jeudi 3 février 2022

la recevabilité de l'action directe contre l'assureur du responsable n'est pas subordonnée à la déclaration préalable du sinistre par la victime auprès de son propre assureur

 Note D. Krajeski, RCA 2022-2, p. 26.

Note D. Noguéro, GP 2022, n° 10, p. 60.

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 décembre 2021




Cassation


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 1257 F-B

Pourvoi n° Z 20-16.340

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [U].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 4 février 2020.



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 DÉCEMBRE 2021

Mme [V] [U], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Z 20-16.340 contre le jugement rendu le 13 juin 2019 par le tribunal d'instance d'Haguenau, dans le litige l'opposant à la société ACM Iard, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Besson, conseiller, les observations de Me [P], avocat de Mme [U], après débats en l'audience publique du 9 novembre 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Besson, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué rendu en dernier ressort (tribunal d'instance d'Haguenau, 13 juin 2019), Mme [U] est propriétaire d'un véhicule qui a été percuté par un véhicule conduit par Mme [G], assurée auprès de la société ACM Iard (l'assureur).

2. Après avoir fait expertiser son véhicule, Mme [U] a demandé à l'assureur de Mme [G] de l'indemniser de l'ensemble des dommages matériels subis et des frais de l'expertise.

3. S'étant heurtée au silence de cet assureur, Mme [U] l'a assigné en paiement de ses préjudices consécutifs à l'accident, et en dommages-intérêts pour résistance abusive.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Mme [U] fait grief au jugement de la débouter de ses demandes dirigées contre l'assureur, alors « que le tiers lésé dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable ; que, pour débouter Mme [V] [U] de ses demandes indemnitaires dirigées directement contre l'assureur de Mme [G], dont la responsabilité n'est pas contestée, le tribunal a considéré que la victime aurait dû préalablement saisir son propre assureur en application de l'article L. 113-2, 5°, du code des assurances ; qu'en statuant ainsi, alors que Mme [U] exerçait une action directe contre l'assureur de l'auteur du dommage, le tribunal a violé les articles L. 124-3 du code des assurances, par refus d'application, et L. 113-2 du même code, par fausse application. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 124-3 du code des assurances :

5. Il résulte de ce texte, selon lequel le tiers lésé dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable, que la recevabilité de l'action directe contre cet assureur n'est pas subordonnée à la déclaration préalable du sinistre par la victime auprès de son propre assureur.

6. Le jugement, tout en constatant la responsabilité de Mme [G], retient pour débouter Mme [U] de ses demandes contre l'assureur de celle-ci, que l'article L. 113-2 du code des assurances fait obligation à l'assuré de déclarer « tout sinistre de nature à entraîner la garantie de l'assureur » et que la déclaration porte sur la réalisation d'un risque garanti par le contrat d'assurance comme, en l'espèce, un accident matériel de la circulation ayant donné lieu à un constat amiable mentionnant les assurances respectives des véhicules impliqués.

7. Il retient encore que, dans le cadre d'un processus entre assureurs, une expertise du véhicule aurait été diligentée sans frais pour Mme [U] et sans nécessité de mise en demeure pour être indemnisée.

8. En statuant ainsi, en exigeant de la victime une déclaration préalable du sinistre auprès de son propre assureur, le tribunal d'instance, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 13 juin 2019, entre les parties, par le tribunal d'instance d'Haguenau ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Strasbourg ;

Condamne la société ACM Iard aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société ACM Iard à payer à M. [P] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize décembre deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par Me [P], avocat aux Conseils, pour Mme [U]

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté les demandes de Madame [V] [U] tendant au paiement par la société ACM Iard, assureur de Madame [G], de diverses sommes en réparation de ses préjudices consécutifs à l'accident de la circulation dont cette dernière était responsable,

AUX MOTIFS QU'"Il est constant que le véhicule de Madame [V] [U] qui était en stationnement a été heurté par celui de Madame [G] le 19 mai 2018 à [Localité 3] sur le parking AUCHAN. Un constat amiable a été rédigé par les parties qui ont indiqué leur compagnie d'assurance respective, AVANSSUR pour la demanderesse. Madame [V] [U] a mandaté un expert privé pour procéder à l'évaluation des réparations nécessaires, chiffrées à 2 044 euros et sollicitait le paiement des travaux et autres frais à la SA ACM IARD selon mise en demeure du 3 septembre 2018. Or, l'article L 113-2 du Code des Assurances fait obligation à l'assuré de déclarer tout sinistre de nature à entraîner la garantie de l'assureur ». L'obligation suppose donc, d'une part, qu'un événement se soit réalisé, et, d'autre part, que cet événement soit susceptible de mettre en jeu la garantie d'assurance. En d'autres termes, la déclaration porte sur la réalisation d'un risque garanti par le contrat d'assurance. Dès lors, seul un événement exclu de la garantie n'a pas à être déclaré au sens du texte précité. Ce n'est pas le cas en l'espèce s'agissant d'un accident matériel de la circulation, ayant donné lieu à un constat amiable mentionnant les assurances respectives des véhicules impliqués. Dans le cadre d'un processus entre assureurs, une expertise du véhicule aurait été diligentée sans frais pour Madame [U] et sans nécessité de mise en demeure pour être indemnisée. Dès lors, elle devra être déboutée de ses demandes à l'encontre de la SA ACM IARD. Elle ne peut davantage faire état de désagréments qu'elle a subi du fait de l'absence de déclaration de sinistre, alors que celle-ci aurait mis en jeu la garantie qui aurait donné lieu à une expertise contradictoire des dommages sans frais pour l'assurée, une réparation non contestée sans frais pour l'assurée, le garage agréé étant généralement réglé directement par la compagnie d'assurances" (jugement, p. 2 et 3),

1°) ALORS QUE le tiers lésé dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable ;

Que, pour débouter Mme [V] [U] de ses demandes indemnitaires dirigées directement contre l'assureur de Mme [G], dont la responsabilité n'est pas contestée, le tribunal a considéré que la victime aurait dû préalablement saisir son propre assureur en application de l'article L. 113-2, 5°, du code des assurances ;

Qu'en statuant ainsi, alors que Mme [U] exerçait une action directe contre l'assureur de l'auteur du dommage, le tribunal a violé les articles L. 124-3 du code des assurances, par refus d'application, et L. 113-2 du même code, par fausse application ;

2°) ALORS QUE tout jugement fondé sur des motifs hypothétiques est nul ;

Que, pour débouter Mme [V] [U] de ses demandes indemnitaires dirigées directement contre l'assureur de Mme [G], dont la responsabilité n'est pas contestée, le tribunal a estimé que "Dans le cadre d'un processus entre assureurs, une expertise du véhicule aurait été diligentée sans frais pour Madame [U] et sans nécessité de mise en demeure pour être indemnisée. Dès lors, elle devra être déboutée de ses demandes à l'encontre de la SA ACM IARD. Elle ne peut davantage faire état de désagréments qu'elle a subi du fait de l'absence de déclaration de sinistre, alors que celle-ci aurait mis en jeu la garantie qui aurait donné lieu à une expertise contradictoire des dommages sans frais pour l'assurée, une réparation non contestée sans frais pour l'assurée, le garage agréé étant généralement réglé directement par la compagnie d'assurances" ;

Qu'en se bornant à décrire, par des motifs purement hypothétiques, combien la situation de la victime aurait été meilleure si elle avait fait une déclaration à son assureur, le tribunal a violé l'article 455 du code de procédure civile. ECLI:FR:CCASS:2021:C201257

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