a encore violé les textes susvisés" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, le 17 novembre 2014, M. I... X..., agent de fabrication au sein de l'usine de Nevers de la société Gates, a été victime d'un accident du travail, sa main gauche ayant été happée alors qu'il travaillait sur un enrouleur situé à la sortie d'une ligne de calandrage destinée à la fabrication de caoutchouc ; que, par certificat médical en date du 29 mai 2017, M. L..., expert médical mandaté par le parquet pour évaluer l'incapacité totale de travail de M. X..., a retenu une incapacité totale de travail de quatre-vingt douze jours ; que le ministère public a poursuivi la société Gates du chef de blessures involontaires par personne morale suivies d'une incapacité totale de travail supérieure à trois mois ; que, par jugement en date du 30 janvier 2018, le tribunal correctionnel a déclaré la société Gates coupable des faits reprochés et l'a condamnée à une amende de 25 000 euros ; que la prévenue et le ministère public ont relevé appel de cette décision ;

Attendu que, pour retenir la culpabilité de la société Gates du chef de blessures involontaires et reconnaître au bénéfice de M. X... une incapacité totale de travail de plus de trois mois, l'arrêt énonce, notamment, que le rapport de la direction régionale des entreprises et de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) précise que M. G... W..., directeur de l'usine Gates à Nevers, et M. O..., responsable qualité sécurité environnement, ont admis avoir identifié le risque d'entraînement sur cette machine dès 2012, mais que les choix notamment budgétaires ont entraîné le report de la mise en oeuvre des mesures de protection adaptées ; que les juges ajoutent qu'il en ressort que M. W... n'a pas effectué les diligences normales au regard de la nature de ses fonctions, de ses moyens et de ses pouvoirs, peu important par ailleurs que la machine ait été déclarée conforme auprès d'un constructeur européen lors de son acquisition ; qu'ils précisent que M. W..., seul représentant de la société Gates sur le site, à défaut d'en être un organe, a bien commis une négligence fautive à l'origine directe des blessures subies par M. X... en ne mettant pas en place les mesures de sécurité pourtant clairement identifiées en 2012 ; qu'ils relèvent qu'à l'audience du 18 octobre 2018, M. W... a précisé qu'il était le supérieur hiérarchique du responsable qualité, sécurité, environnement et que c'est vainement que la défense argue de l'absence de faute personnelle imputable à une personne identifiée ;

Qu'ils ajoutent que le tribunal a relevé que la victime a subi une incapacité totale de travail supérieure à trois mois consécutivement à son accident, compte tenu de l'importance des lésions ayant entraîné plusieurs interventions chirurgicales avec constat d'une incapacité totale de travail de quatre-vingt douze jours selon certificat médical de M. L... en date du 29 mai 2017 ; qu'ils retiennent que c'est vainement que la défense sollicite la requalification en blessures involontaires ayant entraîné une incapacité de travail inférieure à trois mois, au motif que le délai devrait se compter non en jours mais de quantième en quantième ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, résultant de son appréciation souveraine des faits et circonstances de fait contradictoirement débattus, dont il se déduit que M. W... disposait d'une délégation de fait de la société de sorte qu'il en était son représentant, et dès lors que l'incapacité totale de travail personnel supérieure à trois mois reconnue à la partie civile, qui est l'un des éléments constitutifs du délit de blessures involontaires, doit s'entendre de trois mois, appréciés en jours sur la base d'un mois de trente jours, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que moyen doit être écarté ;

Sur le second moyen pris de la violation des articles 131-37, 131-38, 132-1, 132-20 du code pénal, 485, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné la société Gates à une amende de 25 000 euros ;

"alors qu'en matière correctionnelle, la peine d'amende doit être motivée au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, en tenant compte de ses ressources et de ses charges ; que ces exigences s'imposent en ce qui concerne les peines prononcée à l'encontre tant des personnes physiques que des personnes morales ; qu'en l'espèce, en condamnant la société Gates à une amende de 25 000 euros sans s'expliquer sur la personnalité de la société, ce qui lui aurait permis de prendre en considération tous les efforts mis en oeuvre par cette dernière, nonobstant l'accident intervenu, en matière de sécurité, la cour d'appel n'a pas légalement motivé sa décision au regard des textes susvisés";

Attendu que, pour condamner la société Gates à une peine d'amende, l'arrêt énonce que c'est au terme d'une exacte appréciation de la situation financière de cette société, relevant son résultat comptable de 32 millions d'euros, et de la gravité des faits, que le tribunal, qui, ayant également retenu que le bulletin numéro un de son casier judiciaire est vierge de toute condamnation et relevé que la prévenue n'a pas justifié de sa situation financière mais a déclaré embaucher 157 salariés, l'a condamnée au paiement d'une amende de 25 000 euros ;

Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel, qui, par motifs propres et adoptés, a tenu compte de la personnalité de la société selon les indications qui ont pu apparaître au cours des débats, a justifié sa décision au regard des articles 132-1 et 132-20 du code pénal ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ; 

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