mardi 7 juillet 2020

Prescription "glissante" : point de départ; perte de chance

Cour de cassation
chambre civile 3
Audience publique du jeudi 25 juin 2020
N° de pourvoi: 19-13.553
Non publié au bulletinRejet

M. Chauvin (président), président
Me Le Prado, SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, SCP Richard, avocat(s)



Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 25 juin 2020




Rejet


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 370 F-D

Pourvoi n° Z 19-13.553




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 25 JUIN 2020

1°/ M. Q... O...,

2°/ Mme H... V..., épouse O...,

domiciliés tous deux [...],

ont formé le pourvoi n° Z 19-13.553 contre l'arrêt rendu le 10 janvier 2019 par la cour d'appel de Bordeaux (2e chambre civile), dans le litige les opposant :

1°/ à la société Maisons Côte Atlantique, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,

2°/ à la société Crédit foncier de France, société anonyme, dont le siège est [...] ,

3°/ à la société CAMCA assurances, société anonyme, dont le siège est [...] ),

4°/ à la société Compagnie européenne de garanties et cautions, société anonyme, dont le siège est [...] ,

défenderesses à la cassation.

La société Crédit foncier de France a formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;

Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, les sept moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Nivôse, conseiller, les observations de la SCP Richard, avocat de M. et Mme O..., de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Maisons Côte Atlantique, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Crédit foncier de France, de Me Le Prado, avocat de la société CAMCA assurances, de la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Compagnie européenne de garanties et cautions, après débats en l'audience publique du 12 mai 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Nivôse, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Crédit foncier de France (le CFF) du désistement de son pourvoi incident.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 10 janvier 2019), M. et Mme O... ont procédé à plusieurs investissements locatifs par l'intermédiaire de M. A..., gérant des sociétés PGL et PLS.

3. M. et Mme O... ont conclu un contrat de construction de maison individuelle (CCMI) avec la société Maison Côte Atlantique (la société MCA), assurée auprès de la société CAMCA, prévoyant des travaux restant à la charge du maître d'ouvrage pour 40 000 euros.

4. L'opération immobilière a été financée par un prêt souscrit auprès du CFF et la garantie légale de livraison a été accordée par la société Compagnie européenne de garanties et cautions (la CEGC).

5. La réception est intervenue sans réserve au nom des maîtres d'ouvrage par M. A... le 23 juillet 2009.

6. M. et Mme O... ont confié certains des travaux réservés à la société Sicaud, qui a été payée.

7. La maison a été donnée à bail par la société PLS pour le compte de M. et Mme O... à compter du 2 novembre 2009.

8. Invoquant divers désordres affectant leur immeuble, M. et Mme O... ont, après expertise, assigné les sociétés MCA, CAMCA, Sicaud, CEGC et CFF en indemnisation de leurs préjudices.

Examen des moyens

Sur les premier, deuxième, troisième et sixième moyens, ci-après annexés

9. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

10. M. et Mme O... font grief à l'arrêt de juger prescrite leur demande tendant à voir condamner le CFF à leur payer la somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à son devoir de mise en garde, alors « que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que le point de départ de l'action en responsabilité contractuelle dirigée contre un établissement bancaire à raison d'un manquement à son devoir de mise en garde court à compter du jour où s'est manifesté le dommage qui en est résulté pour le client ; que la conclusion du prêt ne saurait, à elle seule, révéler le dommage à la victime ; qu'en se bornant à énoncer, pour juger que l'action en responsabilité du CFF pour manquement à son devoir de conseil était prescrite, pour avoir été introduite plus de cinq ans après la conclusion du prêt, que M. et Mme O... connaissaient à cette date leurs revenus et les charges de remboursement qu'allait entraîner l'emprunt et qu'ils se trouvaient à même d'apprécier la manière dont le prêteur avait exercé son
obligation de conseil, dès lors qu'ils indiquaient n'avoir été reçus par aucun
représentant de la banque, sans rechercher à quelle date le dommage, consistant en la perte d'une chance de ne pas contracter, s'était effectivement révélé à M. et Mme O..., emprunteurs non avertis, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

11. La cour d'appel a retenu, procédant à la recherche prétendument omise, que, lors de la signature de l'acte authentique de prêt, M. et Mme O... connaissaient leurs revenus et les charges de remboursement qu'allait entraîner l'emprunt et se trouvaient ainsi à même d'apprécier la manière dont le prêteur avait exercé son obligation de conseil puisqu'ils indiquaient n'avoir jamais été reçus par aucun représentant de la banque qui n'avait même jamais pris contact avec eux.

12. La cour d'appel a ainsi légalement justifié sa décision.

Sur le cinquième moyen

Enoncé du moyen

13. M. et Mme O... font grief à l'arrêt de juger prescrite leur demande tendant à voir condamner le CFF à leur payer la somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement aux dispositions de l'article L. 231-10 du code de la construction et de l'habitation, alors « que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que le point de départ de l'action en responsabilité contractuelle dirigée à l'encontre d'un établissement bancaire à raison d'un manquement à son devoir de contrôle, préalablement à l'émission d'une offre de prêt, de ce que le contrat de construction de maison individuelle avec fourniture du plan comporte les énonciations mentionnées à l'article L 231-2 du Code de la construction et de l'habitation, court à compter du jour où s'est manifesté le dommage qui en est résulté pour le maître de l'ouvrage ; que la conclusion du contrat de construction de maison individuelle ne saurait, à elle seule, révéler le dommage à la victime ; qu'en se bornant à énoncer, pour juger que l'action en responsabilité du CFF était prescrite, pour avoir été introduite plus de cinq ans après la conclusion du contrat de construction de maison individuelle, que cette action en responsabilité, fondée sur l'absence de contrôle de la régularité dudit contrat, se manifestait à la date de sa signature, sans rechercher à quelle date le dommage s'était effectivement révélé à M. et Mme O..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 231-10 du code de la construction et de l'habitation, ensemble les articles 1147, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

14. La cour d'appel a retenu, procédant à la recherche prétendument omise, que le défaut de contrôle de la régularité du contrat de construction de maison individuelle imputé au CFF sur le fondement des dispositions de l'article L. 231-10 du code de la construction et de l'habitation se manifestait par définition à la signature du contrat et que les maîtres de l'ouvrage étaient donc en mesure de le constater à cette date.

15. Elle a pu en déduire que l'action fondée sur ce défaut de contrôle de la régularité du contrat était prescrite pour avoir été formée plus de cinq ans après la conclusion de l'acte de prêt,

16. La cour d'appel a ainsi légalement justifié sa décision.

Sur le septième moyen

Enoncé du moyen

17. M. et Mme O... font grief à l'arrêt de condamner le CFF à leur payer la seule somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de leur perte de chance de ne pas investir dans le projet immobilier, alors :

« 1°/ que le préjudice résultant de la violation d'une obligation de conseil ou d'information est constitué par une perte de chance d'éviter le dommage par une décision mieux éclairée et ne saurait présenter un caractère forfaitaire ; qu'il incombe seulement à la victime de préciser à quel montant elle évalue ses différents préjudices, l'office du juge consistant alors à en apprécier le bien-fondé et à déterminer la fraction de ces préjudices correspondant à la perte de chance de les éviter ; qu'en fixant le montant de l'indemnisation de M. et Mme O... à la somme de 5 000 euros, sans avoir préalablement déterminé l'étendue de leur préjudice global et la fraction de ce préjudice qui correspondait à leur perte de chance, consécutive à la violation par le CFF de son obligation de contrôle et d'enregistrement de la société ECI, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

2°/ qu'en se bornant à énoncer, pour décider que la perte d'une chance de M. et Mme O... de ne pas souscrire à l'opération de [...] était très faible, qu'ils avaient accepté cinq autres projets similaires, sans rechercher, comme elle y était invitée, s'il était peu probable, au regard notamment de leur endettement, qu'ils obtiennent un financement bancaire sans l'intermédiation de la Société ECI, qui ne disposait pas des agréments nécessaires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

18. La cour d'appel a rappelé qu'il appartenait au juge d'apprécier l'importance de la perte de chance subie.

19. La cour d'appel a souverainement retenu qu'à l'époque des faits M. et Mme O... accordaient une telle confiance à M. A..., initiateur du projet, qu'ils avaient simultanément accepté cinq autres projets similaires financés avec cinq autres banques et que, dès lors, il pouvait être considéré que, s'ils avaient bénéficié d'une meilleure information et d'un délai de rétractation de quatorze jours, la probabilité d'une renonciation à l'opération immobilière aurait été néanmoins très faible.

20. La cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, en a souverainement déduit que la perte de chance, quoique certaine, apparaissait très limitée et qu'elle disposait des éléments suffisants pour l'évaluer à la somme de 5 000 euros.

21. La cour d'appel a ainsi légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

Condamne M. et Mme O... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

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