vendredi 29 octobre 2021

Un monument funéraire, sur un caveau servant de fondation, doit être regardé globalement, avec tous éléments incorporés, comme un bâtiment, immeuble par nature (CE)

 Note J. Dubarry, GP 2021, n° 37, p. 31.

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société Duhamel Fine Art, la société Millon et associés, Mme C... V... P..., épouse L..., M. T... R... I..., Mme U... V... P..., épouse J..., M. F... R... I..., Mme M... S... A..., épouse P..., et M. G... R... I... ont demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté n° 2010-480 du 21 mai 2010 par lequel le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, a inscrit au titre des monuments historiques, en totalité, la tombe de Tania O..., y compris le groupe sculpté " Le Baiser " de Constantin Brancusi et son socle formant stèle, située au cimetière du Montparnasse 3, boulevard Edgar Quinet à Paris (14e), d'autre part, d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 28 juin 2016 par laquelle la même autorité a rejeté le recours gracieux formé contre la décision du 17 mars 2016 par laquelle elle a déclaré irrecevable la " demande d'autorisation de travaux ", déposée le 8 mars 2016, tendant à la dépose de cette sculpture, ainsi que cette décision du 17 mars 2016.

Par un jugement n° 1609810-1613427 du 12 avril 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté leurs demandes.

Par un arrêt n°18PA02011 du 11 décembre 2020, la cour administrative d'appel de Paris, saisie par la société Duhamel Fine Art et autres, a annulé ce jugement en tant qu'il rejette les conclusions de Mme C... V... P..., épouse L..., de M. T... R... I..., de Mme U... V... P..., épouse J..., de M. F... R... I..., de Mme M... S... A..., épouse P... et de M. G... R... I..., ainsi que l'arrêté n° 2010-480 du 21 mai 2010 du préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris et ses décisions du 17 mars 2016 et du 28 juin 2016, et enjoint à ce dernier de procéder au réexamen de la déclaration de travaux à intervenir sur le groupe sculpté " Le Baiser " dans un délai de trois mois à compter de la notification de son arrêt.

Par une décision n° 447968 du 31 mars 2021, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, a fait droit à la demande de la ministre de la culture tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de cet arrêt.

Par un pourvoi et un mémoire complémentaire, enregistrés les 18 décembre et 31 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre de la culture demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il fait droit aux conclusions de Mme C... V... P..., épouse L..., M. T... R... I..., Mme U... V... P..., épouse J..., M. F... R... I..., Mme M... S... A..., épouse P..., et M. G... R... I... ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la requête de la société Duhamel Fine Art et autres ;

3°) de mettre à la charge de la société Duhamel Fine Art et autres la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code du patrimoine ;
- le code de l'urbanisme ;
- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 ;
- le décret n° 2007-487 du 30 mars 2007 ;
- le décret n° 2010-633 du 8 juin 2010 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat du ministre de la culture et à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat de la société Duhamel fine art et autres.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 17 juin 2021, présentée par la société Duhamel Fine Art et autres ;




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B... O..., décédée le 5 décembre 1910, a été inhumée au cimetière du Montparnasse à Paris. Sa sépulture comporte une stèle faisant socle qui porte épitaphe et supporte la troisième version de la sculpture intitulée " Le Baiser ", oeuvre de Constantin Brancusi réalisée en 1909. Par un arrêté du 4 octobre 2006, le ministre de la culture a élevé cette sculpture au rang de trésor national et refusé de délivrer le certificat demandé en vue de son exportation. Par un arrêté n° 2010-480 du 21 mai 2010, le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, a inscrit au titre des monuments historiques, en totalité, la tombe de Mme B... O.... Les ayants droit de la concession funéraire à titre perpétuel acquise le 12 décembre 1910 par le père de la défunte, Mme U... J... née P..., M. F... I..., Mme M... P... née A..., M. G... I..., Mme C... L... née P..., et M. T... I..., ont déposé le 8 mars 2016, par l'intermédiaire des sociétés Duhamel Fine Art et Millon et associés, auprès des services de la préfecture de la région Ile-de-France, une déclaration de travaux, en application de l'article L. 622-22 du code du patrimoine, en vue de la dépose de la sculpture. Par courrier du 17 mars 2016, cette demande a été rejetée au motif que " la tombe, avec le groupe sculpté " Le Baiser " de Constantin Brancusi et son socle formant stèle est un immeuble inscrit en totalité parmi les monuments historiques ", les demandeurs étant par conséquent invités à déposer une demande de permis de construire. Cette décision a fait l'objet le 26 avril 2016 d'un recours gracieux, rejeté par une décision du 28 juin suivant.

2. Par un jugement du 12 avril 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté les requêtes de la société Duhamel Fine Art, la société Millon et associés, Mme C... V... P..., épouse L..., M. T... R... I..., Mme U... V... P..., épouse J..., et M. F... R... I... tendant à l'annulation pour excès de pouvoir, d'une part, de l'arrêté du préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris du 21 mai 2010 et, d'autre part, de ses décisions du 17 mars 2016 et du 28 juin 2016. Sur appel des intéressés, la cour administrative d'appel de Paris a, par un arrêt du 11 décembre 2020 contre lequel la ministre de la culture se pourvoit en cassation, annulé ce jugement en tant qu'il rejette les conclusions de Mme C... V... P..., épouse L..., de M. T... R... I..., de Mme U... V... P..., épouse J..., de M. F... R... I..., de Mme M... S... A..., épouse P... et de M. G... R... I... ainsi que l'arrêté du 21 mai 2010 du préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, et ses décisions du 17 mars 2016 et du 28 juin 2016, et enjoint au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, de procéder au réexamen de la déclaration de travaux à intervenir sur la sculpture " Le Baiser " dans un délai de trois mois à compter de la notification de son arrêt.


Sur le cadre juridique :

3. En premier lieu, aux termes de l'article 516 du code civil : " Tous les biens sont meubles ou immeubles ". L'article 517 du même code dispose que : " Les biens sont immeubles, ou par leur nature, ou par leur destination, ou par l'objet auquel ils s'appliquent ". L'article 518 précise que : " Les fonds de terre et les bâtiments sont immeubles par leur nature ". Aux termes du dernier alinéa de l'article 524 : " Sont aussi immeubles par destination tous effets mobiliers que le propriétaire a attachés au fonds à perpétuelle demeure ". Aux termes de l'article 525 : " Le propriétaire est censé avoir attaché à son fonds des effets mobiliers à perpétuelle demeure, quand ils y sont scellés en plâtre ou à chaux ou à ciment, ou, lorsqu'ils ne peuvent être détachés sans être fracturés ou détériorés, ou sans briser ou détériorer la partie du fonds à laquelle ils sont attachés./ (...) Quant aux statues, elles sont immeubles lorsqu'elles sont placées dans une niche pratiquée exprès pour les recevoir, encore qu'elles puissent être enlevées sans fracture ou détérioration ".

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 621-25 du code du patrimoine : " Les immeubles ou parties d'immeubles publics ou privés qui, sans justifier une demande de classement immédiat au titre des monuments historiques, présentent un intérêt d'histoire ou d'art suffisant pour en rendre désirable la préservation peuvent, à toute époque, être inscrits, par décision de l'autorité administrative, au titre des monuments historiques (...) ". L'article L. 622-20 du même code dispose que : " Les objets mobiliers, soit meubles proprement dits, soit immeubles par destination qui, sans justifier une demande de classement immédiat, présentent, au point de vue de l'histoire, de l'art, de la science ou de la technique, un intérêt suffisant pour en rendre désirable la préservation, peuvent, à toute époque, être inscrits au titre des monuments historiques. Les objets mobiliers appartenant à une personne privée ne peuvent être inscrits qu'avec son consentement ".

5. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 2223-12 du code général des collectivités territoriales : " Tout particulier peut, sans autorisation, faire placer sur la fosse d'un parent ou d'un ami une pierre sépulcrale ou autre signe indicatif de sépulture ". Aux termes de l'article L. 2223-12-1 du même code : " Le maire peut fixer des dimensions maximales des monuments érigés sur les fosses ". L'article L. 2223-13 du même code dispose que : " Lorsque l'étendue des cimetières le permet, il peut être concédé des terrains aux personnes qui désirent y fonder leur sépulture et celle de leurs enfants ou successeurs. Les bénéficiaires de la concession peuvent construire sur ces terrains des caveaux, monuments et tombeaux (...) ".


Sur le pourvoi :

6. Pour l'interprétation des dispositions de l'article 518 du code civil citées au point 3, la seule circonstance qu'un élément incorporé à un immeuble n'ait pas été conçu à cette fin et qu'il puisse en être dissocié sans qu'il soit porté atteinte à l'intégrité de cet élément lui-même ou à celle de l'immeuble n'est pas de nature à faire obstacle au caractère d'immeuble par nature de l'ensemble, qui doit être apprécié globalement. Il s'ensuit qu'en considérant que le groupe sculpté " Le Baiser " qui surmonte la tombe de Tania O... ne pouvait être regardé comme un immeuble par nature au seul motif qu'il n'avait pas été créé à cette fin par Constantin Brancusi et qu'il n'était pas établi qu'il ne pouvait en être descellé sans porter atteinte à son intégrité, ni à celle du monument funéraire, sans rechercher si ce monument avait été conçu comme un tout indivisible incorporant ce groupe sculpté, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit.

7. Il y a lieu, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, d'annuler l'arrêt attaqué en tant qu'il fait droit aux conclusions de Mme C... V... P..., épouse L..., M. T... R... I..., Mme U... V... P..., épouse J..., M. F... R... I..., Mme M... S... A..., épouse P..., et M. G... R... I....

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond dans cette mesure, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.


Sur la régularité du jugement :

9. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments présentés devant lui, a suffisamment répondu, aux points 3 à 11 de son jugement, au moyen, qu'il a visé, tiré de ce que le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris aurait commis une erreur de qualification juridique et une erreur de droit en appliquant à la sépulture de Tania O... le régime juridique des immeubles par nature en lieu et place du régime des objets mobiliers et des immeubles par destination, aux points 12 à 16, au moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté du 21 mai 2010 et, en particulier, de l'irrégularité alléguée de la délégation de signature octroyée par le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, à M. Laurent Fiscus, secrétaire général de la préfecture de la région Ile-de-France, signataire de l'arrêté attaqué, aux points 20 à 23, au moyen tiré de la violation du droit de propriété et, aux points 24 à 26, au moyen tiré du détournement de pouvoir et de procédure.


Sur le bien-fondé du jugement :

S'agissant de l'arrêté du 21 mai 2010 procédant à l'inscription de la tombe au titre des monuments historiques :

Quant à la compétence du signataire de l'arrêté :

10. D'une part, aux termes de l'article 34 du décret du 30 mars 2007 relatif aux monuments historiques et aux zones de protection du patrimoine architectural : " L'inscription d'un immeuble au titre des monuments historiques est prononcée par arrêté du préfet de région après avis de la commission régionale du patrimoine et des sites réunis en formation plénière (...) ". Il résulte de ces dispositions que le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, était compétent pour prononcer, après avis de la commission régionale du patrimoine et des sites, l'inscription du bien en cause au titre des monuments historiques.

11. D'autre part, aux termes de l'article 38 du décret du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'Etat dans les régions et les départements, le préfet de région peut donner délégation de signature : " 1° En toutes matières, et notamment pour celles qui intéressent plusieurs chefs de services déconcentrés des administrations civiles de l'Etat dans la région, au secrétaire général pour les affaires régionales et, en cas d'empêchement de celui-ci, aux agents de catégorie A placés sous son autorité ". L'article 39 de ce même décret, dans sa version modifiée par le décret du 16 février 2010 modifiant le décret du 29 avril 2004 dispose que : " En cas d'absence ou d'empêchement, le préfet de région est suppléé par le secrétaire général pour les affaires régionales (...) ". Il ressort des pièces du dossier que M. Laurent Fiscus, secrétaire général de la préfecture de la région d'Ile-de-France, signataire de l'arrêté attaqué, a reçu délégation du préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, par arrêté du 22 avril 2010, régulièrement publié aux recueil des actes administratifs de la région Ile-de-France n° 2010-13 des 19 au 23 avril 2010, à l'effet de signer au nom du préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, en toutes matières, à l'exception des ordres de réquisition du comptable, tous arrêtés, décisions, pièces et conventions. Cette délégation de signature, qui n'est pas une délégation de pouvoir et n'a donc pas pour effet de départir le préfet de sa compétence, est conforme aux dispositions précitées du décret du 29 avril 2004.

12. Il résulte de ce qui a été dit aux points 10 et 11 que le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté du 21 mai 2010 doit être écarté.


Quant à la qualification juridique de la sculpture :

13. Un monument funéraire érigé sur un caveau servant de fondation, fût-il construit par un autre que le propriétaire du sol, doit être regardé globalement, avec tous les éléments qui lui ont été incorporés et qui composent l'édifice, comme un bâtiment, au sens et pour l'application de l'article 518 du code civil.

14. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que la volonté du père de la défunte, titulaire de la concession perpétuelle qui lui a été consentie au cimetière du Montparnasse par la Ville de Paris après le décès de Tania O... en décembre 1910, a été d'ériger sur sa tombe un monument funéraire qui accueille " Le Baiser " de Constantin Brancusi, acquis auprès de l'artiste sur la recommandation de l'amant de sa fille disparue, en hommage à la jeune femme. C'est ainsi qu'il a fait réaliser par un marbrier, en pierre d'Euville tout comme l'oeuvre, une stèle faisant socle, implantée sur la tombe, portant épitaphe et sur le lit d'attente de laquelle le groupe sculpté a été fixé et scellé en avril 1911. Dès lors, la sculpture " Le Baiser " de Constantin Brancusi qui surmonte la tombe de Tania O... est un élément de cet édifice qui a perdu son individualité lorsqu'il a été incorporé au monument funéraire, sans qu'importe la circonstance ni que l'oeuvre n'ait pas été réalisée à cette fin par Constantin Brancusi, ni qu'elle ait été implantée quelques semaines après le décès de la jeune femme. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce qu'en se fondant, pour prendre l'arrêté attaqué, sur la circonstance que le groupe sculpté " Le Baiser " de Constantin Brancusi et son socle formant stèle constituait, avec la tombe, un immeuble par nature, le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris n'a pas commis d'erreur dans la qualification juridique des faits.


Quant à l'inscription de l'ensemble de la tombe au titre des monuments historiques :

15. Il résulte des dispositions citées au point 4 que l'autorité administrative peut procéder à l'inscription au titre des monuments historiques d'immeubles ou, le cas échéant, de parties d'immeubles qui présentent un intérêt d'art ou d'histoire suffisant pour en justifier la préservation. Si l'inscription peut également porter sur certaines parties de l'immeuble qui ne présentent pas par elles-mêmes cet intérêt, c'est à la condition, compte tenu des limitations ainsi apportées à l'exercice du droit de propriété, que cette mesure apparaisse nécessaire afin d'assurer la cohérence du dispositif de protection de cet immeuble au regard des objectifs poursuivis par la législation des monuments historiques.

16. Pour inscrire au titre des monuments historiques, en totalité, la tombe de Tania O... avec le groupe sculpté " Le Baiser " et " son socle formant stèle ", le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris a considéré dans son arrêté du 21 mai 2010 que : " (...) la conservation du groupe sculpté : " Le Baiser " réalisé par Constantin Brancusi en 1909 et installé sur la tombe de Tania O... à son décès en 1910 présente au point de vue de l'histoire et de l'art un intérêt public en raison d'une part, de sa place essentielle dans l'oeuvre de Brancusi et de sa qualité intrinsèque qui en fait une oeuvre majeure, d'autre part, de son intégration à l'ensemble de la tombe avec son socle constituant la stèle funéraire portant l'épitaphe gravée et signée par Brancusi ".

17. D'une part, il résulte de ce qui a été dit aux points 13 et 14 que les dispositions de l'article L. 622-20 du code du patrimoine relatives au classement des objets mobiliers, soit meubles proprement dits, soit immeubles par destination, n'étaient pas applicables en l'espèce, le monument funéraire constituant un immeuble par nature. Le préfet n'a par suite pas commis d'erreur de droit en procédant au classement du groupe sculpté sans avoir recueilli l'accord des propriétaires.

18. D'autre part, si le socle et la stèle de la tombe de Tania O... ne présentent pas en tant que tel un intérêt patrimonial suffisant pour justifier leur inscription au titre des monuments historiques, ils forment un tout indivisible avec la sculpture incorporée au monument funéraire. Dès lors en inscrivant en totalité la tombe de Tania O..., y compris l'oeuvre de Constantin Brancusi, au titre des monuments historiques, le préfet n'a pas non plus commis d'erreur de droit.


Quant à la méconnaissance du droit de propriété :

19. Aux termes de l'article L. 621-17 du code du patrimoine : " L'inscription au titre des monuments historiques est notifiée aux propriétaires et entraînera pour eux l'obligation de ne procéder à aucune modification de l'immeuble ou partie de l'immeuble inscrit, sans avoir, quatre mois auparavant, avisé l'autorité administrative de leur intention et indiqué les travaux qu'ils se proposent de réaliser./ Lorsque les constructions ou les travaux envisagés sur les immeubles inscrits au titre des monuments historiques sont soumis à permis de construire, à permis de démolir, à permis d'aménager ou à déclaration préalable, la décision accordant le permis ou la décision de non-opposition ne peut intervenir sans l'accord de l'autorité administrative chargée des monuments historiques (...) ". L'article R. 421-16 du code de l'urbanisme prévoit que : " Tous les travaux portant sur un immeuble ou une partie d'immeuble inscrit au titre des monuments historiques sont soumis à permis de construire, à l'exception des travaux d'entretien ou de réparations ordinaires et des travaux répondant aux conditions prévues à l'article R. 421-8 ". Il résulte de ces dispositions que l'inscription au titre des monuments historiques a pour effet de conditionner à l'obtention d'un permis de construire les travaux portant sur les immeubles concernés et de soumettre l'exécution de ces travaux au contrôle du service des monuments historiques. Ainsi, la décision d'inscription qui ne constitue pas une privation de propriété a cependant pour effet, par elle-même, de limiter l'exercice du droit de propriété.

20. D'une part, aux termes de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : " La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ". Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué méconnaitrait les dispositions de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne peut être utilement invoqué.

21. D'autre part, aux termes de l'article premier du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international./ Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ". Si ces stipulations ne font pas obstacle à l'édiction, par l'autorité compétente, d'une réglementation de l'usage des biens, dans un but d'intérêt général, ayant pour effet d'affecter les conditions d'exercice du droit de propriété, il appartient au juge, pour apprécier la conformité aux stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales d'une décision individuelle prise sur la base d'une telle réglementation, d'une part, de tenir compte de l'ensemble de ses effets juridiques, d'autre part, et en fonction des circonstances concrètes de l'espèce, d'apprécier s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les limitations constatées à l'exercice du droit de propriété et les exigences d'intérêt général qui sont à l'origine de cette décision.

22. Si l'arrêté contesté affecte l'exercice du droit de propriété des ayants droit du père de la défunte, les limitations qu'il apporte à l'exercice de ce droit sont justifiées par l'objectif d'intérêt général de conservation du patrimoine national. Cette inscription non seulement ne fait pas obstacle à la réalisation des travaux d'entretien et de réparation que nécessite la conservation de l'immeuble inscrit au titre des monuments historiques mais encore elle autorise l'autorité administrative à les subventionner, en vertu de l'article L. 621-29 du code du patrimoine, dans la limite de 40% de la dépense effective. Dès lors, dans les circonstances de l'espèce, l'arrêté attaqué ne peut être regardé comme portant au droit de propriété des requérants une atteinte disproportionnée au but d'intérêt général poursuivi par l'arrêté attaqué. Il s'ensuit que le moyen tiré d'une atteinte excessive au droit de propriété des requérants ne peut qu'être écarté.


Quant au détournement de pouvoir et de procédure :

23. Aux termes de l'article L. 111-1 du code du patrimoine : " Sont des trésors nationaux :/ (...) 5° Les autres biens présentant un intérêt majeur pour le patrimoine national au point de vue de l'histoire, de l'art ou de l'archéologie ". L'article L. 111-2 du même code dispose que : " L'exportation temporaire ou définitive hors du territoire douanier des biens culturels, autres que les trésors nationaux, qui présentent un intérêt historique, artistique ou archéologique et entrent dans l'une des catégories définies par décret en Conseil d'Etat est subordonnée à l'obtention d'un certificat délivré par l'autorité administrative (...) ". L'article L. 111-6 prévoit que : " En cas de refus du certificat, toute demande nouvelle pour le même bien est irrecevable pendant une durée de trente mois à compter de la date du refus./ Après ce délai, le refus de délivrance du certificat ne peut être renouvelé que dans le cas prévu pour la procédure d'offre d'achat au sixième alinéa de l'article L. 121-1, sans préjudice de la possibilité de classement du bien en application des dispositions relatives aux monuments historiques ou aux archives (...) ".

24. Si les requérants soutiennent que l'arrêté préfectoral du 21 mai 2010 est entaché d'un détournement de pouvoir et de procédure au motif qu'il ne viserait pas à assurer la protection du groupe sculpté " Le Baiser " de Constantin Brancusi mais seulement à faire échec à son déplacement et à toute nouvelle demande de certificat de libre-circulation, le moyen n'est pas fondé dès lors que, ainsi qu'il a été dit au point 18, il ressort des pièces du dossier que l'inscription du bien en cause en tant qu'immeuble par nature au titre des monuments historiques est justifiée par un intérêt d'art suffisant pour en rendre désirable la préservation au sens des dispositions de l'article L. 621-25 du code du patrimoine citées au point 4.

25. Il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêté du 21 mai 2010.


S'agissant des décisions du 17 mars 2016 et du 28 juin 2016 rejetant la demande d'autorisation de travaux :

26. D'une part, par arrêté n° 2015097-0008 du 7 avril 2015, publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de région d'avril 2015, spécial n° 63, délégation de signature a été donnée par le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, à Mme K... Q..., directrice régionale des affaires culturelles d'Ile-de-France, pour les décisions relevant des attributions de la direction régionale des affaires culturelles. Par arrêté n° 2015-140 du 18 décembre 2015, délégation de signature a été donnée par la directrice régionale des affaires culturelles à M. H... E..., conservateur régional des monuments historiques, à l'effet de signer, notamment, les décisions en matière d'autorisation de travaux sur les objets mobiliers et les immeubles inscrits ou classés au titre des monuments historiques. Cet arrêté réglementaire a été régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de région, recueil régional spécial n° NV421 du 18 décembre 2015, comme l'indiquait l'article 8 de l'arrêté. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision du 17 mars 2016 n'est pas fondé.

27. D'autre part, par le même arrêté du 18 décembre 2015, publié, ainsi qu'il a été dit au point précédent, au recueil des actes administratifs régional spécial n° NV421 du 18 décembre 2015, délégation de signature a été donnée pour l'ensemble des matières administratives à M. N... D..., directeur régional adjoint des affaires culturelles, en cas d'absence ou d'empêchement de Mme K... Q.... Dès lors que l'arrêté du 18 décembre 2015 vise le décret n° 2010-633 du 8 juin 2010 relatif à l'organisation et aux missions des directions régionales des affaires culturelles, qui définit les attributions de la direction régionale des affaires culturelles, et que la délégation de signature n'est consentie à M. D..., directeur régional adjoint, qu'en cas d'absence ou d'empêchement de Mme K... Q..., une telle délégation de signature doit être regardée comme suffisamment précise. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision du 28 juin 2016, qui se borne d'ailleurs à confirmer la décision du 17 mars 2016, n'est pas fondé.

28. Il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation des décisions du 17 mars 2016 et du 28 juin 2016.

29. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté leur demande. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font par suite obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, en revanche, de mettre la somme de 3 000 euros à la charge de la société Duhamel Fine Art et autres à verser à l'Etat au titre des mêmes dispositions.




D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 11 décembre 2020 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé en tant qu'il fait droit aux conclusions de Mme C... V... P..., épouse L..., M. T... R... I..., Mme U... V... P..., épouse J..., M. F... R... I..., Mme M... S... A..., épouse P..., et M. G... R... I....
Article 2 : Les conclusions présentées par Mme C... V... P..., épouse L..., M. T... R... I..., Mme U... V... P..., épouse J..., M. F... R... I..., Mme M... S... A..., épouse P..., et M. G... R... P... devant la cour administrative d'appel de Paris sont rejetées.
Article 3 : La société Duhamel Fine Art et autres verseront la somme de 3 000 euros à l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la société Duhamel Fine Art et autres tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la ministre de la culture et à la société Duhamel Fine Art, première dénommée.
Copie en sera adressée à la Ville de Paris.

ECLI:FR:CECHR:2021:447967.20210702

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