J'ai été interrogé sur une interprétation inattendue et un peu perverse de la réforme du droit des contrats à partir de laquelle certains voudraient dénaturer le régime de l’obligation de délivrance dans le droit du louage d'ouvrage de construction. Compte tenu du caractère d'intérêt général de ce débat, je crois utile de vous livrer ma réponse...
La question est de
savoir si les dispositions du nouvel article 1345-2
du code civil pourraient permettre d'obtenir la réception des
travaux à l'expiration d'un délai de 2 mois après une mise en demeure
infructueuse adressée au maître d'ouvrage en l'absence de clauses contractuelles
contraires.
Je note tout d’abord
que la prétention que vous exposez n’est envisagée qu’en l'absence de clauses
contractuelles contraires, puisque c’est dans ce cadre seulement que le débat
peut s’ouvrir utilement.
Il est tout d’abord
évident que la 1ère réponse venant à l’esprit est de rappeler qu’aux
termes de l’article 1105 nouveau du code civil « les règles particulières à
certains contrats sont établies dans les dispositions propres à chacun d’eux ».
Or, la relation entre maître de l'ouvrage et entrepreneur, au stade de la
livraison est spécialement régie par les article 1792-5 et 1792-6 du code civil,
qui n’ont pas été modifiés par la réforme du droit général des contrats !
Cela étant, l’article
1345-2 vise bien une situation assimilable à celle de l’entrepreneur, puisqu’il
concerne une obligation de faire. A cet égard, Chantepie et Latina, dans leur
excellent commentaire de la réforme, écrivent même (éd. Dalloz, § 982) : « on
peut imaginer, par exemple, que le créancier d’une obligation de faire ne
permette pas l’accès à l’entrepreneur pour la réalisation des travaux commandés.
Dans ce cas, c’est bien le fait du créancier qui empêche la réalisation du
paiement, et non le fait du débiteur, qui constituerait une inexécution
contractuelle ».
Il importe cependant de
replacer l’article 1345-2 dans le contexte des dispositions qui le précèdent. Il
se place dans le § 2 de la sous-section 3 (« mise en demeure ») de la section 1
(« paiement »), du chapitre 4 (« l’extinction de l’obligation ») de l’ordonnance
portant réforme du droit des contrats.
Or, tout d’abord,
l’article 1345, alinéa 1 vise le refus – sans motif légitime – de recevoir le
paiement, c’est-à-dire ici la livraison de la chose objet de l’obligation de
faire. Ce texte autorise ainsi le débiteur de cette livraison à mettre en
demeure son créancier. Les effets de cette mise en demeure sont mentionnés à
l’alinéa 2 du même article 1345 : notamment, transfert des risques au
créancier.
Mais, pour le droit de
la construction, cette situation est déjà régie par une disposition spécifique :
l’article 1788 du code civil, qui prévoit le transfert des risques au maître de
l'ouvrage du fait d’une mise en demeure de recevoir notifiée par l’entrepreneur.
Et cette réception elle-même est précisément régie par l’article 1792-6 : elle y
est dite intervenir à l’initiative de la partie la plus diligente. Et en cas de
désaccord des parties, elle y est mentionnée comme nécessairement judiciaire.
Elle se place ainsi dans le cadre de l’obligation de délivrance, mais selon des
modalités spécifiques au droit du louage d’ouvrage de construction, puisqu’elle
est liée à la garantie de parfait achèvement, elle-même d’ordre public et qui
concerne tant les réserves de la réception que celles élevées pendant son délai
de forclusion d’un an.
Dans un tel contexte,
l’article 1345-2 ne peut que s’effacer, puisque sa formulation générale confirme
qu’il ne saurait régir que le droit commun des contrats, tandis que les articles
1792-5 et 6 sont, eux, beaucoup plus détaillés. Dès lors, par application déjà
du principe : « specialia generalibus derogant », on ne peut sérieusement
prétendre que l’entrepreneur serait libéré deux mois après sa mis en demeure de
recevoir.
De plus, l’admettre
serait violer le caractère d’ordre public (expressément édicté par l’article
1792-5) de - notamment - la durée d’une année du délai de la garantie de parfait
achèvement. Il importe même de ne pas oublier que l’’article 1792-5 va plus
loin, puisqu’il interdit, de manière plus générale de « limiter la portée des
garanties de l’article 1792-6 », Cette dernière remarque porte donc un coup
fatal à la thèse à propos de laquelle vous
m’interrogez.
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