mardi 31 mai 2022

Action récursoire de l'entrepreneur contre son vendeur : régimes de prescription

 Commentaire de la Cour de cassation :

Délai de prescription de l’action en garantie des vices cachés exercée à titre récursoire / Charge de la dépollution d’un site classé pour la protection de l’environnement en cas d’éviction du locataire

3E CIV., 25 MAI 2022, POURVOI N° 21-18.218, PUBLIÉ AU BULLETIN

Quels sont les délais pour agir en garantie des vices cachés, notamment à titre récursoire ? Un pourvoi, concernant des ventes de matériaux de construction antérieures et postérieures à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription, a donné l'occasion à la Cour de cassation de préciser et compléter sa jurisprudence.

Par son arrêt du 25 mai 2022, la Cour de cassation confirme, tout d'abord, la solution adoptée le 16 février 2022 (3e Civ., 16 février 2022, pourvoi n° 20-19.047, publié) pour les ventes de matériaux de construction antérieures à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008. Avant l'entrée en vigueur de cette loi, il était jugé que l'action en garantie des vices cachés devait être exercée dans le délai biennal de l'article 1648 alinéa 1er du code civil, tout en étant enfermée dans le délai de prescription de droit commun courant à compter de la vente. Mais, sauf à porter une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge, le constructeur, dont la responsabilité est retenue en raison des vices affectant les matériaux qu'il a mis en oeuvre pour la réalisation de l'ouvrage, doit pouvoir exercer une action récursoire contre son vendeur sur le fondement de la garantie des vices cachés sans voir son action enfermée dans un délai de prescription courant à compter de la vente initiale.

L'arrêt du 25 mai 2022 apporte, ensuite, deux précisions concernant la prescription des actions en garantie des vices cachés de biens vendus après l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008.

Par un précédent arrêt (3e Civ., 8 décembre 2021, pourvoi n° 20-21.439, publié), la Cour de cassation avait jugé que, pour ces ventes, la prescription de droit commun de l'article 2224 du code civil ne pouvait plus jouer le rôle de délai butoir en venant enfermer l'action en garantie des vices cachés car le point de départ de ce délai, désormais glissant comme dépendant du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, se confondait avec le point de départ du délai de deux ans imparti par l'article 1648, alinéa 1er, du code civil pour agir après la découverte du vice. C'est donc le délai butoir de vingt ans prévu par le nouvel article 2232 du code civil qui devait s'appliquer.

Restait à savoir si cette solution pouvait être retenue en cas de vente par un commerçant, dès lors que l'article L. 110-4, I, du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008, aligne la durée de la prescription commerciale sur celle du droit commun de l'article 2224 du code civil mais sans préciser le point de départ de ce délai.

La Cour de cassation avait déjà retenu qu'en l'absence de dispositions spéciales fixant le point de départ de la prescription commerciale à une autre date, c'était le droit commun de l'article 2224 du code civil qui trouvait à s'appliquer. Reprenant ce principe, elle en déduit que l'article L. 110-4, I, du code de commerce ne plus jouer le rôle de délai butoir pour les ventes postérieures à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, puisque le point de départ de ce délai se confond, lui aussi, avec le point de départ du délai biennal de l'article 1648, alinéa 1er, du code civil.

Ainsi, l'action en garantie des vices cachés affectant un bien vendu par un commerçant doit être introduite dans le délai de deux ans à compter de la découverte du vice sans pouvoir dépasser le délai butoir de vingt ans à compter de la vente initiale.

Le second apport de l'arrêt concerne les actions récursoires. La Cour de cassation précise que les recours sont également soumis au délai butoir de l'article 2232 du code civil. Ils doivent être introduits dans les deux ans de l'assignation délivrée par le sous-acquéreur, mais pas au-delà d'un délai de vingt ans courant à compter de la vente consentie par le vendeur initial. La suspension de prescription qui prévaut pour les ventes antérieures à la loi du 17 juin 2008 ne s'applique pas au délai butoir de l'article 2232 du code civil : ce délai a précisément pour objet d'encadrer dans le temps les actions à compter de la naissance du droit et son point de départ ne peut être reporté. Il est suffisamment long pour permettre un équilibre entre sécurité juridique et droit d'accès au juge.

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 25 mai 2022




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 424 FS-B

Pourvoi n° M 21-18.218




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 25 MAI 2022

La société Etex France Exteriors, nouvelle dénomination de la société Eternit France, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° M 21-18.218 contre l'arrêt rendu le 16 février 2021 par la cour d'appel de Caen (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Abeille IARD & santé, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], anciennement Aviva assurances,

2°/ à la société Socobati, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 3],

défenderesses à la cassation.

La société Socobati a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt ;

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Nivôse, conseiller, les observations de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Etex France Exteriors nouvelle dénomination de la société Eternit France, de la SCP Richard, avocat de la société Socobati, de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de la société Abeille IARD & santé, et l'avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 12 avril 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Nivôse, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, Mmes Farrenq-Nési, Greff-Bohnert, MM. Jacques, Bech, Boyer, Mme Abgrall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mme Brun, conseillers référendaires, Mme Vassallo, premier avocat général, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 16 février 2021), rendu en référé, et les productions, suivant factures des 31 mai, 31 octobre et 30 novembre 2008, pour les besoins de la construction d'un bâtiment agricole pour l'EARL de la Journeauserie (le maître de l'ouvrage), la société Nouvelle Construction Charles (l'entreprise), assurée auprès de la société Aviva assurances, désormais dénommée Abeille IARD et Santé, a acheté des plaques de couverture en fibrociment à la société Socobati (le fournisseur), fabriquées par la société Eternit France, aujourd'hui la société Etex France Exteriors (le fabricant).

2. Se plaignant d'infiltrations dans la toiture, le maître de l'ouvrage a assigné, le 31 octobre 2018, l'entreprise et son assureur, et obtenu la désignation d'un expert, par ordonnance du 22 novembre 2018.

3. Le 4 février 2020, la société Aviva a assigné en ordonnance commune le fournisseur et le fabricant.

Sur le moyen du pourvoi principal et sur le moyen du pourvoi incident, réunis Enoncé des moyens

4. Par son moyen, le fabricant fait grief à l'arrêt de lui déclarer communes et opposables les opérations d'expertise ordonnées le 22 novembre 2018 et de rejeter sa demande de mise hors de cause, alors « que l'action en garantie des vices cachés, qui doit être exercée dans les deux ans de la découverte du vice, est aussi enfermée dans le délai de prescription de cinq années prévu par l'article L. 110-4 du code de commerce, lequel commence à courir à compter de la vente initiale ; que la société Etex a vendu en 2008, à la société Socobati, des plaques de fibrociment qu'elle a ensuite revendues, la même année, à la société Nouvelles Constructions Charles pour la construction d'un bâtiment agricole ; qu'après avoir constaté la survenance de divers désordres dans le bâtiment construit, le maître d'ouvrage a sollicité que soit ordonnée une mesure d'expertise judiciaire au contradictoire de la société Nouvelles Constructions Charles et de son assureur de responsabilité, la société Aviva ; que par acte du 4 février 2020, soit plus de douze années après la date de la vente initiale, la société Aviva a assigné la société Etex afin de lui voir déclarer communes et opposables les opérations d'expertise judiciaires ordonnées le 22 novembre 2018 ; qu'en faisant droit à cette demande au motif que l'action en garantie des vices cachés qu'entendait introduire la société Aviva à l'encontre de la société Etex, après le dépôt du rapport d'expertise, n'était pas manifestement prescrite, de sorte qu'elle justifiait d'un motif légitime pour solliciter une extension des mesures d'expertise à l'encontre de la société Etex, tandis que cette action était manifestement prescrite depuis de 2013, cinq années après à la vente initiale des plaques de fibrociment intervenue entre les sociétés Etex et Socobati, la cour d'appel a violé les articles 145 du code de procédure civile, 1648 du code civil et L. 110-4 du code de commerce. »

5. Par son moyen, le fournisseur fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'action en garantie des vices cachés, même si elle doit être exercée dans les deux ans de la découverte du vice, est aussi enfermée dans le délai de prescription prévu par l'article L. 110-4 du code de commerce, qui court à compter de la vente de la chose ; qu'en retenant néanmoins, pour faire droit à la demande de la société Aviva tendant à voir déclarer communes et opposables à la société Socobati les opérations d'expertises ordonnées le 22 novembre 2018, afin de déterminer l'origine des désordres affectant les ouvrages construits par son assurée, la société Nouvelles Constructions Charles, que l'action en garantie des vices cachées que la société Aviva entendait exercer à l'encontre de la société Socobati, en sa qualité de vendeur des matériaux utilisés par la société Nouvelles Constructions Charles, n'était pas prescrite, dès lors que le délai de prescription de l'article L. 110-4 du code de commerce était suspendu jusqu'à ce que la responsabilité de la société Nouvelles Constructions Charles fût recherchée par le maître de l'ouvrage, bien que ce délai ait commencé à courir à compter de la vente des matériaux au cours de l'année 2008, de sorte que la prescription quinquennale était acquise depuis 2013, la cour d'appel a violé les articles 1648 du code civil, L. 110-4 du code de commerce et 145 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. Pour les ventes conclues antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, il est jugé que les vices affectant les matériaux ou les éléments d'équipement mis en oeuvre par un constructeur ne constituent pas une cause susceptible de l'exonérer de la responsabilité qu'il encourt à l'égard du maître de l'ouvrage, quel que soit le fondement de cette responsabilité et que, sauf à porter une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge, le constructeur dont la responsabilité est ainsi retenue en raison des vices affectant les matériaux qu'il a mis en oeuvre pour la réalisation de l'ouvrage, doit pouvoir exercer une action récursoire contre son vendeur sur le fondement de la garantie des vices cachés sans voir son action enfermée dans un délai de prescription courant à compter de la vente initiale.

7. Il s'ensuit que, l'entrepreneur ne pouvant pas agir contre le vendeur et le fabricant avant d'avoir été lui même assigné par le maître de l'ouvrage, le point de départ du délai qui lui est imparti par l'article 1648, alinéa 1er, du code civil est constitué par la date de sa propre assignation et que le délai de l'article L. 110-4, I, du code de commerce, courant à compter de la vente, est suspendu jusqu'à ce que sa responsabilité ait été recherchée par le maître de l'ouvrage (3e Civ., 16 février 2022, pourvoi n° 20-19.047, publié).

8. Pour les ventes conclues après l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, il est jugé que l'encadrement dans le temps de l'action en garantie des vices cachés ne peut être assuré que par l'article 2232 du code civil qui édicte un délai butoir de vingt ans à compter de la naissance du droit (3e Civ., 8 décembre 2021, pourvoi n° 20-21.439, publié).

9. En effet, l'article 2224 du code civil fixe le point de départ du délai de prescription au jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, ce qui annihile toute possibilité d'encadrement de l'action en garantie des vices cachés, le point de départ de la prescription extinctive du droit à garantie se confondant avec le point de départ du délai pour agir prévu par l'article 1648 du même code, à savoir la découverte du vice.

10. La loi du 17 juin 2008 ayant réduit le délai de prescription prévu par l'article L. 110-4, I, du code de commerce, sans préciser son point de départ, celui-ci ne peut que résulter du droit commun de l'article 2224 du code civil.

11. Il s'ensuit que le délai de cinq ans de l'article L. 110-4, I, du code de commerce ne peut plus être regardé comme un délai butoir et que l'action en garantie des vices cachés doit être formée dans le délai de deux ans à compter de la découverte du vice ou, en matière d'action récursoire, à compter de l'assignation, sans pouvoir dépasser le délai butoir de vingt ans à compter de la vente initiale.

12. La cour d'appel a relevé que l'entreprise et son assureur avaient été assignés par le maître de l'ouvrage, le 31 octobre 2018, pour des désordres de la toiture, de sorte que l'action de la société Aviva formée contre les sociétés Socobati et Eternit par actes du 4 février 2020, n'était pas prescrite et que l'assureur de l'entrepreneur justifiait d'un motif légitime pour solliciter l'extension des opérations d'expertise au fournisseur et au fabricant.

13. Par ces motifs de pur droit, substitués à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision se trouve légalement justifiée.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

Condamne la société Etex France Exteriors aux dépens du pourvoi principal et la société Socobati aux dépens du pourvoi incident ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

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