mercredi 29 septembre 2021

Inefficacité des travaux de reprise financés par un assureur

 Note C. Charbonneau, RDI 2021, p. 605.

Note R. Porte, RCA 2021-12, p. 31. 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 septembre 2021




Rejet


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 627 F-D

Pourvoi n° V 19-24.382




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________



ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 SEPTEMBRE 2021

M. [W] [X], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° V 19-24.382 contre l'arrêt rendu le 19 septembre 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-3), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Solinjection, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ à la société Determinant France, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],

3°/ à la société Pacifica, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4],

4°/ à la SMABTP, dont le siège est [Adresse 3], prise en qualité d'assureur des sociétés Determinant France et Solinjection,

défenderesses à la cassation.

La société Pacifica a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Nivôse, conseiller, les observations de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de M. [X], de la SCP Boulloche, avocat des sociétés Solinjection et Determinant France, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la SMABTP, de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de la société Pacifica, après débats en l'audience publique du 22 juin 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Nivôse, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 19 septembre 2019), le 4 novembre 2011, la maison de M. [X] ayant subi une inondation, son assureur au titre des catastrophes naturelles, la société Pacifica, a pris en charge les travaux de réparation.

2. La société Solinjection, assurée auprès de la SMABTP, a été chargée des injections préconisées et la société Alliance BTP, assurée auprès de la SMABTP, a repris les fissures des façades et assumé la maîtrise d'oeuvre.

3. Le 16 octobre 2012, ces travaux ont été réceptionnés sans réserve.

4. Se plaignant de la réapparition de désordres au niveau des murs, du sol et du carrelage des façades, M. [X] a, après expertise et obtention d'une provision de 40 000 euros, assigné les sociétés Pacifica, Solinjection, Alliance BTP, devenue Determinant, et la SMABTP en indemnisation.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner à la cassation.

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

6. M. [X] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'indemnisation formée contre la société Pacifica au titre des travaux de reprise des fondations et des frais de maîtrise d'oeuvre et de conseil technique, alors :

« 1°/ qu'il est interdit au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'il résulte du rapport d'expertise judiciaire du 14 décembre 2017, d'une part, que « sur la base du rapport de sol établi par Geo Est et des études de conception de la société Determinant, la société Solinjection a proposé une injection de la totalité des sols sous le linéaire des semelles filantes [et que] la solution choisie a été validée par le cabinet Agu », expert missionné par la société Pacifica et, d'autre part, « que la solution technique de renforcement des sols, proposée et exécutée n'est pas adaptée au contexte géotechnique des sols altéré par les inondations » ; qu'en affirmant au contraire qu'« il ressort en outre des conclusions de l'expert que ce n'est pas la réparation par injection qui n'était pas adaptée mais le procédé d'injection retenu par la maîtrise d'ouvrage [lire : maîtrise d'oeuvre] », que « si l'expert préconise une réparation par micropieux, il ne conclut pas que la réparation par injection était un moyen totalement inadapté et nécessairement voué à l'échec et que l'expert de l'assureur s'est trompé », pour en conclure que l'assureur « ne peut répondre de l'inefficacité des travaux mal conçus par le maître d'oeuvre et mal exécutés par l'entreprise », la cour d'appel a dénaturé le rapport d'expertise judiciaire, et méconnu l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;

2°/ que l'assureur est responsable à l'égard de son assuré des conséquences de l'inefficacité des travaux, destinés à réparer les désordres causés à ses biens, tels que préconisés par l'expert qu'il a missionné ; que la cour d'appel constate que la société Pacifica a indemnisé M. [X] sur la base d'une étude géologique et géotechnique qu'elle a fait réaliser par la société Geo Est en mai 2012 qui préconisait une réparation par injection ; qu'elle constate encore que les travaux de réparation ainsi préconisés se sont révélés inefficaces ; qu'en affirmant, pour écarter toute responsabilité de la société Pacifica, que celle-ci ne dispose pas de compétence en matière de construction, qu'elle a pris les précautions nécessaires pour déterminer la solution de réparation adéquate et qu'aucune faute ne peut lui être reprochée à ce stade, quand il résultait de ses propres constatations que, par l'expert qu'il avait missionné, l'assureur avait préconisé des travaux de reprise inefficaces, de sorte qu'il avait engagé sa responsabilité à l'égard de son assuré, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

7. La cour d'appel a relevé que la société Pacifica avait pris les précautions nécessaires pour déterminer la solution de réparation adéquate alors qu'elle avait indemnisé son assuré sur la base d'une étude géologique et géotechnique ayant préconisé un procédé de réparation par injection.

8. Elle a retenu, sans dénaturation, d'une part, qu'il ressortait des conclusions de l'expert que ce n'était pas cette solution qui n'était pas adaptée, mais le procédé d'injection retenu par la maîtrise d'oeuvre, lequel nécessitait une étude de projet approfondie, qui n'avait pas été réalisée, pour vérifier son adéquation au contexte et imposait plusieurs phases d'injection avec des contrôles de résultat, d'autre part, que, si l'expert préconisait une réparation par micropieux, il ne concluait pas que la réparation par injection était un moyen inadapté et voué à l'échec et que l'expert de l'assureur s'était trompé.

9. Elle a pu en déduire que la société Pacifica, qui n'avait pas été en charge des travaux, ne devait pas répondre de l'inefficacité des travaux mal conçus par le maître d'oeuvre et mal exécutés par l'entreprise.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

11. M. [X] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande indemnitaire formée contre les sociétés Determinant et Solinjection et leur assureur, sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, alors :

« 1°/ que le jugement doit être motivé ; que, pour écarter la responsabilité décennale des sociétés Determinant et Solinjection, la cour d'appel énonce qu'« il n'est cependant nullement établi que la cause des nouveaux désordres sous forme de fissures, qui se trouvent ou non au siège des anciens désordres soit imputable aux travaux plus qu'au sinistre de 2011 ou aux dispositions constructives » ; qu'en statuant par ces motifs dubitatifs, qui ne permettent pas d'écarter l'imputabilité des nouveaux désordres aux travaux litigieux, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que la garantie décennale du constructeur est due lorsque les désordres sont imputables à son intervention ; que, pour écarter la responsabilité des sociétés Determinant et Solinjection, la cour d'appel énonce qu'« il n'est cependant nullement établi que la cause des nouveaux désordres sous forme de fissures, qui se trouvent ou non au siège des anciens désordres soit imputable aux travaux plus qu'au sinistre de 2011 ou aux dispositions constructives » ; qu'en statuant ainsi, par des motifs qui ne suffisent pas à écarter le rôle causal de l'intervention des sociétés Determinant et Solinjection dans la réalisation des nouveaux désordres affectant la maison, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1792 du code civil. »

Réponse de la Cour

12. La cour d'appel a rappelé que la présomption de responsabilité des constructeurs s'applique de plein droit, dès lors que les dommages sont imputables aux travaux réalisés et que ceux-ci compromettent la solidité de l'immeuble ou le rendent impropre à sa destination.

13. Elle a retenu que le maître de l'ouvrage ne rapportait pas la preuve que les travaux de reprise avaient généré de nouveaux désordres ou fait réapparaître les désordres observés en 2012.

14. Elle a pu en déduire, sans statuer par des motifs dubitatifs, que la garantie décennale des constructeurs ayant effectué les travaux de réparation n'était pas engagée.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen unique du pourvoi incident

Enoncé du moyen

16. La société Pacifica fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à la condamnation de M. [X] à lui rembourser la somme de 22 643,50 euros, alors :

« 1°/ que les juges du fond ne peuvent dénaturer les termes du litige ; qu'en retenant, pour débouter la société Pacifica de sa demande en remboursement de la somme de 22 643,50 euros, qu'ayant reconnu sa garantie en 2012, elle était mal fondée à réclamer le remboursement de sommes qu'elle avait payées au vu des expertises et études qu'elle avait diligentées, quand sa demande en remboursement ne portait pas sur les sommes qu'elle avait versées pour la réparation des désordres nés de l'inondation survenue le 4 novembre 2011, mais sur celle qu'elle avait été condamnée à payer en vertu d'une ordonnance de référé en date du 23 mai 2018, pour des désordres survenus après les travaux de reprise, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile ;

2°/ que la reconnaissance par un assureur de sa garantie au titre de désordres matériels ne vaut pas renonciation de sa part, en cas de réapparition de désordres, à soutenir qu'ils sont sans lien avec les précédents pour refuser sa garantie ; qu'en retenant, pour débouter la société Pacifica de sa demande de remboursement de la somme de 22 643,50 euros au titre des carrelages, qu'elle avait reconnu sa garantie en 2012, quand, nonobstant cette reconnaissance, la société Pacifica était recevable à dénier sa garantie en faisant valoir que les désordres apparus après les travaux de reprise ne correspondaient pas à ceux initialement garantis, la cour d'appel a violé l'article 1134, devenu 1103, du code civil ;

3°/ que, en énonçant, pour faire échec à sa demande de remboursement, que la société Pacifica ne prouvait pas sur la seule base du constat d'huissier du 22 septembre 2012 que les fissures des carrelages ne faisaient pas partie des désordres initiaux, quand il appartenait à M. [X] d'établir que les conditions étaient réunies pour pouvoir prétendre à la garantie de son assureur au titre de ces désordres afin de conserver cette somme, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé l'article 1315, devenu 1353, du code civil. »

Réponse de la Cour

17. La cour d'appel a retenu que la société Pacifica n'était pas fondée à réclamer le remboursement des sommes qu'elle avait payées au vu des expertises et des études qu'elle avait diligentées et qu'elle ne prouvait pas, sur la seule base du constat d'huissier de justice du 22 septembre 2012, que le désordre affectant le carrelage n'existait pas avant les travaux de réparation.

18. Elle a pu déduire de ces seuls motifs, sans modifier l'objet du litige ni inverser la charge de la preuve, que la demande de remboursement devait être rejetée.

19. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

Laisse à chacun des demandeurs la charge des dépens afférents à son pourvoi ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

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