lundi 11 janvier 2021

Qualification de contrat administratif : limites de la clause exorbitante bénéficiant à la personne de droit privé

 

Note Chifflot, Procédures 2021-1, p. 39.

Tribunal des Conflits, , 02/11/2020, C4196, Publié au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu, enregistrée à son secrétariat le 19 juin 2020, l'expédition de l'arrêt du 15 juin 2020 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille, saisie de la requête de la société Eveha demandant l'annulation du jugement du tribunal administratif de Marseille du 6 novembre 2018 ayant rejeté sa demande tendant à l'annulation du marché passé le 10 mars 2017 entre la société publique locale d'aménagement (SPLA) Pays d'Aix territoires et l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) en vue de la réalisation des fouilles d'archéologie préventive préalables aux travaux de la zone d'aménagement concerté de la Burlière et à la condamnation de la société à lui verser une indemnité de 115 874 euros en réparation du préjudice résultant de son éviction du marché, a renvoyé au Tribunal, par application de l'article 35 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence ;

Vu, enregistré le 20 juillet 2020, le mémoire présenté pour l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), tendant à ce que la juridiction administrative soit déclarée compétente, par les motifs que le contrat en cause, passé entre une personne morale de droit privé et une personne morale de droit public, a pour objet l'exécution de fouilles archéologiques préventives qui relèvent directement de la mission de service public confiée à l'INRAP ; que le régime applicable à l'exécution des contrats de fouilles est exorbitant du droit commun ; que le contrat en cause, en se référant au cahier des clauses administratives générales des marchés publics de prestations intellectuelles, comporte des clauses exorbitantes du droit commun ; que les fouilles réalisées par l'établissement public dans le cadre de sa mission de service public présentent le caractère de travaux publics ;

Vu, enregistré le 28 août 2020, le mémoire présenté pour la société publique locale d'aménagement (SPLA) Pays d'Aix territoires, tendant à ce que la juridiction administrative soit déclarée compétente, par les motifs que le contrat, conclu entre une personne privée et une personne publique, a pour objet l'exécution même d'une mission de service public, que la personne privée contractante a agi pour le compte d'une personne publique et que le régime applicable au contrat justifie qu'il soit régi par le droit public ;

Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été communiquée à la société Eveha, au ministre de l'action et des comptes publics et au ministre de la culture, qui n'ont pas produit de mémoire ;


Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

Vu le code du patrimoine ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 ;

Vu l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. B... A..., membre du Tribunal,

- les observations de la SCP Lyon-Caen, Thiriez pour l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) ;

- les observations de la SCP Piwnica, Molinié pour la société publique locale d'aménagement (SPLA) Pays d'Aix territoires ;

- les conclusions de Mme Anne Berriat, rapporteur public ;



Considérant ce qui suit :

1. La communauté d'agglomération du Pays d'Aix a conclu, le 21 octobre 2010, avec la société publique locale d'aménagement (SPLA) Pays d'Aix territoires, qui revêt la forme d'une société anonyme en vertu de l'article L. 327-1 du code de l'urbanisme, une concession d'aménagement destinée à la réalisation de la zone d'aménagement concerté de la Burlière, sur le territoire de la commune de Trets. Par un arrêté du 27 octobre 2015, le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur a prescrit la réalisation de fouilles d'archéologie préventive sur ce site. La SPLA Pays d'Aix territoires a engagé une procédure d'attribution du contrat de réalisation de ces fouilles. Après qu'une première procédure a été déclarée sans suite en raison de l'avis négatif émis par la direction régionale des affaires culturelles sur le projet scientifique du candidat retenu, une nouvelle procédure a été engagée le 21 octobre 2016 pour la passation de ce contrat. Par lettre du 8 février 2017, la SPLA Pays d'Aix territoires a notifié à la société Eveha le rejet de son offre, classée seconde, et l'a informée de l'attribution à l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) du contrat, qui a été conclu le 10 mars 2017. La société Eveha a saisi le tribunal administratif de Marseille d'une demande relative à l'attribution de ce contrat. Par un jugement du 6 novembre 2018, le tribunal administratif a rejeté cette demande. Par un arrêt du 15 juin 2020, la cour administrative d'appel de Marseille, saisie en appel par la société Eveha, a renvoyé au Tribunal, par application de l'article 35 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence.

2. En vertu de l'article L. 521-1 du code du patrimoine, l'archéologie préventive " relève de missions de service public " et a pour objet " d'assurer, à terre et sous les eaux, dans les délais appropriés, la détection, la conservation ou la sauvegarde par l'étude scientifique des éléments du patrimoine archéologique affectés ou susceptibles d'être affectés par les travaux publics ou privés concourant à l'aménagement " ainsi que " l'interprétation et la diffusion des résultats obtenus ". Il appartient à l'Etat, selon l'article L. 522-1 du même code, de veiller " à la cohérence et au bon fonctionnement du service public de l'archéologie préventive " et d'exercer " la maîtrise scientifique des opérations d'archéologie préventive ". En particulier, les dispositions de l'article L. 522-1 prévoient que l'Etat : " 1° Prescrit les mesures visant à la détection, à la conservation ou à la sauvegarde par l'étude scientifique du patrimoine archéologique ; / 2° Désigne le responsable scientifique de toute opération ; / 3° Assure le contrôle scientifique et technique et évalue ces opérations ; / 4° Est destinataire de l'ensemble des données scientifiques afférentes aux opérations ".

3. Aux termes de l'article L. 523-1 du code du patrimoine : " Sous réserve des cas prévus à l'article L. 523-4, les diagnostics d'archéologie préventive sont confiés à un établissement public national à caractère administratif qui les exécute conformément aux décisions délivrées et aux prescriptions imposées par l'Etat et sous la surveillance de ses représentants, en application des dispositions du présent livre. / L'établissement public réalise des fouilles d'archéologie préventive dans les conditions définies aux articles L. 523-8 à L. 523-10 (...) ". Cet établissement public administratif est, ainsi que l'indique l'article R. 545-24 du même code, l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP). Par ailleurs, l'article L. 523-4 du même code détermine les conditions dans lesquelles les services archéologiques qui dépendent d'une collectivité territoriale ou d'un groupement de collectivités territoriales peuvent aussi établir des diagnostics d'archéologie préventive.

4. S'agissant des opérations de fouilles d'archéologie préventive, l'article L. 523-8 du même code dispose que : " L'Etat assure la maîtrise scientifique des opérations de fouilles d'archéologie préventive mentionnées à l'article L. 522-1. Leur réalisation incombe à la personne projetant d'exécuter les travaux ayant donné lieu à la prescription. Celle-ci fait appel, pour la mise en oeuvre des opérations de fouilles terrestres et subaquatiques, soit à l'établissement public mentionné à l'article L. 523-1, soit à un service archéologique territorial, soit, dès lors que sa compétence scientifique est garantie par un agrément délivré par l'Etat, à toute autre personne de droit public ou privé. / Lorsque la personne projetant d'exécuter les travaux est une personne privée, l'opérateur de fouilles ne peut être contrôlé, directement ou indirectement, ni par cette personne ni par l'un de ses actionnaires (...) ". En vertu de l'article L. 523-8-1 du même code, l'agrément pour la réalisation de fouilles, prévu pour les personnes visées à l'article L. 523-8 autres que l'établissement public ou les services territoriaux, est délivré par l'Etat pour cinq ans. Selon l'article L. 523-9 du même code, " I. - Lorsqu'une prescription de fouilles est notifiée à la personne qui projette d'exécuter les travaux, celle-ci sollicite les offres d'un ou plusieurs opérateurs mentionnés au premier alinéa de l'article L. 523-8. La prescription de fouilles est assortie d'un cahier des charges scientifique dont le contenu est fixé par voie réglementaire / (...) Préalablement au choix de l'opérateur par la personne projetant d'exécuter les travaux, celle-ci transmet à l'Etat l'ensemble des offres recevables au titre de la consultation. L'Etat procède à la vérification de leur conformité aux prescriptions de fouilles édictées en application de l'article L. 522-2, évalue le volet scientifique et s'assure de l'adéquation entre les projets et les moyens prévus par l'opérateur. / II. - Le contrat passé entre la personne projetant d'exécuter les travaux et la personne chargée de la réalisation des fouilles rappelle le prix et les moyens techniques et humains mis en oeuvre et fixe les délais de réalisation de ces fouilles, ainsi que les indemnités dues en cas de dépassement de ces délais. Le projet scientifique d'intervention est une partie intégrante du contrat. La mise en oeuvre du contrat est subordonnée à la délivrance de l'autorisation de fouilles par l'Etat. / L'opérateur exécute les fouilles conformément aux décisions prises et aux prescriptions imposées par l'Etat et sous la surveillance de ses représentants, en application des dispositions du présent livre. / (...) ". En vertu de l'article L. 523-10 du même code, lorsque aucun autre opérateur ne s'est porté candidat ou ne remplit les conditions pour réaliser les fouilles, l'INRAP est tenu d'y procéder à la demande de la personne projetant d'exécuter les travaux.

5. Si un contrat passé entre une personne publique et une personne privée qui comporte une clause qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l'exécution du contrat, implique, dans l'intérêt général, qu'il relève du régime exorbitant des contrats administratifs, est un contrat administratif, la circonstance que le contrat litigieux, passé entre la SPLA Pays d'Aix territoires et l'INRAP, comporte des clauses conférant à la SPLA des prérogatives particulières, notamment le pouvoir de résilier unilatéralement le contrat pour motif d'intérêt général, n'est pas de nature à faire regarder ce contrat comme administratif, dès lors que les prérogatives en cause sont reconnues à la personne privée contractante et non à la personne publique.

6. Toutefois, il résulte des dispositions précédemment citées que le législateur a entendu créer un service public de l'archéologie préventive et a notamment, dans ce cadre, chargé l'INRAP de réaliser des diagnostics d'archéologie préventive et d'effectuer, dans les conditions prévues par le code du patrimoine, des fouilles. Il suit de là que le contrat par lequel la personne projetant d'exécuter les travaux qui ont donné lieu à la prescription, par l'Etat, de réaliser des fouilles d'archéologie préventive confie à l'INRAP, établissement public, le soin de réaliser ces opérations de fouilles a pour objet l'exécution même de la mission de service public de l'archéologie préventive et que ces opérations de fouilles, dès lors qu'elles sont effectuées par cet établissement public dans le cadre de cette mission de service public, présentent le caractère de travaux publics.

7. Il résulte de ce qui précède que le litige relève de la compétence de la juridiction administrative.



D E C I D E :
--------------
Article 1er : La juridiction administrative est compétente pour connaître du litige.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Eveha, à la société publique locale d'aménagement Pays d'Aix territoires, à l'Institut national de recherches archéologiques préventives, au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à la ministre de la culture.

Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.