vendredi 4 février 2022

Une défense au fond n'est pas une demande nouvelle, irrecevable en cause d'appel...

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 19 janvier 2022




Rabat d'arrêt et cassation


M. GUÉRIN, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 49 F-D


Pourvois n°
P 15-16.609
D 15-17.589 JONCTION






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 19 JANVIER 2022

La société A7 Management, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé une requête en rabat de l'arrêt n° 383 F-D, pourvoi n° P 15-16.609, du 15 mars 2017 contre un arrêt rendu le 22 janvier 2015 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 9), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Sehb, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 5],

2°/ à M. [O] [M], domicilié [Adresse 5],

3°/ à M. [Z] [H], domicilié [Adresse 6],

4°/ à la société du Bois fleuri, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5],

5°/ à la société Anne de France, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 11],

6°/ à la société Laval hôtel, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 4],

7°/ à la société Blace finance, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5],

8°/ à la société Hôtel de Rouen, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 8],

9°/ à la société [W], société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 9], prise en qualité de commissaire à l'exécution du plan de redressement de la SARL SEHB,

10°/ à la société [B], société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 7], prise en qualité de mandataire judiciaire de la SARL SEHB, représentée par M. Gorrias,

11°/ à la société Angena, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 5],

12°/ à la société Techniques et Management hôteliers, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2],

13°/ à la société Garguantua, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],

défendeurs à la cassation,

et n° D 15-17.589 formé par :

1°/ M. [O] [M], domicilié [Adresse 10],

2°/ M. [O] [M], agissant en qualité de président de la société Blace finance SAS,

contre le même arrêt rendu, dans le litige l'opposant :

1°/ à la société A7 Management,

2°/ à M. [Z] [H],

3°/ à la société Bois fleuri,

4°/ à la société Anne de France,

5°/ à la société Laval hôtel,

6°/ à la société Blace finance,

7°/ à la société Hôtel de Rouen,

8°/ à la société Sehb,

9°/ à la société [W], ès qualités,

10°/ à la société [B], ès qualités,

11°/ à la société Agena,

12°/ à la société Techniques et Management hôteliers,

13°/ à la société Gargantua,

défendeurs à la cassation ;

La société Blace finance, d'une part, et les sociétés Agena, Gargantua, Hôtel de Rouen, du Bois fleuri, Anne de France et Laval hôtel, d'autre part, ont formé des pourvois incidents et provoqués contre le même arrêt ;

La demanderesse au pourvoi n° P 15-16.609 invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Le demandeur au pourvoi principal n° D 15-17.589 invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

La société Blace finance invoque, à l'appui de son recours n° D 15-17.589, trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Les sociétés Agena, Gargantua, Hôtel de Rouen, du Bois fleuri, Anne de France et Laval hôtel invoquent, à l'appui de leur recours n° D 15-17.589, trois moyens de cassation également annexés au présent arrêt ;

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de M. Ponsot, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [H], et l'avis de Mme Beaudonnet, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 novembre 2021 où étaient présents M. Guérin, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Ponsot, conseiller rapporteur, Mme Graff-Daudret, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Vu l'arrêt n° 383 F-D rendu le 15 mars 2017 par la Cour de cassation (chambre commerciale, financière et économique), sur les pourvois n° P 15-16.609 et D 15-17.589 formés respectivement par la société A7 Management et par M. [M] et M. [M] agissant en qualité de président de la société Blace finance, et l'arrêt n° 562 F-D rendu le 23 juin 2021, rabattant cet arrêt ;

Par suite d'une erreur de procédure non imputable aux parties, M. [Z] [H] a été intégralement mis hors de cause, cependant que si, dans le pourvoi n° D 15-17.589, il demandait à la Cour de le mettre hors de cause tant du pourvoi incident que des pourvois principaux, dans le pourvoi n° P 15-16.609, il demandait sa mise hors de cause sur les deuxième et troisième moyens de cassation uniquement. Il convient donc de rabattre l'arrêt susvisé.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° P 15-16.609 et D 15-17.589 sont joints.

Désistement partiel

2. Il est donné acte à la société A7 Management du désistement de son pourvoi au profit des sociétés du Blois fleuri, Anne de France, Laval hôtel, Hôtel de Rouen, Agena et Gargantua.

Faits et procédure

3. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 janvier 2015), M. [M] et la société Blace finance ont conclu le 5 mai 2000 avec la société A7 Management une promesse de cession de leurs parts sociales constituant la totalité du capital de la Sarl Sehb exploitant un hôtel situé à Biarritz, dont la gestion a été confiée à la société A7 Management jusqu'en 2005 puis à la société Techniques et Management hôteliers. La cession était subordonnée à la réalisation de conditions suspensives tenant notamment à la justification que la société ou les promettants ne soient pas au jour de la cession en état de cessation des paiements, en redressement ou en liquidation judiciaires.

4. La société Sehb, mise en redressement judiciaire le 19 juillet 2009, a fait l'objet d'un plan de continuation, la SCP [W] étant nommée en qualité d'administrateur judiciaire puis de commissaire à l'exécution du plan tandis que la SCP [B] était désignée en qualité de mandataire judiciaire.

5. Des augmentations de capital de la société Sehb prévues par le plan de continuation ont été souscrites par les sociétés Agena, Gargantua, Hôtel de Rouen, du Bois fleuri, Anne de France et Laval hôtel et par M. [H].

6. Reprochant à M. [M] et à la société Blace finance de refuser de lui céder les parts de la société Sehb en exécution de la promesse et d'avoir convoqué irrégulièrement les assemblées d'associés ayant décidé les augmentations de capital, la société A7 Management les a assignés, ainsi que les sociétés Agena, Gargantua, Hôtel de Rouen, du Bois fleuri, Anne de France, Laval hôtel et M. [H] afin que lui soit reconnue la qualité d'associée à 100 % dans le capital de la société Sehb et d'obtenir le paiement de dommages-intérêts ainsi que l'annulation des augmentations de capital et des parts sociales émises.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal n° D 15-17.589, pris en sa première branche, et sur les premier et deuxième moyens du pourvoi incident de la société Blace finance, pris en leurs premières branches, réunis

Enoncé des moyens

7. Par son premier moyen, pris en sa première branche, M. [M] fait grief à l'arrêt de lui ordonner ainsi qu'à la société Blace finance, sous astreinte, de transférer 500 parts sociales de la société Sehb à la société A7 Management, d'annuler les assemblées générales de la société Sehb des 30 juin 2011, 29 juin 2012 et 2 août 2012, d'annuler l'acquisition des parts sociales de la société Sehb par les sociétés Agena, Blace finance et Gargantua lors de l'assemblée générale du 25 octobre 2010, d'enjoindre à la société A7 Management de lui payer ainsi qu'à la société Blace finance une certaine somme, de le condamner à payer à la société Sehb une certaine somme à titre de dommages-intérêts et de rejeter les demandes formées dans le cadre de son appel incident, alors « que constitue une défense au fond, et non une demande, tout moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen du fond du droit, la prétention de la partie adverse ; qu'en concluant au rejet de la demande de la société A7 Management concernant le transfert des parts litigieuses, faute de réalisation de la condition suspensive tenant à l'absence de procédure collective, M. [M] ne formulait donc pas une prétention, mais se bornait à opposer un moyen de défense au fond ; qu'en qualifiant ce moyen de demande, pour la juger irrecevable comme nouvelle en cause d'appel, la cour d'appel a violé les articles 71 et 564 du code de procédure civile. »

8. Par ses premier et deuxième moyens, pris en leurs premières branches, la société Blace finance fait grief à l'arrêt de lui ordonner ainsi qu'à M. [M], sous astreinte, de transférer 500 parts sociales de la société Sehb à la société A7 Management puis, par voie de conséquence, d'annuler les assemblées générales de la société Sehb des 30 juin 2011, 29 juin 2012 et 2 août 2012, d'annuler l'acquisition des parts sociales de la société Sehb par les sociétés Agena, Blace finance et Gargantua lors de l'assemblée générale du 25 octobre 2010 et d'enjoindre à la société A7 Management de lui payer ainsi qu'à M. [M] une certaine somme, alors « que dans ses conclusions d'appel, elle sollicitait le rejet de la demande de la société A7 Management concernant le transfert des parts litigieuses à raison de l'absence de fondement de cette demande, par suite de la non-réalisation d'une condition suspensive, liée à l'absence de procédure collective ; qu'une telle prétention s'analyse en une défense au sens de l'article 71 du code de procédure civile ; qu'en analysant cette prétention comme une demande et non comme une défense, les juges du fond ont violé, par refus d'application de l'article 71 du code de procédure civile, et par fausse application, l'article 564 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 71 et 564 du code de procédure civile :

9. Pour rejeter l'appel incident de M. [M] et de la société Blace finance tenant à la non-réalisation de la condition suspensive de la promesse de cession liée à l'absence de procédure de redressement judiciaire, l'arrêt retient qu'il s'agit d'une demande nouvelle irrecevable en cause d'appel.

10. En statuant ainsi, alors que cette prétention s'analyse en une défense au fond, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Sur le premier moyen du pourvoi principal n° D 15-17.589, pris en sa quatrième branche, et sur les premier et deuxième moyens du pourvoi incident de la société Blace finance, pris en leurs cinquièmes branches, réunis

Enoncé des moyens

11. Par son premier moyen, pris en sa quatrième branche, M. [M] fait grief à l'arrêt de lui ordonner ainsi qu'à la société Blace finance, sous astreinte, de transférer 500 parts sociales de la société Sehb à la société A7 Management, d'annuler les assemblées générales de la société Sehb des 30 juin 2011, 29 juin 2012 et 2 août 2012, d'annuler l'acquisition des parts sociales de la société Sehb par les sociétés Agena, Blace finance et Gargantua lors de l'assemblée générale du 25 octobre 2010, d'enjoindre à la société A7 Management de lui payer ainsi qu'à la société Blace finance une certaine somme, de le condamner à payer à la société Sehb une certaine somme à titre de dommages-intérêts et de rejeter les demandes formées dans le cadre de son appel incident, alors « que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement ; qu'il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause et formée entre les mêmes parties ; que le juge, qui entend opposer l'exception de chose jugée à une demande ou à un moyen, est tenu d'identifier la décision à laquelle s'attacherait l'autorité de la chose jugée, d'en rappeler l'objet, de préciser dans quelles conditions elle a été rendue, puis de comparer la demande ou le moyen dont il est saisi et la demande sur laquelle il a été précédemment statué ; qu'en se bornant à énoncer que la "demande" se serait heurtée à l'autorité de la chose jugée, sans autre motif, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1351 du code civil et 480 du code de procédure civile. »

12. Par ses premier et deuxième moyens, pris en leurs cinquièmes branches, la société Blace finance fait grief à l'arrêt de lui ordonner ainsi qu'à M. [M], sous astreinte, de transférer 500 parts sociales de la société Sehb à la société A7 Management puis, par voie de conséquence, d'annuler les assemblées générales de la société Sehb des 30 juin 2011, 29 juin 2012 et 2 août 2012, d'annuler l'acquisition des parts sociales de la société Sehb par les sociétés Agena, Blace finance et Gargantua lors de l'assemblée générale du 25 octobre 2010 et d'enjoindre à la société A7 Management de lui payer ainsi qu'à M. [M] une certaine somme, alors « que lorsque le juge entend opposer l'exception de chose jugée à une demande, il est tenu d'identifier la décision, d'en rappeler l'objet, de préciser dans quelles conditions elle a été rendue, puis de comparer la demande dont il est saisi et la demande sur laquelle il a été précédemment statué ; qu'en se bornant à énoncer que la demande "se heurte par ailleurs à l'autorité de la chose jugée", sans autre motif, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 480 du code de procédure civile et 1351 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

13. L'arrêt retient que la prétention de M. [M] et de la société Blace finance, tenant à la non-réalisation de la condition suspensive de la promesse de cession liée à l'absence de procédure de redressement judiciaire, se heurte à l'autorité de la chose jugée.

14. En statuant ainsi, par voie de simple affirmation, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

Et sur le premier moyen du pourvoi principal n° D 15-17.589, pris en sa sixième branche

Enoncé du moyen

15. M. [M] fait grief à l'arrêt de lui ordonner ainsi qu'à la société Blace finance, sous astreinte, de transférer 500 parts sociales de la société Sehb à la société A7 Management, d'annuler les assemblées générales de la société Sehb des 30 juin 2011, 29 juin 2012 et 2 août 2012, d'annuler l'acquisition des parts sociales de la société Sehb par les sociétés Agena, Blace finance et Gargantua lors de l'assemblée générale du 25 octobre 2010, d'enjoindre à la société A7 Management de lui payer ainsi qu'à la société Blace finance une certaine somme, de le condamner à payer à la société Sehb une certaine somme à titre de dommages-intérêts et de rejeter les demandes formées dans le cadre de son appel incident, alors « que la renonciation d'une partie au bénéfice d'une condition suspensive est sans effet lorsque cette condition n'a pas été stipulée dans son intérêt exclusif ; qu'en se bornant à affirmer que la condition suspensive consistant dans l'absence de procédure collective ouverte à l'égard de la société Sehb, au jour de la cession, aurait été stipulée dans l'intérêt de l'acquéreur, qui avait déclaré y renoncé, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la situation de déficit constant de la société Sehb n'avait pas imposé des apports en comptes courants de la société Blace finance et de M. [M], qui avaient dès lors intérêt, en cas de cessation des paiement de la société Sehb, à en conserver la propriété pour leur permettre de présenter un plan de continuation avec paiement des créanciers, dont eux-mêmes, ce qu'ils avaient fait en s'engageant à souscrire à l'augmentation de capital qui avait permis la poursuite de l'activité, de sorte que cette condition avait été stipulée, aussi, dans leur intérêt, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1168 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1134 et 1168 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

16. Pour statuer comme il fait, l'arrêt retient que la société A7 Management a notifié sa renonciation à la condition suspensive, liée à l'absence de procédure de redressement judiciaire, stipulée dans l'intérêt de l'acquéreur.

17. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si cette condition n'avait pas également été stipulée en faveur des bénéficiaires de la promesse qui faisaient valoir que la situation déficitaire de la société Sehb avait commandé des apports en compte courant dont ils avaient intérêt à conserver la propriété en cas de cessation des paiements, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois :

RABAT l'arrêt n° 383 F-D rendu le 15 mars 2017 ;

Et statuant à nouveau :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 janvier 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elle se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Met hors de cause, sur sa demande, M. [H] relativement au pourvoi principal n° D 15-17.589, aux deuxième et troisième moyens du pourvoi n° P 15-16.609 ainsi qu'aux pourvois incidents ;

Condamne la société A7 Management aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

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