chambre civile 3
Audience publique du jeudi 14 mai 2020
N° de pourvoi: 19-12.988
Non publié au bulletin Cassation partielle
M. Chauvin (président), président
SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Boulloche, SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Marc Lévis, SCP Richard, avocat(s)
Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
CIV. 3
LG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 14 mai 2020
Déchéance et Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 294 F-D
Pourvoi n° K 19-12.988
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 MAI 2020
Le syndicat des copropriétaires de l'immeuble Résidence [...], dont le siège est [...] , représenté par son syndic, la société N... C... immobilier, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° K 19-12.988 contre l'arrêt rendu le 15 novembre 2018 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (3e chambre A), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. U... I..., domicilié [...] ,
2°/ à M. T... Q..., domicilié [...] , pris en qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Nadine,
3°/ à la société Gan assurances, société anonyme, dont le siège est [...] ,
4°/ à M. J... H...,
5°/ à Mme P... Y..., épouse H...,
domiciliés tous deux [...],
6°/ à Mme A... E..., domiciliée [...] , successeur de M. O... K..., notaire,
7°/ à la société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [...] ,
8°/ à la société Duca, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [...] ,
9°/ à la société SMABTP, société anonyme, dont le siège est [...] ,
10°/ à la Société francaise de montage levage, dont le siège est [...] ,
11°/ à la société MMA IARD, dont le siège est [...] ,
12°/ à la Société générale de plomberie chauffage, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,
13°/ à la société Areas dommages, dont le siège est [...] ,
14°/ à la mutuelle Maaf assurances, dont le siège est [...] ,
15°/ à la Mutuelle des architectes français, société d'assurance mutuelle à cotisations variables, dont le siège est [...] ,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les cinq moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Bech, conseiller, les observations de la SCP Richard, avocat du syndicat des copropriétaires de l'immeuble Résidence [...], de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat de la société Areas dommages, de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme E... et de la société Mma IARD, de la SCP Boulloche, avocat de M. I... et de la Mutuelle des architectes français, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Axa France IARD, de la SCP Marc Lévis, avocat de la société Gan assurances, après débats en l'audience publique du 3 mars 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Bech, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Déchéance du pourvoi
1. Conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, avis a été donné aux parties qu'il est fait application de l'article 978 du même code.
2. En vertu de ce texte, à peine de déchéance, le mémoire en demande doit être signifié au défendeur n'ayant pas constitué avocat au plus tard dans le mois suivant l'expiration du délai de quatre mois à compter du pourvoi.
3. Le syndicat des copropriétaires n'a pas valablement signifié le mémoire ampliatif à la société Nadine.
4. Il s'ensuit que la déchéance du pourvoi est encourue à l'égard de la société Nadine.
Faits et procédure
5. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 15 novembre 2018), la société Nadine, depuis placée en liquidation judiciaire, assurée auprès de la société Mutuelle des architectes français (la MAF), a fait construire un groupe de deux immeubles partagés en lots vendus en l'état futur d'achèvement.
6. M. I... a été chargé d'une mission de maîtrise d'oeuvre, à laquelle il a mis fin prématurément, et plusieurs entreprises, assurées auprès de différentes sociétés d'assurance, sont intervenues dans les opérations de construction.
7. Après livraison des appartements, le syndicat des copropriétaires de la Résidence [...] (le syndicat des copropriétaires) a, après expertise, assigné le mandataire liquidateur de la société Nadine, les associés de celle-ci, le notaire ayant établi les actes de vente et le règlement de copropriété, les assureurs et trois entreprises en indemnisation des préjudices liés à l'existence de désordres.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
8. Le syndicat des copropriétaires fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables les demandes formées contre la société Nadine, alors « que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'il ne peut, à ce titre, relever un moyen d'office, sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen ; qu'en relevant néanmoins d'office le moyen tiré de l'irrecevabilité des demandes du syndicat des copropriétaires de la résidence [...] à l'encontre de la société Nadine, motif pris que, d'une part, le syndicat des copropriétaires n'avait pas sollicité la désignation d'un mandataire ad hoc chargé de représenter la société Nadine devant les premiers juges, bien qu'elle ait fait l'objet d'une mesure de radiation, et d'autre part, qu'elle ne justifiait pas d'une déclaration de sa créance auprès du liquidateur judiciaire, sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
9. Le syndicat des copropriétaires étant déchu de son pourvoi à l'égard de la société Nadine, le moyen est irrecevable.
Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
11. Le syndicat des copropriétaires fait grief à l'arrêt de mettre hors de cause M. I... et, en conséquence, de rejeter ses demandes contre ce dernier et la MAF en indemnisation de son préjudice au titre des désordres, alors « qu'il appartient à l'architecte qui prétend, afin de s'exonérer de sa responsabilité contractuelle, que les travaux à l'origine des désordres ont été réalisés après la fin de sa mission, d'en rapporter la preuve ; qu'en décidant néanmoins que le syndicat des copropriétaires de la Résidence [...] ne démontrant pas quels travaux avaient été réalisés durant la mission de M. I..., architecte, ainsi que la nature des désordres reprochés, celui-ci ne pouvait voir sa responsabilité engagée, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé l'article 1147 du code civil, ensemble l'article 1315 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
12. il incombe au créancier, qui recherche la responsabilité contractuelle d'un constructeur, d'établir l'existence de l'obligation et son inexécution.
13. Ayant retenu que le contrat de maîtrise d'oeuvre liant M. I... à la société Nadine avait été résilié au 1er septembre 2008, que, selon l'expert, aucun document n'établissait l'état d'avancement des travaux lorsque l'architecte avait mis un terme à sa mission et que le syndicat des copropriétaires n'apportait aucune précision sur les travaux réalisés durant celle-ci et sur la nature des désordres dénoncés, la cour d'appel a pu en déduire, sans inverser la charge de la preuve, que la responsabilité contractuelle de M. I... ne pouvait pas être recherchée.
14. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
15. Le syndicat des copropriétaires fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes tendant à voir condamner M. et Mme H..., la SMABTP et les sociétés GAN assurance, Areas dommages, Axa France IARD, MMA, MAAF, Duca, Française de montage levage et Société générale de plomberie chauffage à l'indemniser de son préjudice au titre des désordres, alors « que tout constructeur d'un ouvrage est tenu envers le maître d'ouvrage d'une présomption de responsabilité dont il ne peut s'exonérer qu'en prouvant une cause étrangère ; qu'en affirmant néanmoins, pour débouter le syndicat des copropriétaires de ses demandes à l'encontre de l'ensemble des constructeurs, qu'il se bornait à solliciter une condamnation in solidum des intimés, sans toutefois distinguer les lots concernés, ni préciser les désordres reprochés à chacun des constructeurs, et qu'il ne produisait aucun élément permettant de rattacher chacun des désordres à chacun des constructeurs, bien qu'il ait appartenu aux constructeurs de démontrer que les désordres constatés ne leurs étaient pas imputables, la cour d'appel a violé l'article 1792 du code civil. »
Réponse de la Cour
16. La cour d'appel a souverainement retenu qu'elle ne disposait pas d'éléments probants permettant d'identifier avec certitude les entreprises intervenues dans les opérations de construction.
17. Elle a relevé que le syndicat des copropriétaires ne précisait pas les fautes reprochées à M. et Mme H..., associés de la société Nadine .
18. Elle en a exactement déduit, abstraction faite de motifs surabondants, que les demandes contre les entreprises, les assureurs et M. et Mme H... devaient être rejetées.
19. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le quatrième moyen, ci-après annexé
10. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le cinquième moyen
Enoncé du moyen
20. Le syndicat des copropriétaires fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes contre M. O... K... en indemnisation de son préjudice au titre des désordres, alors :
« 1°/ que le syndicat des copropriétaires soutenait que Me K... avait manqué à son devoir d'information et de conseil, en ne s'assurant pas de l'efficacité des polices d'assurance souscrite par les constructeurs ; qu'en affirmant néanmoins que le syndicat des copropriétaires ne précisait pas les fautes qu'il reprochait à Me K..., la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis des conclusions d'appel du syndicat des copropriétaires, en violation de l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
2°/ qu'en s'abstenant de répondre aux conclusions du syndicat des copropriétaires, qui soutenait que Me K... avait manqué à son devoir d'information et de conseil, en ne s'assurant pas de l'efficacité des polices d'assurance souscrite par les constructeurs, de sorte que sa responsabilité était engagée, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
21. Ayant relevé, par motifs adoptés, que le syndicat des copropriétaires ne rapportait pas la preuve d'une quelconque faute du notaire auquel il reprochait une éventuelle défaillance dans la vérification des attestations d'assurance, la cour d'appel en a déduit à bon droit, répondant aux conclusions prétendument délaissées et abstraction faite d'un motif surabondant, que la demande formée contre M. K... devait être rejetée.
22. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
23. Le syndicat des copropriétaires fait grief à l'arrêt de mettre hors de cause M. I... et, en conséquence, de rejeter ses demandes contre ce dernier et la MAF en indemnisation de son préjudice au titre des désordres, alors « que l'architecte qui a été investi d'une mission complète de maîtrise d'oeuvre est tenu, envers le maître de l'ouvrage, d'une présomption de responsabilité dont il ne peut s'exonérer qu'en prouvant une cause étrangère ; qu'il appartient en conséquence à l'architecte, qui prétend, afin de s'exonérer de la responsabilité décennale, que les travaux à l'origine des désordres ont été réalisés après la fin de sa mission, d'en rapporter la preuve ; qu'en décidant néanmoins que le syndicat des copropriétaires ne démontrant pas quels travaux avaient été réalisés durant la mission de M. I... ainsi que la nature des désordres reprochés, celui-ci ne pouvait voir sa responsabilité engagée, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé l'article 1792 du code civil, ensemble l'article 1315 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1315, devenu 1353, et 1792 du code civil :
24. Selon le premier de ces textes, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit le prouver. Selon le second, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectent dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.
25. Pour rejeter les demandes du syndicat des copropriétaires contre M. I... fondées sur la garantie décennale, l'arrêt retient que, selon l'expert, l'ensemble des malfaçons constatées est la conséquence d'une mauvaise exécution incombant à l'entreprise titulaire du lot correspondant et que certains des désordres sont imputables à un défaut de surveillance des travaux mais qu'aucun document n'établit l'état d'avancement de ceux-ci lorsque M. I... a mis un terme à sa mission, et retient que, en l'état de ces éléments, le syndicat des copropriétaires n'apportant aucune précision sur les travaux réalisés durant la mission du maître d'oeuvre et sur la nature des désordres reprochés, la garantie décennale de M. I... ne peut être retenue.
26. En statuant ainsi, alors qu'il incombe au constructeur qui entend s'exonérer de la garantie décennale dont il est débiteur d'établir l'absence de lien entre le désordre constaté et son intervention, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Demandes de mise hors de cause
27. Il y a lieu de mettre hors de cause Mme E..., successeur de M. K..., dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
28. En revanche, l'intervention des sociétés Axa France, Gan assurances, MMA IARD et Areas dommages pourra être utile devant la cour d'appel de renvoi. Il convient de rejeter leurs demandes de mise hors de cause.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CONSTATE la déchéance du pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Nadine ;
Met hors de cause Mme E... ;
Rejette les autres demandes de mise hors de cause ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes du syndicat des copropriétaires de la Résidence [...] formées, sur le fondement de l'article 1792 du code civil, contre M. I... et la société Mutuelle des architectes français, en qualité d'assureur de ce dernier, l'arrêt rendu le 15 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;
Condamne M. I... et la société Mutuelle des architectes français aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
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