mercredi 20 octobre 2021

Il appartenait à l'assureur, dont l'obligation était recherchée, non par l'assurée, mais par un tiers au contrat, de produire la police dont il admettait l'existence

  Note J. Kullmann, RGDA 2021-11, p. 32.

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 14 octobre 2021




Cassation


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 956 F-D

Pourvoi n° Z 20-14.684

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [H].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 7 janvier 2020.

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 OCTOBRE 2021

M. [B] [H], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Z 20-14.684 contre le jugement rendu le 9 avril 2019 par le tribunal d'instance de Tulle, dans le litige l'opposant à la société MMA IARD assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Ittah, conseiller référendaire, les observations de Me Bertrand, avocat de M. [H], de Me Le Prado, avocat de la société MMA IARD assurances, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 septembre 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Ittah, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal d'instance de Tulle, 9 avril 2019), rendu en dernier ressort, deux toiles de M. [H], artiste plasticien, ont été endommagées lors d'une exposition organisée par l'association Itinéraires art contemporain (l'association) assurée par la société MMA IARD (l'assureur).

2. Après avoir reçu de l'assureur une certaine somme au titre de l'indemnisation de son préjudice, M. [H] a saisi un tribunal d'instance pour obtenir la condamnation de l'assureur à lui payer le montant de deux retenues pratiquées par ce dernier sur la valeur de ses toiles, la première au titre d'une commission de 15 % et la seconde au titre d'une « valeur de sauvegarde », ainsi qu'à réparer son préjudice moral.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

3. M. [H] fait grief au jugement de le débouter de l'ensemble de ses demandes, alors « que lorsque le bénéfice du contrat qui a été souscrit auprès d'un assureur de responsabilité est invoqué, non par l'assuré, mais par la victime du dommage, laquelle est un tiers, il incombe à cet assureur de démontrer, en versant le contrat aux débats, qu'il ne doit pas sa garantie pour le sinistre objet du litige ; qu'après avoir relevé que la société MMA IARD ne contestait pas être l'assureur de l'association Itinéraires art contemporain, le tribunal d'instance a débouté M. [H] de son action directe au motif que le contrat d'assurance n'était pas produit aux débats, ce qui ne permettait pas de connaître les garanties souscrites et donc de vérifier le bien-fondé des retenues opérées par l'assureur sur l'indemnité du tiers lésé ; qu'en statuant ainsi, le tribunal d'instance a inversé la charge de la preuve et a violé l'article L. 124-3 du code des assurances et l'article 1353 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1353 du code civil et l'article L. 124-3 du code des assurances :

4. Selon le second de ces textes, le tiers lésé dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable.

5. Aux termes du premier, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

6. Il résulte de ces dispositions que lorsque le bénéfice du contrat qui a été souscrit auprès d'un assureur de responsabilité est invoqué, non par l'assuré, mais par la victime du dommage, laquelle est un tiers, il incombe à cet assureur de démontrer, en versant le contrat aux débats, quelle est l'étendue de sa garantie pour le sinistre objet du litige.

7. Pour débouter M. [H] de ses demandes en paiement de la somme de 600 euros « correspondant au montant de la commission de 15 % déduite à tort par l'assureur » et de la somme de 400 euros « correspondant à la valeur de sauvegarde déduite à tort par l'assureur », le jugement qualifie de subrogatoire l'action engagée par M. [H] directement envers l'assureur, par laquelle il conteste la mise en oeuvre du contrat d'assurance, par ce dernier, qui fait la loi des parties et auquel il convient de se reporter.

8. Le jugement énonce qu'il n'est pas contesté que l'assureur garantisse l'association, mais relève que le contrat d'assurance n'est pas produit aux débats, les pièces ne contenant qu'une impression des conditions générales, qui ne permet pas de connaître les garanties souscrites.

9. Le jugement ajoute que l'assureur indique avoir payé les sommes dues, en produisant aux débats un rapport d'expertise, relatif au sinistre, dont il ressort que l'indemnisation a été calculée par référence à la cote de l'artiste, après application de deux retenues, mais retient qu'aucun autre élément des débats ne permet de vérifier le bien-fondé de ces dernières.

10. En statuant ainsi, alors qu'il appartenait à l'assureur, dont l'obligation était recherchée, non par l'assurée, mais par un tiers au contrat, de produire la police dont il admettait l'existence, afin de justifier du bien-fondé des retenues qu'il avait pratiquées sur l'indemnisation allouée à M. [H], tiers lésé, le tribunal, qui a inversé la charge de la preuve, a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

11. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions du jugement déboutant M. [H] de ses demandes en paiement des sommes retenues par l'assureur, entraîne la cassation du chef de dispositif qui l'a débouté de sa demande en paiement de la somme de 500 euros en réparation de son préjudice moral, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 9 avril 2019, entre les parties, par le tribunal d'instance de Tulle ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Brive-la-Gaillarde ;

Condamne la société MMA IARD aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société MMA IARD et la condamne à payer à Me Bertrand, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze octobre deux mille vingt et un. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par Me Bertrand, avocat aux Conseils, pour M. [H]

Il est reproché au jugement attaqué d'avoir débouté M. [B] [H] de l'ensemble de ses demandes contre la société MMA IARD ;

AUX MOTIFS QU' il y a tout d'abord lieu de constater que les demandes présentées devant la juridiction sont dépourvues de tout fondement juridique ; qu'en application de l'article 12 du code de procédure civile, le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables et il doit donner ou restituer leur exacte qualification juridique aux faits et actes litigieux ; qu'en l'espèce, le litige oppose M. [B] [H] à l'assureur de l'association organisatrice de l'exposition au cours de laquelle les toiles de l'artiste ont été endommagées, s'appliquent donc les règles de la responsabilité contractuelle des articles 1231 et suivants du code civil dans sa rédaction nouvelle ; que M. [H] ayant engagé son action directement contre l'assureur, il s'agit d'une action subrogatoire, par laquelle il conteste la mise en oeuvre du contrat par l'assureur, contrat qui fait la loi des parties et auquel il convient donc de se reporter ; qu'il n'est pas contesté par MMA d'être l'assureur de l'association Itinéraires Art Contemporain, mais le contrat n'est pas produit aux débats, les pièces ne contenant qu'une impression des seules conditions générales, ce qui ne permet pas de connaître les garanties souscrites ; que MMA IARD SA indique avoir payé les sommes dues, et produit aux débats un rapport d'expertise pour le sinistre du 31 octobre 2016, dont il ressort que l'indemnisation a été calculée par référence à la cote de l'artiste, après application de deux retenues ; qu'aucun autre élément des débat ne permet de vérifier le bien-fondé de ces retenues ; M. [B] [H] expose avoir subi un préjudice lié à la longueur de la procédure, sans que le temps passé ne puisse être imputable à l'assureur, qui a versé une indemnisation dans un délai raisonnable, au mois de mars 2017 pour un litige datant du mois d'octobre précédent ; que si l'on constate que M. [B] [H] a en effet multiplié les démarches, il ne s'agit là que des nécessités de la loi - qui exige la recherche d'une solution amiable avant de saisir la justice - et des aléas liés aux recours à différents interlocuteurs, aux qualifications et compétences variables ; qu'en conséquence, et en l'absence de tout élément permettant de vérifier le bien-fondé des demandes de M. [B] [H], celles-ci ne pourront qu'être intégralement rejetées (jugement p. 2) ;

ALORS, d'une part, QUE le tiers lésé dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable ; qu'en affirmant que l'action exercée par M. [H] était fondée sur « les règles de la responsabilité contractuelle des articles 1231 et suivants du code civil dans sa rédaction nouvelle », tout en constatant que ce dernier avait « engagé son action directement envers l'assureur » , de sorte que devaient nécessairement trouver application les dispositions de l'article L. 124-3 du code des assurances, relatives à l'action directe du tiers lésé contre l'assureur, laquelle a un fondement légal, le tribunal d'instance a violé ce texte par refus d'application, ainsi que les articles 1231 et suivants du code civil par fausse application ;

ALORS, d'autre part, QUE lorsque le bénéfice du contrat qui a été souscrit auprès d'un assureur de responsabilité est invoqué, non par l'assuré, mais par la victime du dommage, laquelle est un tiers, il incombe à cet assureur de démontrer, en versant le contrat aux débats, qu'il ne doit pas sa garantie pour le sinistre objet du litige ; qu' après avoir relevé que la compagnie MMA IARD ne contestait pas être l'assureur de l'association Itinéraires Art Contemporain, le tribunal d'instance a débouté M. [H] de son action directe au motif que le contrat d'assurance n'était pas produit aux débats, ce qui ne permettait pas de connaître les garanties souscrites et donc de vérifier le bien-fondé des retenues opérées par l'assureur sur l'indemnité du tiers lésé ; qu'en statuant ainsi, le tribunal d'instance a inversé la charge de la preuve et a violé l'article L. 124-3 du code des assurances et l'article 1353 du code civil.ECLI:FR:CCASS:2021:C200956

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