Note L. de Fournoux, AJDA 200, p. 988.
Conseil d'État - 7ème - 2ème chambres réunies
- N° 454466
- ECLI:FR:CECHR:2021:454466.20211125
- Publié au recueil Lebon
Lecture du jeudi 25 novembre 2021
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société Corsica Networks a demandé au tribunal administratif de Bastia, d'une part, d'annuler le marché conclu le 21 septembre 2018 entre la collectivité de Corse et la société NXO France portant sur la conception, l'installation et l'administration d'un réseau régional très haut débit pour les établissements d'enseignement et de recherche de Corse, d'autre part, de condamner la collectivité de Corse à lui verser la somme de 282 585 euros hors taxes en réparation des préjudices subis du fait de son éviction de la procédure ou, à titre subsidiaire, la somme de 8 000 euros hors taxes en réparation du préjudice découlant des frais exposés pour la préparation de son offre, majorées des intérêts au taux légal à compter du 9 novembre 2018. Par un jugement n° 1801165 du 9 juin 2020, le tribunal administratif de Bastia a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 20MA02773 du 14 juin 2021, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de la société Corsica Networks, annulé ce jugement ainsi que le marché à compter du 15 décembre 2021 et ordonné une expertise avant de statuer sur les conclusions indemnitaires.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 12 juillet, 2 août, 13 octobre et 29 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la collectivité de Corse demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la société Corsica Networks ;
3°) de mettre à la charge de la société Corsica Networks la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par une ordonnance du 22 octobre 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 5 novembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. François Lelièvre, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de la collectivité de Corse et à la SCP Foussard, Froger, avocat de la société Corsica Networks ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la collectivité de Corse a engagé une procédure d'appel d'offres ouvert en vue de la passation d'un accord-cadre sur bons de commande assorti d'un montant minimum de 1 000 000 euros hors taxes et d'un montant maximum de 2 600 000 euros hors taxes destiné à assurer la conception, la mise en œuvre, l'administration et la maintenance d'un réseau régional à très haut débit pour les établissements d'enseignement et de recherche de Corse. Par courrier du 1er août 2018, la société Corsica Networks, candidate, a été informée du rejet de son offre et de l'attribution du marché à la société NXO France. Par un jugement du 9 juin 2020, le tribunal administratif de Bastia a rejeté la demande de la société Corsica Networks tendant, d'une part, à l'annulation du contrat conclu entre la collectivité de Corse et la société NXO France et, d'autre part, à la condamnation de cette collectivité à réparer le préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de son éviction de la procédure. La collectivité de Corse se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 14 juin 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a annulé ce jugement ainsi que le contrat avec effet différé à compter du 15 décembre 2021 et ordonné avant dire droit une expertise portant sur l'évaluation du manque à gagner subi par la société Corsica Networks.
Sur la régularité de l'arrêt attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". Il ressort des pièces de la procédure que la minute de l'arrêt attaqué comporte la signature du président de la 6ème chambre de la cour administrative d'appel de Marseille, du rapporteur et de la greffière. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que l'arrêt serait irrégulier faute de comporter les signatures requises manque en fait.
3. En second lieu, si la cour administrative d'appel fait mention, dans le dispositif de son arrêt, d'un jugement du tribunal administratif de Marseille, il s'agit d'une simple erreur de plume. La collectivité de Corse n'est dès lors pas fondée à soutenir que l'arrêt serait entaché d'une contradiction entre ses motifs et son dispositif.
Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué :
En ce qui concerne la validité du contrat :
4. D'une part, il appartient au juge, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier les conséquences. Il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci.
5. D'autre part, au nombre des principes généraux du droit qui s'imposent au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative figure le principe d'impartialité, qui implique l'absence de situation de conflit d'intérêts au cours de la procédure de sélection du titulaire du contrat. Aux termes du 5° du I de l'article 48 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, applicable au marché litigieux, désormais codifié à l'article L. 2141-10 du code de la commande publique : " Constitue une situation de conflit d'intérêts toute situation dans laquelle une personne qui participe au déroulement de la procédure de passation du marché public ou est susceptible d'en influencer l'issue a, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique ou tout autre intérêt personnel qui pourrait compromettre son impartialité ou son indépendance dans le cadre de la procédure de passation du marché public ". L'existence d'une situation de conflit d'intérêts au cours de la procédure d'attribution du marché est constitutive d'un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence susceptible d'entacher la validité du contrat.
6. En premier lieu, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que M. L..., désigné par le règlement de consultation du marché comme le " technicien en charge du dossier ", chargé notamment de fournir des renseignements techniques aux candidats, a exercé des fonctions d'ingénieur-chef de projet en matière de nouvelles technologies de l'information et de la communication au sein de l'agence d'Ajaccio de la société NXO France. L'intéressé a occupé cet emploi immédiatement avant son recrutement par la collectivité de Corse et trois mois avant l'attribution du marché. Le procès-verbal d'ouverture des plis mentionne qu'il s'est vu remettre les plis " en vue de leur analyse au regard des critères de sélection des candidatures et des offres ". Si M. L... n'était pas l'un des cadres dirigeants de la société NXO France, il occupait des fonctions de haut niveau au sein de la représentation locale de la société NXO France et ces fonctions avaient trait à un objet en relation directe avec le contenu du marché. Eu égard au niveau et à la nature des responsabilités confiées à M. L... au sein de la société NXO France puis des services de la collectivité de Corse et au caractère très récent de son appartenance à cette société et alors même qu'il n'a pas signé le rapport d'analyse des offres, la cour n'a ni inexactement qualifié les faits de l'espèce ni commis d'erreur de droit en jugeant que sa participation à la procédure de sélection des candidatures et des offres pouvait légitimement faire naître un doute sur la persistance d'intérêts le liant à la société NXO France et par voie de conséquence sur l'impartialité de la procédure suivie par la collectivité de Corse.
7. En second lieu, contrairement à ce que soutient la collectivité de Corse, la cour administrative d'appel, dont l'arrêt est suffisamment motivé, n'a ni inexactement qualifié les faits ni commis d'erreur de droit en jugeant, sans relever une intention de sa part de favoriser un candidat, qu'eu égard à sa nature, la méconnaissance de ce principe d'impartialité était par elle-même constitutive d'un vice d'une particulière gravité justifiant l'annulation du contrat à l'exclusion de toute autre mesure.
En ce qui concerne l'indemnisation de la perte de chance sérieuse d'obtenir le contrat :
8. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l'absence de toute chance, il n'a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre. Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre, lesquels n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique.
9. Pour juger que l'irrégularité de la procédure de passation du marché qu'elle a retenue avait fait perdre à la société Corsica Networks une chance sérieuse d'obtenir le marché et qu'elle était ainsi fondée à demander l'indemnisation de son manque à gagner, la cour administrative d'appel de Marseille a relevé que celle-ci, seule concurrente de la société attributaire, dont l'offre avait été jugée recevable, avait obtenu une note de 13,84 points sur 20 en ce qui concerne le critère de la valeur technique, contre 14,24 pour l'offre de la société NXO France et une note de 16,60 en ce qui concerne le critère du prix, contre 20 pour l'offre de la société NXO France, soit une note pondérée de 15,50 sur 20, contre une note de 17,70 sur 20 accordée à l'attributaire. Puis elle a estimé que dans le cadre d'une procédure dépourvue de tout manquement au principe d'impartialité, la société Corsica Networks aurait, eu égard aux qualités concurrentielles de son offre, disposé de chances sérieuses d'obtenir le marché. En statuant ainsi, la cour administrative d'appel n'a, contrairement à ce que soutient la collectivité de Corse, pas dénaturé les pièces du dossier ni, eu égard au manquement au principe d'impartialité qu'elle a retenu, insuffisamment motivé son arrêt ni commis d'erreur de droit.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la collectivité de Corse n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué.
Sur les frais du litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Corsica Networks qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la collectivité de Corse la somme de 3 000 euros à verser à la société Corsica Networks au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le pourvoi de la collectivité de Corse est rejeté.
Article 2 : La collectivité de Corse versera à la société Corsica Networks la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la collectivité de Corse et à la société Corsica Networks.
Copie en sera adressée à la société NXO France.
Délibéré à l'issue de la séance du 10 novembre 2021 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. G... I..., M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. H... K..., Mme A... J..., M. C... F..., M. D... M..., M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat et M. François Lelièvre, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 25 novembre 2021.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. François Lelièvre
La secrétaire :
Signé : Mme E... B...
ECLI:FR:CECHR:2021:454466.20211125
La société Corsica Networks a demandé au tribunal administratif de Bastia, d'une part, d'annuler le marché conclu le 21 septembre 2018 entre la collectivité de Corse et la société NXO France portant sur la conception, l'installation et l'administration d'un réseau régional très haut débit pour les établissements d'enseignement et de recherche de Corse, d'autre part, de condamner la collectivité de Corse à lui verser la somme de 282 585 euros hors taxes en réparation des préjudices subis du fait de son éviction de la procédure ou, à titre subsidiaire, la somme de 8 000 euros hors taxes en réparation du préjudice découlant des frais exposés pour la préparation de son offre, majorées des intérêts au taux légal à compter du 9 novembre 2018. Par un jugement n° 1801165 du 9 juin 2020, le tribunal administratif de Bastia a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 20MA02773 du 14 juin 2021, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de la société Corsica Networks, annulé ce jugement ainsi que le marché à compter du 15 décembre 2021 et ordonné une expertise avant de statuer sur les conclusions indemnitaires.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 12 juillet, 2 août, 13 octobre et 29 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la collectivité de Corse demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la société Corsica Networks ;
3°) de mettre à la charge de la société Corsica Networks la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par une ordonnance du 22 octobre 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 5 novembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. François Lelièvre, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de la collectivité de Corse et à la SCP Foussard, Froger, avocat de la société Corsica Networks ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la collectivité de Corse a engagé une procédure d'appel d'offres ouvert en vue de la passation d'un accord-cadre sur bons de commande assorti d'un montant minimum de 1 000 000 euros hors taxes et d'un montant maximum de 2 600 000 euros hors taxes destiné à assurer la conception, la mise en œuvre, l'administration et la maintenance d'un réseau régional à très haut débit pour les établissements d'enseignement et de recherche de Corse. Par courrier du 1er août 2018, la société Corsica Networks, candidate, a été informée du rejet de son offre et de l'attribution du marché à la société NXO France. Par un jugement du 9 juin 2020, le tribunal administratif de Bastia a rejeté la demande de la société Corsica Networks tendant, d'une part, à l'annulation du contrat conclu entre la collectivité de Corse et la société NXO France et, d'autre part, à la condamnation de cette collectivité à réparer le préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de son éviction de la procédure. La collectivité de Corse se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 14 juin 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a annulé ce jugement ainsi que le contrat avec effet différé à compter du 15 décembre 2021 et ordonné avant dire droit une expertise portant sur l'évaluation du manque à gagner subi par la société Corsica Networks.
Sur la régularité de l'arrêt attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". Il ressort des pièces de la procédure que la minute de l'arrêt attaqué comporte la signature du président de la 6ème chambre de la cour administrative d'appel de Marseille, du rapporteur et de la greffière. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que l'arrêt serait irrégulier faute de comporter les signatures requises manque en fait.
3. En second lieu, si la cour administrative d'appel fait mention, dans le dispositif de son arrêt, d'un jugement du tribunal administratif de Marseille, il s'agit d'une simple erreur de plume. La collectivité de Corse n'est dès lors pas fondée à soutenir que l'arrêt serait entaché d'une contradiction entre ses motifs et son dispositif.
Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué :
En ce qui concerne la validité du contrat :
4. D'une part, il appartient au juge, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier les conséquences. Il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci.
5. D'autre part, au nombre des principes généraux du droit qui s'imposent au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative figure le principe d'impartialité, qui implique l'absence de situation de conflit d'intérêts au cours de la procédure de sélection du titulaire du contrat. Aux termes du 5° du I de l'article 48 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, applicable au marché litigieux, désormais codifié à l'article L. 2141-10 du code de la commande publique : " Constitue une situation de conflit d'intérêts toute situation dans laquelle une personne qui participe au déroulement de la procédure de passation du marché public ou est susceptible d'en influencer l'issue a, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique ou tout autre intérêt personnel qui pourrait compromettre son impartialité ou son indépendance dans le cadre de la procédure de passation du marché public ". L'existence d'une situation de conflit d'intérêts au cours de la procédure d'attribution du marché est constitutive d'un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence susceptible d'entacher la validité du contrat.
6. En premier lieu, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que M. L..., désigné par le règlement de consultation du marché comme le " technicien en charge du dossier ", chargé notamment de fournir des renseignements techniques aux candidats, a exercé des fonctions d'ingénieur-chef de projet en matière de nouvelles technologies de l'information et de la communication au sein de l'agence d'Ajaccio de la société NXO France. L'intéressé a occupé cet emploi immédiatement avant son recrutement par la collectivité de Corse et trois mois avant l'attribution du marché. Le procès-verbal d'ouverture des plis mentionne qu'il s'est vu remettre les plis " en vue de leur analyse au regard des critères de sélection des candidatures et des offres ". Si M. L... n'était pas l'un des cadres dirigeants de la société NXO France, il occupait des fonctions de haut niveau au sein de la représentation locale de la société NXO France et ces fonctions avaient trait à un objet en relation directe avec le contenu du marché. Eu égard au niveau et à la nature des responsabilités confiées à M. L... au sein de la société NXO France puis des services de la collectivité de Corse et au caractère très récent de son appartenance à cette société et alors même qu'il n'a pas signé le rapport d'analyse des offres, la cour n'a ni inexactement qualifié les faits de l'espèce ni commis d'erreur de droit en jugeant que sa participation à la procédure de sélection des candidatures et des offres pouvait légitimement faire naître un doute sur la persistance d'intérêts le liant à la société NXO France et par voie de conséquence sur l'impartialité de la procédure suivie par la collectivité de Corse.
7. En second lieu, contrairement à ce que soutient la collectivité de Corse, la cour administrative d'appel, dont l'arrêt est suffisamment motivé, n'a ni inexactement qualifié les faits ni commis d'erreur de droit en jugeant, sans relever une intention de sa part de favoriser un candidat, qu'eu égard à sa nature, la méconnaissance de ce principe d'impartialité était par elle-même constitutive d'un vice d'une particulière gravité justifiant l'annulation du contrat à l'exclusion de toute autre mesure.
En ce qui concerne l'indemnisation de la perte de chance sérieuse d'obtenir le contrat :
8. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l'absence de toute chance, il n'a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre. Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre, lesquels n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique.
9. Pour juger que l'irrégularité de la procédure de passation du marché qu'elle a retenue avait fait perdre à la société Corsica Networks une chance sérieuse d'obtenir le marché et qu'elle était ainsi fondée à demander l'indemnisation de son manque à gagner, la cour administrative d'appel de Marseille a relevé que celle-ci, seule concurrente de la société attributaire, dont l'offre avait été jugée recevable, avait obtenu une note de 13,84 points sur 20 en ce qui concerne le critère de la valeur technique, contre 14,24 pour l'offre de la société NXO France et une note de 16,60 en ce qui concerne le critère du prix, contre 20 pour l'offre de la société NXO France, soit une note pondérée de 15,50 sur 20, contre une note de 17,70 sur 20 accordée à l'attributaire. Puis elle a estimé que dans le cadre d'une procédure dépourvue de tout manquement au principe d'impartialité, la société Corsica Networks aurait, eu égard aux qualités concurrentielles de son offre, disposé de chances sérieuses d'obtenir le marché. En statuant ainsi, la cour administrative d'appel n'a, contrairement à ce que soutient la collectivité de Corse, pas dénaturé les pièces du dossier ni, eu égard au manquement au principe d'impartialité qu'elle a retenu, insuffisamment motivé son arrêt ni commis d'erreur de droit.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la collectivité de Corse n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué.
Sur les frais du litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Corsica Networks qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la collectivité de Corse la somme de 3 000 euros à verser à la société Corsica Networks au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le pourvoi de la collectivité de Corse est rejeté.
Article 2 : La collectivité de Corse versera à la société Corsica Networks la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la collectivité de Corse et à la société Corsica Networks.
Copie en sera adressée à la société NXO France.
Délibéré à l'issue de la séance du 10 novembre 2021 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. G... I..., M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. H... K..., Mme A... J..., M. C... F..., M. D... M..., M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat et M. François Lelièvre, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 25 novembre 2021.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. François Lelièvre
La secrétaire :
Signé : Mme E... B...
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