mardi 24 mai 2022

La répartition de la charge définitive de la dette entre coobligés s'effectue en fonction de la gravité de leurs fautes respectives

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 mai 2022




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 402 F-D

Pourvoi n° G 19-10.226




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2022

La société Immobilière du Nancepa, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], prise en la personne de son administrateur provisoire Mme [P] [I], représentée par son liquidateur Mme [N] [W], domiciliée [Adresse 5], a formé le pourvoi n° G 19-10.226 contre l'arrêt rendu le 15 octobre 2018 par la cour d'appel de Nancy (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [T] [C], domicilié [Adresse 7],

2°/ à la société Acte IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],

3°/ à la société Agora Lorraine, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], représentée par M. [J] [M], domicilié [Adresse 6], pris en qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Agora Lorraine,

4°/ au syndicat des copropriétaires de la résidence Les Grains de Blé, dont le siège est [Adresse 7], représenté par son syndic la société Bonnabelle et cie, syndic, dont le siège est [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

La société Acte IARD a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Immobilière du Nancepa, de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat de M. [C], de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Acte IARD, après débats en l'audience publique du 29 mars 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Reprise d'instance

1. Il est donné acte à M. [W], pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Immobilière du Nancepa, de la reprise d'instance.

Désistement partiel

2. Il est donné acte à la société Immobilière du Nancepa, représentée par son liquidateur judiciaire, du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre le syndicat des copropriétaires de la Résidence les grains de blé (le syndicat des copropriétaires).

Faits et procédure

3. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 15 octobre 2018), la société Immobilière du Nancepa, qui a entrepris de réhabiliter un ancien silo à grains pour le transformer en immeuble à usage d'habitation destiné à la vente, par lots, en l'état futur d'achèvement, a confié une mission de maîtrise d'oeuvre à la société Agora Lorraine, désormais en liquidation judiciaire, assurée auprès de la société Acte IARD (la société Acte).

4. Invoquant des malfaçons et non-finitions affectant les parties communes, le syndicat des copropriétaire a, après expertise, assigné la société Immobilière du Nancepa et la société Acte en réparation.

5. Parallèlement, la société Immobilière du Nancepa a assigné M. [C], acquéreur d'un des lots de copropriété, en paiement du solde du prix de vente, lequel a formé une demande reconventionnelle en réparation du préjudice résultant du retard de livraison et des malfaçons affectant son lot.
6. Les instances ont été jointes.

Examen des moyens

Sur les premier et troisième moyens du pourvoi principal, ci-après annexés

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation et sur le troisième moyen qui est irrecevable.

Sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

8. La société Acte fait grief à l'arrêt de fixer son obligation à garantie, après application de la règle de réduction proportionnelle d'indemnité, à 84 % de la dette de son assurée, alors :

« 1°/ que la force obligatoire des conventions légalement formées s'impose au juge ; que la cour d'appel a constaté que les conditions particulières du contrat d'assurance conclu entre la société Acte Iard et la société Agora Lorraine stipulaient que le taux de prime hors taxes était fixé à 7,5 % du montant hors taxes des honoraires ; que la cour d'appel a encore relevé que la société Agora Lorraine n'avait déclaré qu'une somme de 216 720 euros hors taxes qui avait servi pour le calcul des primes dues au titre de l'ensemble du chantier et que la société Agora Lorraine estimait qu'il lui était dû une somme de 373 207,16 euros au titre de ses honoraires ; qu'en retenant une réduction proportionnelle à hauteur de 84 % sur le fondement de l'article L. 113-9 du code des assurances, quand il résultait de ses propres constatations que cette réduction, selon l'assuré lui-même, aurait dû être de 58 % (216 720 ÷373 207,16), la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

2°/ que la force obligatoire des conventions légalement formées s'impose au juge ; que la cour d'appel a constaté que la société Agora Lorraine estimait qu'il lui était dû une somme de 373 207,16 euros et que l'expert avait évalué les honoraires dus à cette société, en fonction des travaux réalisés, à la somme de 256 128,48 euros ; qu'en se fondant sur ce dernier montant, résultant d'une réduction des honoraires de la société Agora Lorraine qui n'était pas de nature à caractériser la volonté des parties au contrat d'assurance, pour retenir une réduction proportionnelle de l'indemnité d'assurance à hauteur de 84 %, la cour d'appel a derechef violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

3°/ que la force obligatoire des conventions légalement formées s'impose au juge ; que la société Acte IARD faisait valoir que, s'agissant de la nature des honoraires à déclarer par l'assuré, facturés ou payés, il résultait des éléments produits aux débats, et notamment d'un courrier du 12 mai 2010 adressé à la société Agora Lorraine, que cette dernière était invitée à déclarer « le montant des honoraires hors taxes facturés (perçus ou non) », et que seuls les honoraires facturés devaient par conséquent être pris en considération pour le calcul de la réduction proportionnelle ; qu'en se bornant à relever que les conditions particulières du contrat d'assurance conclu entre la société Acte IARD et la société Agora Lorraine stipulaient que le taux de prime hors taxes était fixé à 7,5 % du montant hors taxes des honoraires, pour se fonder sur l'évaluation a posteriori retenue par l'expert des honoraires dus à la société Agora Lorraine, sans rechercher, comme elle y était ainsi invitée, si la loi des parties imposait de prendre en considération les honoraires facturés par l'assurée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

9. La cour d'appel a retenu, par une interprétation souveraine des termes du contrat, que leur imprécision rendait nécessaire, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que la réduction proportionnelle d'indemnité devait être calculée par référence à la somme à laquelle le maître d'oeuvre pouvait prétendre pour le chantier considéré.

10. Ayant relevé que le décompte d'honoraires établi par la société Agora Lorraine pour un montant de 383 277,35 euros, dont la société Acte se prévalait pour calculer la réduction proportionnelle d'indemnité, était erroné, elle a retenu que le montant total d'honoraires auquel la première pouvait prétendre en application du contrat de maîtrise d'oeuvre s'établissait à la somme de 256 128,48 euros, de sorte que, seule une somme de 216 720 euros ayant été déclarée par l'assurée, la garantie de l'assureur devait être fixée à 84 % des dommages.

11. Elle a ainsi légalement justifié sa décision.

Mais sur le deuxième moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

12. La société Immobilière du Nancepa fait grief à l'arrêt de dire que, dans les rapports entre coobligés, le poids de la dette se répartirait par moitié, alors « que le coobligé, tenu sur le fondement d'une garantie, condamné in solidum avec un coobligé fautif, n'a pas à supporter le poids définitif de la dette ; qu'en partageant la dette de réparation des désordres dont le syndicat des copropriétaires était créancier par moitié entre la société Nancepa, venderesse, et la société Agora Lorraine, maître d'oeuvre, cependant que la venderesse était tenue sur le fondement de la garantie des vices apparents tandis que le maître d'oeuvre était obligé en raison de ses manquements à ses obligations contractuelles, de sorte que ce dernier, seul fautif, devait supporter seul la charge définitive de la dette, la cour d'appel a violé les articles 1147 et 1642-1 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

13. En application de ce texte, la répartition de la charge définitive de la dette entre coobligés s'effectue en fonction de la gravité de leurs fautes respectives.

14. Pour dire que, dans les rapports entre coobligés, le poids de la dette se répartirait par moitié, l'arrêt retient que la société Agora Lorraine n'avait que partiellement satisfait à ses obligations puisque seul un certain nombre de lots avait fait l'objet d'une réception, et qu'elle n'avait pas obtenu des entrepreneurs qu'ils remédient aux vices et défauts de conformité apparents.

15. En statuant ainsi, sans caractériser, dans les rapports entre coobligés, la faute de la société Immobilière de Nancepa en lien causal avec les vices de construction et défauts de conformité apparents, que celle-ci était tenue de garantir en sa qualité de vendeur en l'état futur d'achèvement, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Mise hors de cause

16. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause M. [C], dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que, dans les rapports entre la société Immobilière de Nancepa et la société Agora Lorraine, coobligés, les poids de la dette se répartirait par moitié, l'arrêt rendu le 15 octobre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy, autrement composée ;

Met hors de cause M. [C] ;

Condamne la société Acte IARD aux dépens des pourvois ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

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