mercredi 20 octobre 2021

Expertise et principe de contradiction

 Note R. Schulz, RGDA 2021-11, p. 51.

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 14 octobre 2021




Rejet


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 960 F-D

Pourvoi n° K 20-14.395








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 OCTOBRE 2021


1°/ la société Axis Specialty Europe SE, dont le siège est [Adresse 3] (Irlande), venant aux droits de la société Aviabel,

2°/ la société Aero delta, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° K 20-14.395 contre l'arrêt rendu le 14 janvier 2020 par la cour d'appel de Montpellier (5e chambre civile), dans le litige les opposant à la société Réseau de transport d'électricité, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Pradel, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat des sociétés Axis Specialty Europe SE et Aero delta, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Réseau de transport d'électricité, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 septembre 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Pradel, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 14 janvier 2020), le 4 octobre 2012, un avion de la société Aero delta, qui effectuait des travaux d'épandage agricole, s'est écrasé sur la ligne électrique 63 KV Aigues-Mortes-Saint-Christol alimentant le poste source de la ville d'Aigues-Mortes dont le gestionnaire est la société Réseau de transport d'électricité (RTE). Après expertise, la société RTE a assigné la société Aero delta et son assureur, la société Aviabel, en indemnisation de ses préjudices.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. La société Axis Specialty Europe SE (la société Axis), venant aux droits de la société Aviabel, et la société Aero delta, font grief à l'arrêt d'homologuer le rapport d'expertise judiciaire et de les condamner à payer à la société RTE diverses sommes, alors « que le respect du contradictoire impose qu'avant de déposer son rapport, l'expert fixe un délai aux parties pour répondre à un dire, complété de l'envoi de nouvelles pièces, qui lui a été adressé par l'une d'elle ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations de l'arrêt qu'après l'envoi d'un dire de la société RTE, accompagné de nouvelles pièces le 30 septembre 2015, l'expert a déposé son rapport le 25 octobre 2015 sans avoir au préalable fixé de délai aux autres parties pour y répondre ni indiqué le délai dans lequel il déposerait son rapport ; que les sociétés Aero delta et Axis n'ont pas été mises à même de discuter en temps utile, avant dépôt du rapport de ces nouvelles productions, prises en compte par l'expert ; qu'en refusant néanmoins d'annuler le rapport d'expertise, l'arrêt attaqué a violé les articles 16 et 276 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. L'arrêt constate qu'à la suite des dires de la société Aero delta en date du 27 août 2015, l'expert a accordé un délai supplémentaire jusqu'au 30 septembre 2015 à la société RTE pour y répondre, ce que la société RTE a fait dans un dire du 25 septembre 2015 complété par l'envoi de pièces le 30 septembre 2015.

5. L'arrêt retient, par motifs propres, qu'il n'est pas contesté par la société Aero delta, comme cela ressort de ses écritures, que son conseil a bien été destinataire le 30 septembre 2015 du message électronique avec les pièces envoyées à l'expert le même jour, mais qu'il a échappé à ce dernier, qui le reconnaît, et que la société Aero delta n'a pas sollicité de l'expert un délai supplémentaire pour répondre comme elle pouvait le faire.

6. L'arrêt ajoute que les appelantes ne précisent pas les observations qu'elles ont été privées de donner, ni en quoi il était pertinent que l'expert tienne une nouvelle réunion d'expertise.

7. L'arrêt relève, par motifs adoptés, que le rapport d'expertise déposé le 26 octobre 2015 découle directement de plusieurs réunions et échanges contradictoires entre les parties et que l'expert a pris en compte toutes observations des parties.

8. De ces constatations et énonciations relevant de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de faits et de preuve produits devant elle, la cour d'appel, qui a fait ressortir qu'un délai suffisant avait été ménagé aux parties entre la date à laquelle l'avocat de la société Aero delta avait été informé du dire et celle du dépôt du rapport d'expertise et a relevé que la société n'avait pas sollicité de délai supplémentaire, a pu décider que l'expert avait respecté le principe de la contradiction.

9. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Et sur le second moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

10. La société Axis, venant aux droits de la société Aviabel, et la société Aero delta, font grief à l'arrêt de dire qu'il n'y avait pas lieu de faire injonction à la société RTE de communiquer le règlement MC1, de les débouter de l'ensemble de leurs demandes, d'homologuer le rapport d'expertise judiciaire et de les condamner in solidum à payer à la société RTE une certaine somme, alors « que le principe de la réparation intégrale impose de réparer le dommage sans perte ni profit pour la victime ; qu'en condamnant la société Axis à payer l'intégralité du coût de remplacement des poteaux et câbles endommagés par l'accident sans rechercher, comme elle y était invitée, si indépendamment de la survenance de l'accident, la société RTE n'allait pas procéder au remplacement des pylônes et câblages vétustes, qui était programmé, afin de se conformer à la nouvelle réglementation en vigueur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 devenu 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

11. Ayant exactement retenu qu'en sa qualité de victime d'une faute délictuelle, la société RTE avait droit à la réparation intégrale de son préjudice par le remboursement des frais de remise en état des installations ou par le paiement d'une somme d'argent représentant la valeur de leur remplacement sans qu'il n'y ait lieu de limiter l'indemnisation du sinistre à la valeur vénale de la portion de ligne endommagée, c'est sans encourir les griefs du moyen que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche que ses énonciations rendaient inopérante, a statué comme elle l'a fait.

12. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne les sociétés Axis Specialty Europe SE et Aero delta aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Axis Specialty Europe SE et Aero delta et les condamne à payer à la société Réseau de transport d'électricité la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze octobre deux mille vingt et un. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour les sociétés Axis Specialty Europe SE et Aero delta

PREMIER MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR, par confirmation du jugement de première instance, homologué le rapport d'expertise judiciaire et condamné in solidum la Sarl Aero Delta et la société Aviabel à payer à la société RTE diverses sommes ;

AUX MOTIFS QUE « si l'expert tenu de respecter le principe du contradictoire doit prendre en considération les dires et observations qui lui sont adressés par les parties, doit y répondre et doit accorder aux parties un délai pour répondre au dire de l'autre il n'appartient pas à l'expert de vérifier que l'une des parties a bien reçu les pièces de l'autre partie ni de l'interroger pour savoir si elle entend faire des observations à son tour.

Par ailleurs il sera rappelé que l'inobservation des formalités prescrites par l'article 276 du code de procédure civile n'entraîne la nullité de l'expertise qu'à charge pour la partie qui l'invoque de prouver le grief que lui a causé cette irrégularité.

Or en l'espèce il n'est pas contesté par AERO DELTA comme cela ressort de ses écritures que son conseil a bien été destinataire le 30 septembre 2015 du mail avec les pièces envoyées à l'expert le même jour mais qu'il a échappé à ce dernier qui le reconnaît.

AERO DELTA n'a pas sollicité de l'expert un délai supplémentaire pour répondre comme elle pouvait le faire.

Par conséquent il n'est pas démontré en quoi l'expert n'aurait pas respecté le principe du contradictoire en déposant son rapport le 25 octobre 2015 sans avoir reçu de dire d'AERO DELTA en réponse au dernier dire de RTE et les appelantes ne démontrent pas plus en quoi cela leur a causé un préjudice pas plus qu'elles ne précisent les observations qu'elles ont été privées de donner ni en quoi il était pertinent que l'expert tienne une nouvelle réunion d'expertise. » ;

ALORS QUE le respect du contradictoire impose qu'avant de déposer son rapport l'expert fixe un délai aux parties pour répondre à un dire, complété de l'envoi de nouvelles pièces, qui lui a été adressé par l'une d'elle ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations de l'arrêt qu'après l'envoi d'un dire de la société RTE, accompagné de nouvelles pièces le 30 septembre 2015 l'expert a déposé son rapport le 25 octobre 2015 sans avoir au préalable fixé de délai aux autres parties pour y répondre ni indiqué le délai dans lequel il déposerait son rapport ; que les sociétés Aero Delta et Axis n'ont pas été mises à même de discuter en temps utile, avant dépôt du rapport de ces nouvelles productions, prises en compte par l'expert ; qu'en refusant néanmoins d'annuler le rapport d'expertise l'arrêt attaqué a violé les articles 16 et 276 du code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit qu'il n'y avait pas lieu de faire injonction à la société RTE de communiquer le règlement MC1 et débouté les sociétés Aero Delta et Aviabel de l'ensemble de leurs demandes, et d'AVOIR homologué le rapport d'expertise judiciaire et condamné in solidum les sociétés Aero Delta et Aviabel à payer à la société RTE la somme de 925 026,22 euros, sauf à déduire la provision allouée de 500 000 euros ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE « la SARL AERO DELTA et son assureur soulèvent également la nullité du rapport d'expertise et à tout le moins le fait que le rapport d'expertise ne saurait établir le préjudice supporte par RTE au motif que l'expert n'aurait pas respecté les dispositions des articles 237 et 238 du code de procédure civile. Ils reprochent tout d'abord à ce dernier de ne pas avoir sollicité certaines pièces relatives à la construction et à l'entretien de la ligne électrique de RTE et de s'être contenté des explications fournies par ce dernier. Ils invoquent en particulier le fait que la ligne a été construite en 1964 selon les règles AT de 1960 et le fait que des travaux de remplacement des pylônes 7, 8 et 68 étaient en cours au moment de l'accident et que l'expert aurait dû demander a RTE de justifier de ce que le remplacement de ces pylônes avait pour objectif la mise en conformité géométrique des portées 6-7, 7-8, 67-68 et 68-69 ainsi que la sécurisation de la traversée de la route départementale n° 62 comme l'impose les règles de l'AT 2001 et non raison de la vétusté.

Toutefois il ressort tout d'abord de la lecture du rapport d'expertise et de ses annexes que l'arrêté de 2001 (pièce 9 du rapport) ainsi que la note descriptive du remplacement des poteaux 7 et 8 ont été communiqués à l'expert. Par ailleurs au vu de l'ensemble des éléments qui lui étaient produits et notamment le procès-verbal de constat d'huissier du 4 octobre 2012, le rapport technique de RTE du 26 octobre 2012, les notes de synthèse du cabinet RC1E dans le cadre de l'expertise amiable et contradictoire, l'expert a conclu que seuls les poteaux 7 et 8 avaient été remplacés avant l'accident dans le cadre d'une politique de sécurité interne et non d'une obligation réglementaire et que par ailleurs les poteaux 7 et 8 n'ont pas été pris en compte dans le chiffrage des travaux suite au sinistre.

Dans le cadre de l'expertise la SARL AERO DELTA et son assureur n'ont sollicité la communication d'aucune pièce et n'ont pas saisi le juge en charge du contrôle des expertises de cette éventuelle difficulté comme elles pouvaient le faire se contentant d'arguer que si le rapport n'avait pas été déposé le 25 octobre 2015 elles auraient pu saisir le juge de cette difficulté sans démontrer ce qui les aurait empêchés de le faire avant.

Par ailleurs les appelantes s'interrogent sur l'état d'entretien de la ligne par RTE, mais ne produisent aucun début de preuve d'une vétusté de la ligne.

La SARL AERO DELTA et son assureur reprochent aussi à l'expert de ne pas s'être rendu sur les lieux du sinistre. S'il est effet constant que l'expert contrairement à l'un des chefs de sa mission ne s'est pas rendu sur les lieux il ressort des éléments acquis au débat que :
- lorsque l'expert a été désigné les travaux avaient déjà été effectués depuis au moins janvier 2013,
- il n'est pas contesté que la ligne endommagée alimentant en particulier la ville d'[Localité 1] il était légitime de réaliser rapidement les travaux,
- un procès-verbal de constat d'huissier a été établi le 4 octobre 2012 jour de l'accident,
- une expertise amiable contradictoire a eu lieu dès le 15 octobre 2012 entre RTE et AERO DELTA en présence d'un expert pour chacune des parties,
- l'expert judiciaire a pu examiner certains des poteaux d'origine.

En outre le conseil de AERO DELTA lors de l'expertise a indiqué donner rapidement la position de sa cliente sur l'intérêt d'une visite sur les lieux du sinistre, mais n'a par la suite formulé aucune demande expresse. Les appelantes se contentent aujourd'hui sur ce point d'affirmer que si l'expert leur en avait donné le temps elles auraient effectué cette demande. Enfin les appelantes n'exposent pas en quoi le fait que l'expert ne se soit pas rendu sur les lieux du sinistre ne lui aurait pas permis d'accomplir sa mission ni en quoi cela leur a causé un grief sauf invoquer des considérations générales. Par conséquent il ressort de l'ensemble de ces éléments qu'il n'est pas démontré en quoi l'expert en ne se rendant pas sur les lieux du sinistre a enfreint les dispositions du code de procédure civile.

La SARL AERO DELTA et son assureur reprochent également l'expert de ne pas avoir répondu à la question de savoir si l'installation après les travaux est conforme à l'arrêté de 2001. Il ressort cependant de la lecture du rapport d'expertise que l'expert a répondu à cette question en effet il expose clairement au vu des pièces qui lui ont été fournies par RTE que la ligne a été construite en 1964 suivant l'AT de 1960. Il ajoute que suite à la tempête de 1999 de nouvelles règles ont été définies et ont fait l'objet de l'AT de 2001. Pour autant au cas d'espèce la réfection de ligne de la portion endommagée a été faite à l'identique suivant les règles de l'AT 1960 a la seule exception de la matière des pylônes puisque les pylônes alvéolaires ont été remplacés par des pylônes précontraints dans la mesure où les premiers ne se font plus. Les appelantes discutent longuement sur le fait qu'il ne parait pas logique et rationnel que RTE ait procédé à une reconstruction à l'identique c'est-à-dire selon l'AT 1960 alors que l'AT 2001 est désormais applicable, mais il s'agit la d'une simple hypothèse de leur part et d'affirmations qui ne sont étayées par aucun commencement de preuve. Par conséquent l'expert a bien donné son avis sur ce point de sa mission.

Les appelantes reprochent enfin à l'expert de ne pas avoir répondu au chef de sa mission relatif à la plus-value apportée à l'installation RTE en raison de sa reconstruction. En premier elles opposent que l'expert a appliqué d'autorité le principe invoqué par RTE selon lequel la victime doit être indemnisée non sur la base de la valeur vénale de la chose détruite, mais sur celle de remplacement sans plus se préoccuper si une ligne neuve a plus de valeur qu'une ligne usagée, alors que ce n'est pas à l'expert, mais au juge d'apprécier les critères qui doivent être pris en compte pour l'indemnisation de la victime. Toutefois il apparaît à la stricte lecture du rapport d'expertise que même si c'est de façon synthétique l'expert a répondu au chef de mission relatif à la plus-value en indiquant qu'il considérait qu'il n'y avait pas de plus-value apportée à l'installation en raison de la réfection partielle à l'identique de la ligne d'origine à l'exception de la composition des pylônes évoquée précédemment, avis que la SARL AERO DELTA et son assureur sont en droit de critiquer. À aucun moment l'expert n'a écrit qu'il appliquait le principe selon lequel la victime doit être indemnisée sur la base de la valeur de remplacement et non sur la base de la valeur vénale et il n'a porté aucune appréciation juridique sur la nature du droit à réparation de la victime et sur les principes d'évaluation de cette réparation. Concernant le manque d'investigations de l'expert sur la question de l'éventuelle plus-value la SARL AERO DELTA et son assureur reprennent des arguments déjà évoqués à savoir que l'on comprend mal pourquoi la ligne n'aurait pas été reconstruite selon la nouvelle réglementation AT 2001 et les allégations selon lesquelles la ligne d'origine était vétuste et mal entretenue au motif notamment que le remplacement de trois poteaux était en cours au moment du sinistre. Or il a déjà été observé que les appelantes n'ont dans le cadre de l'expertise communiqué à l'expert aucun élément sur ce qu'elles avancent et donc l'expert n'a pu procéder à des investigations sur ce point. Dans le cadre de la première instance, elles ont versé au débat une analyse de la ligne haute tension en litige réalisée à leur demande en avril 2016 par une société ASA FRANCE.

Toutefois outre le fait que cette analyse n'est pas contradictoire elle ne vient nullement démontrer un mauvais entretien de la ligne avant l'accident ni soutenir l'allégation selon laquelle la ligne n'aurait pas été reconstruite à l'identique.

Sur le droit à réparation de RTE et sur réévaluation de I'indemnisation de son préjudice :

Il n'est pas contesté que la ligne électrique [Localité 1] -[Localité 2] a été endommagée le 3 octobre 2012 par un avion de la SARL AERO DELTA qui a heurté la ligne entre les poteaux 12 et 13 en emportant la ligne et en brisant plusieurs poteaux. La SARL AERO DELTA n'a pas contesté sa responsabilité ni son assureur sa garantie, mais en appel elle invoque pour la première fois un partage de responsabilité en demandant d'atténuer sa responsabilité dans des proportions telles que l'indemnisation soit conforme à celle habituellement sollicitée dans des circonstances similaires et en la limitant à la prise en charge de la restauration de deux pylônes sur dix-huit. Toutefois, outre le fait que demander une atténuation de responsabilité dans des proportions telles que l'indemnisation soit conforme à celle habituellement sollicitée dans des circonstances similaires » est en totale contradiction avec le principe selon lequel le préjudice d'une victime est apprécié au cas d'espèce en fonction des éléments produits et non en fonction de considérations générales, les appelantes ne peuvent raisonnablement venir demander à la cour d'apprécier l'évaluation du préjudice de RTE suite au sinistre du 4 octobre 2012 au vu d'un article sur internet relatant la section par un avion Transall de l'armée de l'air d'une ligne à haute tension dans les Hautes-Pyrénées ou au vu de ce qui semble être un rapport dans le cadre d'un accident survenu sur une ligne électrique en Espagne dans lequel la compagnie d'assurance AVIABEL est visiblement partie ce d'autant que les documents sont en langue espagnole.

En ce qui concerne la demande de voir limiter la responsabilité d'AERO DELTA à la prise en charge de deux pylônes sur dix-huit il sera observé que si l'avion de la société s'est écrasé entre les poteaux 12 et 13 il ressort tant du procès-verbal de constat d'huissier établi le jour même que de l'expertise amiable contradictoire que la démolition des pylônes 12 et 13 a emporté la ligne électrique, brisant plusieurs poteaux en l'occurrence 18 sur les 89 que comprend la ligne et endommageant les armements. La SARL AERO DELTA et son assureur soutiennent à nouveau que la ligne était dans un état d'entretien déplorable et que si elle avait été entretenue a minima les dégâts auraient été moindres, mais il s'agit comme déjà observé d'affirmations qui ne reposent sur aucun élément de preuve. Par conséquent il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de partage de responsabilité.

En sa qualité de victime d'une faute délictuelle RTE a droit à la réparation intégrale de son préjudice c'est à dire sans perte ni profit pour aucune des parties. Le principe de réparation intégrale signifie que le remplacement d'une chose n'est assuré que par le remboursement des frais de remise en état de la chose ou par le paiement d'une somme d'argent représentant la valeur de son remplacement et il n'y a pas lieu comme le demandent les appelantes de limiter l'indemnisation du sinistre a la valeur vénale de la portion de ligne endommagée telle qu'elle se déduirait de la valeur nette comptable visée a l'article L 2224-31-1 du code général des collectivités territoriales. En outre il est constant que dans le cas de la dégradation d'une chose ou de la démolition d'un ouvrage même vétuste, mais qui remplissent le rôle auquel ils sont destinés la victime a droit à leur réparation avec des matériaux neufs et selon les règles de l'art et les normes de sécurité en vigueur au moment de la réparation sans que soit appliqué un coefficient de vétusté. Au cas d'espèce par ailleurs il a déjà été débattu sur la question de la vétusté supposée de l'ouvrage endommage et retenu que la société AFRO DELTA et son assureur ne démontrent nullement que la ligne était vétusté. De même il a été débattu et retenu que la SARL AERO DELTA et son assureur sont défaillants à établir l'existence d'une plus-value pour RTE suite à la reconstruction de la ligne après sinistre. Il ressort du rapport d'expertise judiciaire que l'expert après étude du procès-verbal de constat, des rapports techniques, des marchés de travaux, des devis des sous-traitants, des notes de frais externes et internes, du décompte des frais avec pièces justificatives et des factures a évalué le montant des dommages à la somme de 925 026,22 € HT somme retenue par le tribunal pour l'indemnisation du préjudice de RTE. La SARL AERO DELTA et son assureur ne présentent aucune critique opérante de ce montant ni ne font de proposition précise et argumentée d'un montant inférieur, la cour ayant déjà répondu par la négative a la question soulevée par les appelants sur le fait de savoir si certains postes n'avaient pas été comptabilises deux fois.

Par conséquent le jugement dont appel sera confirmé en ce qu'il a condamné in solidum la SARL AFRO DELTA et la société AVIABEL aux droits de laquelle vient la société AXIS Specialty Europe SE à payer à la société RTE la somme de 925 026,22 € HT sauf a déduire la provision de 500 000 € payée en exécution de l'ordonnance du 5 février 2015 » ;

ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QUE « AERO DELTA ne conteste pas sa responsabilité et que la société AVIABEL ne dénie pas être tenue a garantie, AERO DELTA sera déclarée responsable de l'accident du 3 octobre 2012. Attendu que RTE, titulaire d'une mission de service d'alimentation en énergie de ses clients sur tout le territoire français, ne pouvait se permettre d'attendre l'issue d'une procédure contentieuse pour effectuer les travaux nécessaires. Attendu que le moyen tiré de la vétusté et de l'ancienneté des installations ne signifie pas nécessairement que l'infrastructure n'a pas été correctement entretenue. Attendu qu'il n'est pas nécessaire de faire droit à l'injonction pour RTE de communiquer le règlement interne dit "MC1" pour justifier la vétusté de la ligne endommagée ou pour lui donner un caractère réglementaire qu'il n'a pas, d'une part, et qu'AERO DELTA et AVIABEL n'ont pas jugé bon de le réclamer officiellement au cours de l'expertise, d'autre part. Attendu que les parties, pendant la période d'expertise, n'ont pas expressément demandé à l'expert de se déplacer sur les lieux ; qu'en outre on ne voit pas ce que ce déplacement 3 ans après le sinistre pouvait apporter à l'expertise. Attendu qu'AERO DELTA a attendu le 2 novembre 2015, soit plus d'un mois, pour réagir aux réponses de RTE du 25 septembre 2015 complétées le 30 septembre suivant, sur ses dires du 27 ao0t 2015. Attendu que suite au manque de diligence d'AERO DELTA et AVIABEL avant le dépôt du rapport d'expertise la note de constats établie le 17 avril 2016 par ASA France pour AVIABEL ne peut être prise en compte par le tribunal. Attendu que le rapport d'expertise, déposé le 26 octobre 2015, découle directement de plusieurs réunions et échanges contradictoires entre les parties, les critiques des défenderesses concernant le non-respect du contradictoire ne sont pas fondées. Attendu qu'ainsi, l'expert a pris en compte toutes les observations des parties. Attendu que l'expert a atteste qu'il n'y a pas de plus-value apportée à l'installation de RTE en raison de la réfection partielle de la ligne endommagée. Attendu que le rapport d'expertise a répondu à chacun des chefs de mission visés dans l'ordonnance de référé du 5 février 2015 et fixe le montant des dommages à 925 026,22 € HT. Attendu dès lors que le rapport d'expertise sera homologue par le tribunal. Attendu en conséquence, qu'AERO DELTA et la société AVIABEL in solidum seront déboutées de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions. AERO DELTA et la société AVIABEL seront tenues in solidum de réparer les conséquences dommageables de l'accident du 3 octobre 2012, sauf à déduire la provision de 500 000 € payée en exécution de l'ordonnance du 5 février 2015 ».

1) ALORS QU'il incombe au gestionnaire d'un réseau d'électricité de démontrer qu'il a satisfait à son obligation d'entretien de ses infrastructures ; qu'en faisant peser sur la société Axis, qui invoquait la faute de la société RTE ayant concouru au dommage, la charge de démontrer le mauvais entretien de la ligne endommagée par l'accident, quand il appartenait à la société RTE, qui en avait seule la possibilité, de démontrer le bon état d'entretien de la ligne électrique en communiquant les documents internes relatifs à cet entretien, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 devenu 1353 du code civil ;

2) ALORS QUE le principe de la réparation intégrale impose de réparer le dommage sans perte ni profit pour la victime ; qu'en condamnant la société Axis à payer l'intégralité du coût de remplacement des poteaux et câbles endommagés par l'accident sans rechercher, comme elle y était invitée, si indépendamment de la survenance de l'accident, la société RTE n'allait pas procéder au remplacement des pylônes et câblages vétustes, qui était programmé, afin de se conformer à la nouvelle réglementation en vigueur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 devenu 1240 du code civil.ECLI:FR:CCASS:2021:C200960

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