Le vécu passionnant d'un pilote professionnel français aux Etats-Unis...
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Le travail et la santé
Dans une compagnie à l’échelle américaine, avec 12.000 pilotes, 1.000 jets, 5.000 vols par jour, les rotations sont attribuées par de l’informatique puissante. Pour ce mercredi, on est plusieurs en réserve à ma base sur mon appareil, prêt à mettre l’uniforme, faire nos valises, et se rendre à l’aéroport. Mais on a tous des plannings différents, des jours de congés différents, des heures de repos basées sur nos rotations précédentes. Des centaines de paramètres sont préprogrammés dans l’algorithme de l’ordinateur du Crew Scheduling qui tiennent en compte la réglementation et le contrat de travail entre le syndicat des pilotes et la compagnie. Et on attend, le téléphone portable rechargé.
La rotation intitulée C361, une rotation de quatre jours, a un report à 14:12. Pushback avec le jet à 15:12, un aller vers Las Vegas, puis un vol direct sur JFK, pour un total de six heures de vol dans la journée, 8h20 en service. On arrivera à l’hôtel à New York, sur les genoux, à une heure du matin locale. Il y aura également un aller-retour sur la République Dominicaine moins de 14 heures plus tard. Ca c’est 7h45 de vol, 10h15 en uniforme. Au troisième jour, une traversée du pays, New York - Portland, 6h30 de vol; 8 heures en service. Ca s’enchaîne, et la fatigue s’accumule. C’est un rythme brutal. Notre santé est testée. Et puis on a encore une journée de vol…
Depuis un an, il n’y a plus de limite d’heures de vol hebdomadaire ni mensuelle pour le pilote de ligne américain. Avec cette nouvelle règlementation, un pilote peut voler sans limite, si celui-ci a 30 heures de repos d’affilées une fois par semaine, ce qui est moins long qu’un week-end. En somme, c’est un système parfait si tu aimes l’argent, car le pilote américain est payé à l’heure de vol. Et je n’en vois pas beaucoup qui se plaignent ici.
On a quand même une limite quotidienne absolue de neuf heures de vol. Mais neuf heures, c’est énorme, car on est en service plus longtemps : Il y a les briefings, les pré-vols, les changements d’avions, les embarquements. Et puis à la fin, on met l’appareil en veille. On a les "secure" checklists et les attentes en-dehors du terminal pour la navette de l’hôtel; un hôtel qui peut être situé à 30 minutes de l’aéroport.
De plus, les 30 heures de repos imposées par la règlementation sont définies comme des heures hors-services, et non des heures de congés at home. Ces 30 heures peuvent se pendre à l’hôtel, loin de chez nous, dans une chambre bruyante, dans un lit étranger, entre deux vols. J’ai fait ça il y a quelques semaines; j’ai volé pendant une semaine entière, et j’ai fait 30 heures de repos dans un hôtel à Colorado Springs.
Je suis numéro deux sur la liste de réserve aujourd’hui, mais l’ordinateur m’a donné la rotation C361, car le premier pilote, Jonathan H., n’a pas eu ses 30 heures de repos, et c’est une rotation de quatre jours. Mais il y a un bug dans le programme, et je l’ai détecté.
Jonathan H. avait -- selon mes calculs, comme j’ai accès à son planning -- 36 heures de repos. Mais comme il s’était porté volontaire pour des heures supplémentaires auparavant (ils sont fous, ces Américains), l’ordinateur ne l’avait pas détecté. Il s’était porté volontaire trois fois pour des rotations pendant ses jours de congés, et donc, il arrondira bien son fin de mois.
Dans un pays où les gens sont assoiffés d’argent, j’ai du mal à ne pas me sentir coupable de ne vouloir que toucher mon salaire minimum actuel. J’aime voler. Et j’ai tout donné pour arriver à ce poste. Mais je suis heureux avec mes heures de vol garanties, à peu près 70 heures par mois, et une fiche de paie garantie, qui est déjà trois fois ce que je gagnais chez ma compagnie précédente. Je me fais plaisir. J’apprécie. Je n’overdose pas.
J’appelle le Planning, et je leur rappelle que Jonathan H. est numéro un sur la liste. "The computer flagged a 30-in-168 violation," ils me répondent brusquement. Ce qui veut dire que selon l’ordi, il n’a pas eu ses 30 heures de repos dans les 168 heures précédentes, bref sept jours. Allez voir son planning, je leur réponds. Dans une compagnie de 12.000 pilotes, vous avez peut-être le software le plus cher au monde, mais il y a un bug, je vous dis.
Puis, j’hésite. Je devrai voler. Faire des heures. Gagner plus d’argent. M’enrichir. Je devrai raccrocher le téléphone et prendre ma sacoche de vol. Faites-le voler, je leur dis enfin. "There is no violation," je persiste. Vérifiez. Et donnez-lui cette rotation. Oui, il aura un très beau chèque à la fin du mois. Et moi, j’aurai toujours ma santé.
Le vendredi 16 janvier 2015.
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mardi 20 janvier 2015
Vu sur le journal d'un pilote français aux Etats-Unis...
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