lundi 13 septembre 2021

L'appel incident n'est pas différent de l'appel principal par sa nature ou son objet : les conclusions de l'appelant, qu'il soit principal ou incident, doivent déterminer l'objet du litige

 Note R. Laffly, SJ G 2021, p. 1635.

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 1er juillet 2021




Annulation


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 682 F-B

Pourvoi n° N 20-10.694




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 1ER JUILLET 2021

1°/ M. [K] [U], domicilié [Adresse 1],

2°/ Mme [Z] [U], veuve [W], domiciliée [Adresse 2],

3°/ Mme [B] [U], épouse [H], domiciliée [Adresse 3],

ont formé le pourvoi n° N 20-10.694 contre l'arrêt rendu le 8 novembre 2019 par la cour d'appel de Bordeaux (3e chambre famille), dans le litige les opposant à M. [F] [U], domicilié [Adresse 4], défendeur à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Maunand, conseiller, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [K] [U] et de Mmes [Z] et [B] [U], de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de M. [F] [U], et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 26 mai 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Maunand, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 8 novembre 2019), un litige oppose les héritiers [U] sur le partage de la succession de leurs parents.

2. Par jugement du 6 avril 2018, un tribunal de grande instance a, notamment, dit n'y avoir lieu à rapport de donations déguisées ou de dons manuels au profit d'un ou plusieurs héritiers de [I] [U], ordonné l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et de partage de la succession de [I] [U], décédé le [Date décès 1] 2007, et désigné pour y procéder le président de la chambre des notaires, et rejeté les demandes plus amples ou contraires.

3. Par déclaration du 16 mai 2018, M. [F] [U] a relevé appel de cette décision sur l'ensemble des dispositions du jugement précité, sauf celles rejetant les demandes reconventionnelles présentées par M. [K] [U] et Mmes [B] et [Z] [U].

4. Ces derniers ont, par conclusions notifiées le 8 novembre 2018, déclaré former appel incident et demandé la confirmation du jugement uniquement en ce qu'il a écarté les conclusions tardives déposées le 25 janvier 2018, dit n'y avoir lieu à rapport de donations déguisées ou de dons manuels à leur profit et rejeté la demande indemnitaire de M. [F] [U].

5.Par ordonnance du 15 mai 2019, le conseiller de la mise en état, saisi d'un incident par M. [F] [U], a déclaré recevable l'appel incident formé par les intimés et les demandes formées dans leurs conclusions du 8 novembre 2018.

6. M. [F] [U] a déféré cette ordonnance à la cour d'appel.

Recevabilité du pourvoi contestée par la défense

7. M. [F] [U] demande de dire que le pourvoi est irrecevable sur le fondement des articles 606 et 608 du code de procédure civile.

8. Pour infirmer l'ordonnance déclarant recevable l'appel incident, l'arrêt dit que Mmes [Z] et [B] [U] et M. [K] [U] n'ont pas valablement formé appel incident dans le délai imparti à l'article 909 du code de procédure civile, apprécié au regard des dispositions de l'article 954 du même code, ce dont il résultait que les demandes tendant à la faire trancher sur les prétentions déjà soumises aux premiers juges qui avaient statué en réponse, étaient irrecevables.

9. En privant Mmes [Z] et [B] [U] et M. [K] [U] de leur appel incident, la cour d'appel a tranché une partie du principal.

10. Dès lors, le pourvoi est recevable.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

11. Mmes [Z] et [B] [U] et M. [K] [U] font grief à l'arrêt d'infirmer l'ordonnance rendue le 5 mai 2019 par le magistrat chargé de la mise en état, dire que Mmes [Z] et [B] [U] et M. [K] [U], intimés sur l'appel principal de M. [F] [U], n'ont pas valablement formé appel incident à l'encontre du jugement du 6 avril 2018 rendu par le tribunal de grande instance de Bergerac et dire que leurs demandes tendant à faire statuer la cour sur des prétentions déjà soumises aux premiers juges qui ont statué en réponse, et à l'égard desquelles ils n'ont pas valablement formé appel incident, sont irrecevables alors :

« 1°/ que vaut demande de réformation du jugement, le dispositif des écritures d'une partie demandant à la cour d'appel de statuer à nouveau sur des demandes qui ont été rejetées par les premiers juges et de les accueillir ; qu'en jugeant que les intimés ne sollicitaient pas la réformation du jugement dans le dispositif de leurs écritures, tout en constatant qu'ils sollicitaient de la cour d'appel qu'elle « statue à nouveau sur les points suivants », ce dont il résultait que les consorts [U] demandaient la réformation du jugement sur ces demandes, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation des articles 954, 542 et 562 du code de procédure civile ;

2°/ que les juridictions ne peuvent, dans l'application, de règles de procédure, faire preuve d'un formalisme excessif susceptible de porter atteinte à l'équité de la procédure ; qu'en exigeant que les intimés fassent explicitement figurer au dispositif de leurs conclusions les mots « infirmer » ou « réformer », quand ces derniers sollicitaient que la cour d'appel statue
à nouveau sur plusieurs points, dans un sens contraire à la décision des premiers juges, la cour d'appel a fait montre d'un formalisme excessif portant atteinte au droit d'accès à un juge et, partant, a violé l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »


Réponse de la Cour

Vu les articles 542, 909 et 954 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

12. Il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions, ni l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement. Cependant, l'application immédiate de cette règle de procédure, qui a été affirmée par la Cour de cassation le 17 septembre 2020 (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626 ) pour la première fois dans un arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.

13. Rappelant que l'appel incident n'est pas différent de l'appel principal par sa nature ou son objet, que les conclusions de l'appelant, qu'il soit principal ou incident, doivent déterminer l'objet du litige porté devant la cour d'appel, que l'étendue des prétentions dont est saisie la cour d'appel étant déterminée dans les conditions fixées par l'article 954 du code de procédure civile, le respect de la diligence impartie par l'article 909 du code de procédure civile est nécessairement apprécié en considération des prescriptions de cet article 954, l'arrêt retient que les conclusions des intimés ne comportant aucune prétention tendant à l'infirmation ou à la réformation du jugement attaqué, ne constituaient pas un appel incident valable, quelle que soit, par ailleurs, la recevabilité en la forme de leurs conclusions d'intimés.

14. En statuant ainsi, la cour d'appel a donné une portée aux articles 542 et 954 du code de procédure civile qui, pour être conforme à l'état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n'était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle il a été relevé appel, soit le 16 mai 2018, une telle portée résultant de l'interprétation nouvelle de dispositions au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l'application de cette règle de procédure dans l'instance en cours aboutissant à priver M. [U] d'un procès équitable au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux autrement composée ;

Condamne M. [F] [U] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

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