chambre civile 3
Audience publique du jeudi 9 juillet 2020
N° de pourvoi: 18-23.786Non publié au bulletinRejet
M. Chauvin (président), président
SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Gadiou et Chevallier, SCP Jean-Philippe Caston, SCP de Nervo et Poupet, avocat(s)
Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
CIV. 3
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 juillet 2020
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 411 F-D
Pourvoi n° B 18-23.786
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 JUILLET 2020
1°/ M. V... J..., domicilié [...] ,
2°/ la société Wipfoncia, société civile immobilière, dont le siège est [...] ,
ont formé le pourvoi n° B 18-23.786 contre l'arrêt rendu le 5 septembre 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 2), dans le litige les opposant :
1°/ à M. Q... G..., domicilié [...] ,
2°/ à la Caisse nationale de garantie des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires, dont le siège est [...] ,
3°/ à la société L'Européenne d'assurance (CEA), dont le siège est [...] , représentée par la société Amlin France, en qualité d'assureur de la société Loft,
4°/ à la commune de Saint-Germain-sur-Morin, représentée par son maire en exercice, domicilié [...] ,
5°/ à la société Moulin Arnould, société civile immobilière, dont le siège est [...] ,
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dagneaux, conseiller, les observations de la SCP de Nervo et Poupet, avocat de M. J... et de la société Wipfoncia, de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. G... et de la Caisse nationale de garantie des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires, de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de la société Moulin Arnould, de la SCP Jean-Philippe Caston, avocat de la commune de Saint-Germain-sur-Morin, après débats en l'audience publique du 19 mai 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Dagneaux, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 septembre 2018), la société civile immobilière Wipfoncia est propriétaire et M. J..., son gérant, locataire, d'un immeuble dénommé [...], situé au [...] , en amont de deux anciens moulins dénommés moulin de Misère et moulin Arnould, le premier, situé en rive gauche, appartenant à la commune de Saint-Germain-sur-Morin, et le second, situé en rive droite, à la société Loft, placée en liquidation judiciaire.
2. La société Wipfoncia, ayant constaté des désordres sur les bâtiments de son immeuble et se prévalant d'un rapport d'expertise judiciaire en ayant attribué l'origine au mauvais fonctionnement du déversoir régulant le niveau du cours d'eau et dépendant du moulin de Misère et du moulin Arnould, a assigné M. G..., mandataire judiciaire, la Caisse nationale de garantie des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires, la société l'Européenne d'assurance, assureur de la société Loft, la commune de Saint-Germain-sur-Morin, ainsi que la société civile immobilière Moulin Arnould, précédent propriétaire des moulins dits de Misère et Arnould.
Examen des moyens
Sur le premier moyen et le deuxième moyen, pris en leur première branche, ci-après annexés
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
4. La société Wipfoncia et M. J... font grief à l'arrêt de rejeter leur action en responsabilité dirigée contre la société Loft, la commune de Saint-Germain-sur-Morin et la société Moulin Arnoult, alors :
« 1°/ que les ouvrages hydrauliques unis à un moulin dont le propriétaire bénéficie d'un droit d'eau, sont propriété de celui-ci par accession de sorte qu'il est responsable des dommages causés par le défaut d'entretien de l'ouvrage ; qu'un droit d'eau est réputé établi lorsque ce moulin bénéficiaire d'une prise d'eau a fait l'objet d'une vente comme bien national ; que la cour d'appel qui a énoncé que l'acte de vente du 6 mars 1792 pouvant porter sur un bien national n'avait pas conféré de droit d'eau à son propriétaire dès lors que la construction du Moulin Misère n'avait été autorisée que par une délibération du département du 30 avril 1792, sans rechercher comme cela lui était demandé s'il ne résultait pas de l' acte intitulé « attestation d'achat de terres le 6 mars 1792 à Saint-Germain-sur-Morin pour construction d'un moulin et autorisation du 30 avril 1792 du département pour construire ce moulin » que la vente de ce bien n'avait pas été faite pour la construction du moulin et si en conséquence, il n'emportait pas le droit de prise d'eau, n'a pas justifié sa décision au regard de l'article L. 3111-2 du code général des personnes publiques et des articles 546 du code civil et 1386 devenu 1244 du code civil ;
2°/ qu'en application des dispositions du dernier alinéa de l'article 18 de la loi du 16 octobre 1919 relative à l'énergie hydroélectrique, aujourd'hui codifiées à l'article L. 511-9 du code de l'énergie, les installations hydrauliques autorisées à la date du 18 octobre 1919 et dont la puissance ne dépasse pas 150KW demeurent ; qu'un droit d'eau accordé par autorisation administrative n'ayant pas fait l'objet d'un retrait ou d'une abrogation est fondé sur un titre ; que la cour d'appel qui a considéré que le droit d'eau du Moulin Misère ne reposait sur aucun titre, sans rechercher comme cela lui était demandé si la délibération du 30 avril 1792 du département de Seine et Marne autorisant l'acquéreur du bien vendu par l'abbaye Pont-aux-Dames à construire le moulin Misère n'avait pas rendu les propriétaires successifs du moulin titulaires d'un droit d'eau, n'a pas justifié sa décision au regard de l'article L. 511-9 du code de l'énergie et des articles 546 du code civil et l'article 1244 nouveau du même code (ancien article 1386). »
Réponse de la Cour
5. La propriété d'un ouvrage implanté sur le lit d'un cours d'eau dépendant du domaine public fluvial ne peut être fondée, conformément à l'article L. 3111-2 du code général de la propriété publique, que sur des droits régulièrement accordés avant l'édit de Moulins de février 1566 et des ventes légalement consommées de biens nationaux.
6. La cour d'appel a retenu que le déversoir litigieux était implanté dans le lit d'un cours d'eau domanial et que le fonds appartenant à la commune de Saint-Germain-sur-Morin, qui provenait de la vente d'un bien national, ne comportait aucun moulin lors de cette vente, antérieure à l'autorisation d'édification du moulin de Misère, accordée par délibération départementale du 30 avril 1792.
7. La cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, a ainsi légalement justifié sa décision.
Sur le premier moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches
Enoncé du moyen
8. La société Wipfoncia et M. J... font le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ qu'un droit d'eau est réputé établi lorsque ce moulin bénéficiaire d'une prise d'eau a fait l'objet d'une vente comme bien national et la circonstance que les ouvrages hydrauliques n'aient pas été utilisés en tant que tels au cours d'une longue période ou le délabrement du bâtiment auquel le droit de prise d'eau est attaché ou son changement d'affectation ne sont de nature à eux seuls à remettre en cause le droit de prise d'eau ; que la cour d'appel qui a considéré que le changement d'affectation et la disparition du moulin Arnould qui avait été cédé dans le cadre de la vente de biens nationaux avait fait perdre le droit d'usage de l'eau et donc les obligations d'entretien de l'ouvrage hydraulique, a violé l'article L. 3111-2 du code général de la propriété des personnes publiques ;
2°/ que la charge de la preuve du changement d'affectation ou de ruine des éléments essentiels de l'ouvrage ayant fait perdre le droit d'eau pèse sur celui qui conteste ce droit ; que la cour d'appel a fait peser la charge de la preuve sur les exposants a violé l'article 1315 ancien du code civil devenu l'article 1353 du même code. »
Réponse de la Cour
9. La cour d'appel a retenu, à bon droit, que, si un droit d'eau fondé en titre ne se perd pas par le non-usage, il disparaît lorsque la force motrice du cours d'eau n'est plus susceptible d'être utilisée par son détenteur, du fait de la ruine ou du changement d'affectation des ouvrages essentiels destinés à utiliser la pente et le volume de ce cours d'eau.
10. Elle a constaté que les biens acquis par la société Moulin Arnould comprenaient un ancien moulin, dénommé moulin Arnould, dont la construction, antérieure à l'édit de Moulins, avait été entièrement remaniée et aménagée en bureaux, de sorte que l'ouvrage essentiel à l'exploitation de l'eau avait changé de destination.
11. La cour d'appel, qui n'a pas inversé la charge de la preuve, en a exactement déduit que le droit fondé en titre, attaché au moulin Arnould, n'existait plus lors de l'acquisition de la société Moulin Arnould.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
13. La société Wipfoncia et M. J... font grief à l'arrêt de rejeter leur action en responsabilité dirigée contre la société Loft, la commune de Saint-Germain-sur-Morin et la société Moulin Arnoult, leur demande de remise en état du déversoir en ruine et du Moulin de la société Wipfoncia, et leur demande de dommages intérêts, alors :
« 1°/ que la responsabilité du propriétaire d'un fonds est engagée lorsqu'il a commis un manquement ayant une incidence sur le mode d'écoulement des eaux d'une rivière, contribuant ainsi à la réalisation des dommages subis par le propriétaire d'un autre fonds ; que la cour d'appel qui a retenu que les exposants ne démontaient pas que l'état du déversoir était la cause exclusive et directe de leurs dommages sans s'expliquer comme cela lui était demandé sur le fait que les propres travaux des exposants sur le déversoir de leur moulin avait permis de réguler le débit de l'eau en amont et sur les conclusions de l'expert constant que les désordres allégués, étaient dus au mauvais fonctionnement de l'ouvrage régulateur situé en aval au niveau des terrains de la SAS Loft et de la commune de Saint-Germain-sur-Morin, ce qui impliquait que le mauvais état du déversoir avait contribué à la réalisation du dommage, n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 1386 ancien du code civil devenu l'article 1244 du même code ;
2°/ qu'il appartient aux juges du fond d'expliquer en quoi le lien de causalité entre le manquement invoqué et le dommage invoqué est inexistant ; que la cour d'appel qui a décidé que les exposants ne démontraient pas que l'état du déversoir litigieux était la cause directe et exclusive du dommage la baisse du niveau du Grand Morin s'inscrivant dans une baisse plus générale du niveau du cours d'eau et de celui de la nappe du tertiaire dans la région concernait au motif qu'il résultait de l'étude de l'IAURIF de septembre 1994 que le Grand Morin était sujet à des crues violentes et subites, la Cour d'appel s'est prononcée par des motifs impropres à justifier l'absence de lien de causalité entre les dommages allégués et le dysfonctionnement du déversoir litigieux et n'a pas justifié sa décision au regard des articles 1244 nouveau du code civil (1386 ancien du même code). »
Réponse de la Cour
14. Ayant retenu que le déversoir litigieux n'avait pas appartenu à la société Moulin Arnould, ce dont il se déduit que celle-ci, ainsi que la commune de Saint-Germain-sur-Morin et la société Loft, ses ayants droit, ne pouvaient être responsables des conséquences de la ruine du déversoir litigieux par suite d'un défaut d'entretien, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
15. La société Wipfoncia et M. J... font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes dirigées contre M. G..., alors « que les mandataires de justice engagent leur responsabilité à l'égard des tiers lorsqu'ils ont commis des fautes ou négligences dans l'exécution de leur mandat et qu'ils ainsi fait subir un préjudice à ces tiers ; que dans leurs conclusions d'appel, les exposants ont fait valoir que Maître G... avait commis une faute en ne faisant pas diligence pendant deux ans pour la régularisation de l'acte de vente au profit de la SAS Loft qui comportait l'obligation du repreneur de prendre en charge les travaux de réfection de l'ouvrage hydraulique, négligence qui avait entraîné la caducité du permis de construire, rendant quasiment impossible la vente du terrain devenu inconstructible ; que la cour d'appel qui a considéré que Maître G... n'avait fait preuve d'aucune négligence dès lors qu'entre le 3 mai 2010 et le 29 février 2012, il n'avait aucun motif pour exiger le paiement du prix en raison de l'expertise en cours, mais sans s'expliquer sur les conséquences de l'absence de régularisation de la vente impliquant l'obligation de remise en état du déversoir, à l'égard des exposants, n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 1382 du code civil ancien devenu 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
16. La cour d'appel a relevé que l'expertise judiciaire, portant notamment sur les travaux de remise en état du déversoir, était en cours lorsque l'ordonnance du juge commissaire ayant ordonné la vente du fonds de la société Loft était passée en force de chose jugée et que M. G... avait appelé à l'instance la société Hélios Promotion qui s'était portée acquéreur en s'engageant à effectuer les travaux de remise en état du déversoir.
17. La cour d'appel, qui a pu retenir que cet engagement, résultant d'une négociation, n'emportait pas reconnaissance d'un droit immobilier sur cet ouvrage et que M. G..., qui n'avait pas de motif particulier de poursuivre sans délai la réalisation de cette vente, ne pouvait être tenu des propres errements de la société Hélios Promotion, a légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Wipfoncia et M. J... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes.
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