mardi 24 mars 2020

Assurance construction - activité déclarée, garanties, exclusions et non-garanties diverses

Cour de cassation
chambre civile 3
Audience publique du jeudi 5 mars 2020
N° de pourvoi: 18-15.164
Non publié au bulletin Cassation partielle
M. Chauvin (président), président
SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP Ohl et Vexliard, avocat(s)




Texte intégral


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 3

CH.B



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 5 mars 2020




Cassation partielle


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 178 F-D

Pourvoi n° E 18-15.164




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 5 MARS 2020

Mme N... R..., épouse K..., domiciliée [...] , a formé le pourvoi n° E 18-15.164 contre l'arrêt rendu le 7 février 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 5), dans le litige l'opposant à la société Allianz IARD, société anonyme, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.

La société Allianz IARD a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Bech, conseiller, les observations de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de Mme R..., de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat de la société Allianz IARD, après débats en l'audience publique du 28 janvier 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Bech, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 février 2018), dans le courant de l'année 1994, Mme R... a confié à la société Opus, assurée auprès de la société AGF, devenue Allianz IARD (Allianz), la réalisation de travaux de réhabilitation et d'extension d'un immeuble.

2. Se plaignant de désordres, Mme R... a, après expertise, assigné la société Allianz en indemnisation de ses préjudices.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Énoncé du moyen

3. Mme R... fait grief à l'arrêt de limiter la condamnation de la société Allianz au titre des désordres de nature décennale entrant dans le champ de la garantie due par cette dernière, alors :

« 1°/ que la garantie de l'assureur couvre le secteur d'activité professionnelle déclaré par l'assuré, de même que les activités annexes nécessaires et en relation directe avec cette activité principale ; que, pour débouter Mme R... de l'essentiel de ses demandes, l'arrêt attaqué retient qu'il ressort des conditions particulières de la police d'assurance de responsabilité décennale souscrite le 5 mai 1994 par la société Opus que la garantie de l'assureur était limitée aux activités déclarées de « maçonnerie, béton armé, structure et travaux courants » et que, l'activité de maçon n'emportant pas celle de couvreur, les désordres affectant la toiture et ceux résultant directement des travaux réalisés en toiture n'entraient pas dans le champ de la garantie qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les désordres constatés en couverture ne résultaient pas de « travaux de maçonnerie appliqués à la toiture », en sorte que la garantie décennale de la société Allianz IARD était acquise, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1134, devenu les articles 1103 et 1104, du code civil ;


2°/ que les juges ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner les éléments de preuve qui leur sont fournis par les parties au soutien de leurs prétentions ; que, pour débouter Mme R... de l'essentiel de ses demandes, l'arrêt attaqué retient que les travaux réparatoires autres que ceux retenus par l'expert judiciaire correspondaient à des améliorations apportées à l'ouvrage ou à des prestations injustifiées, et que leur financement ne relevait donc pas de la garantie de la société Allianz IARD ; qu'en se déterminant ainsi, sans procéder à l'analyse, même sommaire, des éléments de preuve versés aux débats, en particulier le dossier technique et le devis établis le 16 mars 2009 par monsieur A..., architecte, évaluant à 176 512,10 euros HT le coût de reprise des désordres portant atteinte à la solidité de l'ouvrage ou compromettant sa destination, que Mme R... produisait pour la première fois en cause d'appel et qu'elle invoquait spécialement dans ses conclusions, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. La cour d'appel a retenu, procédant à la recherche prétendument omise sur l'activité déclarée par l'entreprise, que les désordres qui entraient dans le champ d'application de la garantie décennale due par la société Allianz étaient imputables à des malfaçons commises lors de travaux de toiture par l'entreprise sous-traitante de la société Opus, que les seules activités déclarées par celle-ci à son assureur étaient « maçonnerie, béton armé, structure et travaux courants » et que l'activité de maçon n'emportait pas celle de couvreur.

5. La cour d'appel, qui n'était pas tenue de s'expliquer sur les éléments de preuve qu'elle décidait d'écarter, en a exactement déduit que la société Allianz était fondée à opposer un refus de garantie pour tous les désordres affectant la toiture et ceux qui résultaient directement des travaux réalisés en toiture.

6. Elle a ainsi légalement justifié sa décision de ce chef.

Sur le second moyen du pourvoi principal

Énoncé du moyen

7. Mme R... fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes dirigées contre la société Allianz, prise en sa qualité d'assureur de responsabilité civile de la société Opus, alors « que les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police ; que, pour débouter Mme R... de ses demandes subsidiaires dirigées contre la société Allianz IARD, l'arrêt attaqué retient que les conditions générales de la police d'assurance de responsabilité civile souscrite le 5 mai 1994 par la société Opus stipulent une exclusion de garantie formelle et limitée aux termes de laquelle l'assureur ne garantissait pas « les dommages aux ouvrages ou travaux que [son assuré a] (vous avez) exécutés ou donnés en sous-traitance, y compris les dommages entraînant en droit français l'application des responsabilités et garanties visées aux articles 1792, 1792-2, 1792-3, 1792-4 et 1792-6 du code civil ainsi que les frais divers entraînés par ces dommages » ; qu'en jugeant valable cette exclusion de garantie cependant qu'elle avait pour effet de vider le contrat de sa substance en excluant tout sinistre contractuel en rapport avec l'activité de l'assurée, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances et l'article 1134, devenu les articles 1103 et 1104, du code civil. »

Réponse de la Cour

8. La cour d'appel a relevé que la société Opus était assurée auprès de la société Allianz au titre de sa responsabilité civile et que les conditions générales de la police d'assurance contenaient une clause selon laquelle l'assureur ne garantissait pas « les dommages aux ouvrages ou travaux que (l'assuré a) exécutés ou donnés en sous-traitance [...] ainsi que les frais divers entraînés par ces dommages ».

9. Elle en a exactement déduit que cette clause, qui laissait dans le champ de la garantie les dommages causés aux tiers, était formelle et limitée.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen unique, pris en sa première branche, du pourvoi incident

Énoncé du moyen

11. La société Allianz fait grief à l'arrêt de la condamner, en sa double qualité d'assureur de responsabilité civile et de responsabilité décennale de la société Opus, à payer à Mme R... une certaine somme en réparation de son trouble de jouissance, alors « que l'assurance obligatoire de la responsabilité du constructeur, qui garantit le paiement des travaux de réparation de l'ouvrage à la réalisation duquel l'assuré a contribué, ne s'étend pas, sauf stipulations contraires, aux dommages immatériels ; qu'en l'espèce, la société Allianz produisait les conditions particulières, signées par la société Opus, et faisait valoir qu'il résultait de ce document que seules les garanties B, C et D avaient été souscrites, à savoir les garanties intitulées « responsabilité civile », « protection pénale et recours » et « responsabilité décennale », et non la garantie E, dénommée « garanties complémentaires à la responsabilité décennale », qui couvrait notamment les dommages immatériels consécutifs ; qu'en condamnant cependant la société Allianz à payer la somme de 6 000 euros à Mme R... « à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice de jouissance » (arrêt, p. 9 § 6), sans rechercher s'il résultait des conditions particulières, signées par les parties, versées aux débats, que seules les garanties B, C et D avaient été souscrites par la société Opus, et non la garantie complémentaire E relative notamment aux dommages immatériels consécutifs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 241-1 et A. 243-1 du code des assurances et de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 241-1 et A. 243-1, dans sa rédaction applicable à la cause, du code des assurances :

12. Pour condamner la société Allianz à payer à Mme R... la somme de 6 000 euros au titre du trouble de jouissance, l'arrêt retient que cette société doit indemniser ce chef de préjudice résultant des désordres dont la réparation lui incombe au titre de l'assurance de responsabilité obligatoire.

13. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les dommages immatériels étaient couverts par la police, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen unique du pourvoi incident, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Allianz IARD à payer à Mme R... la somme de 6 000 euros en réparation de son préjudice de jouissance, l'arrêt rendu le 7 février 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

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