vendredi 22 janvier 2021

Amiante et principe de réparation intégrale

 Note Mélin, GP 2021-3, p. 58

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 2

MY2



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 24 septembre 2020




Cassation partielle


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 890 F-D

Pourvoi n° B 19-19.535




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 24 SEPTEMBRE 2020

1°/ M. T... Q..., domicilié [...] ,

2°/ M. H... Q..., domicilié [...] ,

3°/ Mme G... I..., veuve Q..., domiciliée [...] ,

tous trois agissant en qualité d'ayants droit de K... Q..., décédé,

ont formé le pourvoi n° B 19-19.535 contre l'arrêt rendu le 17 mai 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-8), dans le litige les opposant :

1°/ au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, dont le siège est [...] ,

2°/ au ministre des affaires sociales et de la santé, domicilié [...] ,

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Besson, conseiller, les observations de la SCP Zribi et Texier, avocat de Mme G... Q... et MM. H... et T... Q..., de Me Le Prado, avocat de Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 24 juin 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Besson, conseiller rapporteur, Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, et Mme Cos, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à Mme G... I... veuve Q..., M. H... Q... et M. T... Q... du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre le ministre chargé des affaires sociales et de la santé.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 17 mai 2019) et les productions, K... Q... est décédé le [...] d'un mésothéliome pleural occasionné par l'amiante.

Sa veuve, Mme G... Q..., ses deux fils, MM. H... et T... Q..., ainsi que sa petite-fille, Mme S... Q..., ont déclaré le décès, ainsi que les circonstances de ce décès, au ministère de la défense, unique employeur de K... Q..., et saisi concomitamment le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA).

3. Par décision du 29 mai 2017, le ministère de la défense a reconnu que le décès de K... Q... était consécutif à son exposition aux poussières d'amiante durant sa carrière d'ouvrier d'Etat et dû à la faute inexcusable de l'employeur.

4. Par lettres des 30 mai et 22 septembre 2017, le ministère de la défense a notifié aux ayants droit de K... Q... leur droit à bénéficier d'une indemnité au titre de leur préjudice moral personnel, ainsi que le montant de l'indemnité globale fixée pour l'indemnisation des préjudices extrapatrimoniaux du défunt.

5. Par lettre recommandée du 28 juin 2017, le FIVA a adressé aux ayants droit de K... Q... une offre d'indemnisation des préjudices extrapatrimoniaux subis par le défunt et des frais funéraires, excluant en revanche l'indemnisation de leurs préjudices personnels.

6. Insatisfaits de cette offre, Mme G... Q..., ainsi que MM. H... et T... Q... (les consorts Q...), agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité d'ayants droit de K... Q..., ont saisi la cour d'appel d'Aix-en-Provence aux fins de la contester.

Examen des moyens

Sur le premier moyen et le troisième moyens, ci-après annexés

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

8. Les consorts Q... font grief à l'arrêt de juger que les préjudices extrapatrimoniaux de K... Q... en lien avec le mésothéliome ont déjà fait l'objet d'un accord amiable d'indemnisation désormais définitif dans le cadre de la procédure de reconnaissance de faute inexcusable de l'employeur et de rejeter leur demande d'indemnisation au titre de ces préjudices, ainsi que leur demande au titre du préjudice esthétique et la demande de Mme Q... au titre de son préjudice moral, alors :

« 1°/ que seules les décisions juridictionnelles devenues irrévocables allouant une indemnisation intégrale pour les conséquences dommageables de l'exposition à l'amiante emportent les mêmes effets que le désistement de la demande d'indemnisation présentée au Fonds ; qu'en se fondant sur le versement par l'employeur de K... Q..., à savoir le Ministère de la Défense, de diverses indemnités au titre de sa faute inexcusable pour refuser d'examiner les demandes de réparation présentées au FIVA par ses ayants droit, la cour d'appel a violé l'article 53, IV, de la loi du 23 décembre 2000 ;

2°/ à tout le moins, que la victime d'une maladie due à une exposition à l'amiante peut obtenir la réparation intégrale de ses préjudices, de sorte que s'il doit être tenu compte des indemnités de toute nature reçues d'autres débiteurs du chef du même préjudice, ces dernières ne sont pas de nature à priver la victime de son action ; qu'en se fondant sur le versement par l'employeur de K... Q..., à savoir le Ministère de la Défense, de diverses indemnités au titre de sa faute inexcusable pour refuser d'examiner les demandes de réparation présentées au FIVA par ses ayants-droits, la cour d'appel a violé les articles 53, I, et 53, IV, de la loi du 23 décembre 2000 ;

3° / en toute hypothèse, qu'en retenant que le Ministère de la Défense a versé diverses sommes à la succession en réparation des préjudices extrapatrimoniaux de K... Q... au terme d'un « accord amiable devenu définitif », sans constater la réalité d'un tel accord, contestée par les consorts Q..., que l'absence de contestation ne pouvait suffire à établir, la cour d'appel a violé l'article 1103 du code civil. »

Réponse de la Cour

9. Selon l'article 53, IV, alinéa 3, de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000, l'acceptation de l'offre ou la décision juridictionnelle définitive rendue dans l'action en justice prévue au V vaut désistement des actions juridictionnelles en indemnisation en cours et rend irrecevable tout autre action juridictionnelle future en réparation du même préjudice. Il en va de même des décisions juridictionnelles devenues définitives allouant une indemnisation intégrale pour les conséquences de l'exposition à l'amiante.

10. Au sens de ce texte, l'accord amiable d'indemnisation conclu par une victime de l'amiante ou ses ayants droit à l'occasion de la procédure en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur rend irrecevable tout autre action juridictionnelle future en réparation du même préjudice.

11. Pour rejeter la demande d'indemnisation des consorts Q..., l'arrêt retient d'abord que l'irrecevabilité a pour but d'éviter toute double indemnisation d'un même préjudice en contradiction avec le principe de réparation intégrale, mais seulement intégrale, de sorte que le FIVA ne peut être condamné à verser une indemnité au titre d'une réparation d'ores et déjà réalisée.

12. Il relève ensuite que les ayants droit de K... Q... ont refusé l'offre du FIVA du 28 juin 2017, tout en saisissant la cour d'appel le 5 septembre 2017, mais que par décision du 22 septembre 2017, le ministère de la défense s'est prononcé sur la réparation des préjudices extrapatrimoniaux de K... Q... en procédant, au terme d'un accord amiable devenu définitif conclu avec les ayants droit du défunt dans le cadre de la procédure en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, au versement à la succession d'une indemnité totale de 32 801,62 € au titre de ces préjudices du défunt en lien avec le mésothéliome.

13. En l'état de ces énonciations, et de ces constatations dont elle a déduit l'existence d'un accord amiable définitif d'indemnisation, la cour d'appel a exactement décidé, sans encourir les griefs du moyen, que les consorts Q... ne pouvaient solliciter auprès du FIVA l'indemnisation de ces préjudices.

14. Le moyen n'est, par conséquent, pas fondé.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

15. Les consorts Q... font le même grief à l'arrêt, alors « en tout état de cause, qu'après avoir constaté que le préjudice esthétique de K... Q... n'avait pas été réparé par le Ministère de la Défense, la cour d'appel ne pouvait, sans violer l'article 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000, ensemble le principe de réparation intégrale, retenir que les consorts Q... ne pouvait en poursuivre l'indemnisation auprès du FIVA. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 53-IV, alinéa 3, de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 :

16. Il résulte des dispositions de ce texte que les décisions juridictionnelles devenues irrévocables allouant une indemnisation intégrale pour les conséquences de l'exposition à l'amiante emportent les mêmes effets que le désistement de la demande d'indemnisation présentée au FIVA ou de l'action en justice prévue au V du même article et rendent irrecevable toute autre demande présentée à ce Fonds en réparation du même préjudice.

17. Pour rejeter la demande des consorts Q... au titre du préjudice esthétique de K... Q..., l'arrêt retient qu'il leur appartenait d'épuiser les possibilités indemnitaires offertes du chef de la voie d'indemnisation sélectionnée par eux, en l'espèce le ministère de la défense, ce qui leur interdit désormais de solliciter du FIVA une indemnisation complémentaire du chef de préjudices dont ils n'ont pas poursuivi la reconnaissance.

18. L'arrêt ajoute que l'absence de demande en fixation ou en contestation d'un préjudice esthétique devant le juge naturel saisi ou devant l'organisme intervenant au stade de la conciliation initiale empêche désormais les consorts Q... de solliciter du FIVA, postérieurement au règlement des indemnités qu'ils ont perçues du ministère de la défense, l'indemnisation de ce préjudice qu'ils n'avaient pas précédemment sollicitée auprès de ce ministère.

19. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait que l'indemnisation précédemment obtenue par les ayants droit de K... Q... n'incluait pas celle du préjudice esthétique de celui-ci, qui n'avait pas été sollicitée avant la saisine du FIVA, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Donne acte à Mme G... I... veuve Q..., M. H... Q... et M. T... Q... de ce qu'ils se désistent de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre le ministre chargé des affaires sociales et de la santé ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de Mme G... Q... et de MM. H... et T... Q..., en leur qualité d'ayants droit de K... Q..., au titre du préjudice esthétique de K... Q..., l'arrêt rendu le 17 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

Condamne le FIVA aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et le condamne à payer la somme globale de 3 000 euros à Mme G... Q... et MM. H... et T... Q..., en leur qualité d'ayants droit de K... Q....

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