jeudi 21 octobre 2021

Sujette à interprétation, une clause d'exclusion des garanties de l'assureur est nulle, car ainsi ni formelle, ni limitée

 Note A. Pimbert, RGDA 2021-11, p. 38.

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

CM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 14 octobre 2021




Cassation partielle


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 948 F-D

Pourvoi n° N 20-14.075




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 OCTOBRE 2021

La société Groupe Lafont, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° N 20-14.075 contre l'arrêt rendu le 14 novembre 2019 par la cour d'appel de Nîmes (4e chambre commerciale), dans le litige l'opposant à la société Albingia, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bouvier, conseiller, les observations de la SARL Ortscheidt, avocat de la société Groupe Lafont, de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société Albingia, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 septembre 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Bouvier, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 14 novembre 2019), la société Groupe Lafont, qui exploite une activité de levage, dispose d'un parc de grues, assurées auprès de la société Albingia (l'assureur) aux termes d'un contrat qui garantit, en dehors de toute recherche de responsabilité, les dommages matériels résultant de disparitions totales ou partielles à la suite de vol ou de tentative de vol, ainsi que de vandalisme, et les dommages immatériels résultant des pertes et frais financiers « sauf en cas de sinistre total ou de vol ». Le contrat a fait l'objet d'un avenant modificatif, portant, à compter du 1er janvier 2016, sur les conditions particulières « bris de machines matériel et engin mobile ».

2. Ayant déclaré divers sinistres, courant 2016 et 2017, consistant en des vols d'équipement de plusieurs grues, essentiel à leur fonctionnement, la société Groupe Lafont a assigné l'assureur aux fins d'indemnisation des dommages matériels et immatériels en résultant.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

3. La société Groupe Lafont fait grief à l'arrêt de dire que l'assureur est fondé à opposer l'exclusion de garantie au titre des frais et pertes financières consécutifs à un vol et, en conséquence, de la débouter de l'intégralité de ses demandes au titre des dommages immatériels alors « que les clauses d'exclusion de garantie ne sont valables que lorsqu'elles sont formelles et limitées ; qu'au cas d'espèce, la clause d'exclusion de garantie nécessitait d'interpréter le terme vol pour déterminer si elle ne visait que le vol d'une grue ou également le vol d'une partie de l'équipement d'une grue ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

4. L'assureur conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que la société Groupe Lafont n'a jamais contesté la validité de la clause d'exclusion litigieuse au regard des exigences de l'article L.113-1 du code des assurances, en lui reprochant de n'être ni formelle ni limitée. Ce moyen, en ce qu'il modifie l'objet comme la cause juridique de la demande soumise aux juges du fond, est irrecevable comme nouveau.

5. Cependant, il résulte des productions que la société Groupe Lafont n'avait pas invoqué devant la cour d'appel que la clause n'était pas formelle et limitée mais qu'elle nécessitait interprétation. La cour d'appel a interprété la clause au regard des autres stipulations contractuelles.

6. Le moyen, qui est nouveau, mais de pur droit, en tant qu'il ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations de l'arrêt, est, dès lors, recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 113-1 du code des assurances :

7. Il résulte de ce texte que les clauses d'exclusion, pour être valables, doivent être formelles et limitées.

8. Pour rejeter l'indemnisation des dommages immatériels invoqués par la société Groupe Lafont, ayant relevé que les faits à l'origine des sinistres consistent en des vols d'accessoires et que l'assureur invoque l'exclusion de garantie, figurant à l'article IV-1-2 des conditions particulières, relatif aux « garanties dommages immatériels », qui assure « le remboursement sans justificatifs des pertes et frais financiers engagés ou subis par l'assuré à la suite d'un dommage matériel garanti et indemnisé », sauf « en cas de sinistre total selon les dispositions de l'article II.12 ou de vol », l'arrêt énonce que cette clause d'exclusion est rédigée en caractères majuscules et gras, que les clauses de la police d'assurance sont très claires et s'imbriquent parfaitement les unes avec les autres et que c'est la disparition totale ou partielle de matériel par suite de vol ou de tentative de vol qui est indemnisée en tant que dommage matériel tandis qu'il existe une exclusion de garantie en matière de dommages immatériels en cas de sinistre total ou de vol.

9. La décision ajoute que l'assureur, qui se place sur le terrain de la disparition du matériel pour offrir une indemnisation des dommages matériels, caractérise l'une des clauses d'exclusion de l'indemnisation des dommages immatériels, à savoir le vol, dont le jugement réduit à tort la portée en l'assimilant à un vol total, alors que le fait de soustraire un quelconque élément d'équipement constitue un vol et que cette qualification prime dès lors qu'il y a soustraction frauduleuse et non celle de dégradation, qui n'est qu'une circonstance aggravante du vol, ce dont il se déduit qu'il n'existe aucun doute nécessitant une interprétation de la clause litigieuse.

10. En statuant ainsi, alors que la clause excluant, «en cas de sinistre total selon les dispositions de l'article II.12 ou de vol », l'indemnisation des pertes et frais financiers engagés ou subis par l'assuré à la suite d'un dommage matériel garanti et indemnisé, en ce qu'elle ne précisait pas si elle visait le vol de l'objet assuré, c'est à dire celui de la grue, ou le vol de toute partie de celle-ci susceptible d'entraîner son immobilisation, est sujette à interprétation, ce dont il résulte qu'elle n'est ni formelle ni limitée, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

11. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt disant que la société Albingia est fondée à opposer l'exclusion de garantie au titre des frais et pertes financières consécutifs à un vol et déboutant la société Groupe Lafont de l'intégralité de ses demandes au titre des dommages immatériels entraîne la cassation du chef de dispositif qui condamne cette dernière à restituer à la société Albigia la somme de 16 500 euros perçue indûment au titre du sinistre MAS 16.0082, avec intérêts légaux à compter de l'arrêt, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la société Albingia est fondée à opposer l'exclusion de garantie au titre des frais et pertes financières consécutifs à un vol, déboute la société Groupe Lafont de l'intégralité de ses demandes au titre des dommages immatériels, la condamne à restituer la somme de 16 500 euros perçue indûment au titre du sinistre MAS 16.0082, avec intérêts légaux à compter de l'arrêt, et dit que la société Groupe Lafont supportera les dépens de première instance et d'appel, l'arrêt rendu le 14 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

Remet, sur ces points l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Condamne la société Albingia aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Albingia et la condamne à payer à la société Groupe Lafont la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze octobre deux mille vingt et un. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SARL Ortscheidt, avocat aux Conseils, pour la société Groupe Lafont

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que la société Albingia est fondée à opposer l'exclusion de garantie au titre des frais et pertes financières consécutifs à un vol et, en conséquence, débouté la société Groupe Lafont de l'intégralité de ses demandes au titre des dommages immatériels ;

AUX MOTIFS QUE sur les dommages immatériels : Il ressort des procès-verbaux de plainte du groupe Lafont que les faits consistent en des vols d'accessoires. Les rapports d'expertise relatent également des vols de consoles, ordinateurs de bord, boitier central, cartes électroniques etc. Le vol peut porter tant sur le matériel lui-même que sur des accessoires qui sont dérobés tandis que le vandalisme est un acte de dégradation ou de destruction. L'utilisation de la qualification de vol par l'assureur est donc adéquate. Le groupe Lafont demande à la cour d'interpréter les clauses de la convention au visa de l'ancien article 1161 du code civil et de considérer que seul le vol total d'un engin est exclu de la garantie. Il fait en outre valoir que l'assureur a indemnisé un précédent sinistre consécutif à un vol d'équipement en réparant tant ses dommages matériels qu'immatériels. Mais les clauses de la police d'assurances sont très claires et s'imbriquent parfaitement les unes avec les autres : c'est la disparition totale ou partielle du matériel par suite de vol ou de tentative de vol qui est indemnisée en tant que dommage matériel tandis qu'il existe une exclusion de garantie en matière de dommages immatériels en cas de sinistre total ou de vol. L'assureur qui se place sur le terrain de la disparition du matériel pour offrir une indemnisation des dommages matériels caractérise l'une des clauses d'exclusion de l'indemnisation des dommages immatériels, à savoir le sinistre total comme étant la perte complète du bien assuré conduisant à une indemnisation à hauteur de la valeur déclarée. L'autre cause d'exclusion est le vol et le jugement réduit à tort la portée de cette clause en l'assimilant à un vol total alors que le fait de soustraire un quelconque élément d'équipement constitue un vol. En effet, dès lors qu'il y a soustraction frauduleuse, c'est la qualification de vol qui prime et non celle de dégradation qui n'est qu'une circonstance aggravante du vol. Il n'existe aucun doute au sens de l'ancien article 1162 du code civil nécessitant une interprétation et par conséquent le jugement sera infirmé en ce qu'il a indemnisé le groupe Lafont au titre de ses dommages immatériels. L'indemnisation des dommages immatériels d'un précédent sinistre similaire ne saurait valoir preuve du droit de l'assuré au titre des sinistres ultérieurs, alors même que l'assureur demande restitution du trop-perçu ;

1°) ALORS QUE l'article IV-1-2 des conditions particulières du contrat d'assurance n° 1300606 bris de machine, de même que les conditions particulières du contrat d'assurance n° 1300606 « bris de machine » avenant 2016, prévoyaient la garantie des dommages immatériels sauf en cas de sinistre total ou de vol ; que la notion de sinistre total est définie au II-12 des conditions particulières du contrat d'assurance n° 1300606 « bris de machine » avenant 2016, comme « tout sinistre dont le montant des frais nécessaires à la réparation des dommages matériels est au moins égal à la valeur calculée à dire d'expert du bien assuré au jour du sinistre », ce dont il résulte que l'exclusion du vol qui lui est accolée ne concerne que le vol total du matériel, c'est-à-dire un sinistre dont la valeur sera égale à la valeur du bien assuré ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis des clauses de la police d'assurance, en méconnaissance de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;

2°) ALORS, EN TOUTE HYPOPHYSE, QUE les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la commune intention des parties, telle qu'éclairée par le comportement de la société Albingia qui, pour le premier sinistre déclaré en mai 2016, a indemnisé tant le préjudice matériel que le préjudice immatériel lié à l'immobilisation de la grue, n'était pas d'exclure uniquement l'indemnisation des préjudice immatériel en cas de vol total d'une grue, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 1134 et 1161, devenus 1103 et1189 du code civil ;

3°) ALORS, EN TOUTE HYPOPHYSE, QUE les clauses d'exclusion de garantie ne sont valables que lorsqu'elles sont formelles et limitées ; qu'au cas d'espèce, la clause d'exclusion de garantie nécessitait d'interpréter le terme vol pour déterminer si elle ne visait que le vol d'une grue ou également le vol d'une partie de l'équipement d'une grue ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances ;

4°) ALORS, EN TOUTE HYPOTHÈSE, QU' en refusant l'indemnisation du préjudice immatériel, en l'état de constations desquelles il résulte que le vol s'était accompagné d'une détérioration du matériel, de sorte que l'immobilisation de la grue était nécessaire en raison de cette détérioration, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation de l'article 1134, devenu 1103 du code civil.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la société Groupe Lafont à restituer la somme de 16.500 euros perçue indûment au titre du sinistre MAS 16.0082, avec intérêts légaux à compter du présent arrêt ;

AUX MOTIFS QUE sur la restitution d'un trop perçu : Il n'est pas discuté que l'assureur a réglé la somme de 16.500 euros au titre des dommages immatériels concernant un précédent sinistre pour vol survenu sur une grue (MAS 16.0082). Or, les dommages immatériels sont exclus de la garantie « bris de machines »en cas de vol, de sorte que c'est par erreur que l'assureur a réglé cette somme.
Il sera fait droit à la demande de restitution de la somme de 16.500 euros, avec intérêts légaux à compter du présent arrêt, aucune mise en demeure n'ayant été adressée préalablement au présent litige aux fins de restitution de ladite somme ;

AUX MOTIFS QUE sur la restitution d'un trop perçu : Il n'est pas discuté que l'assureur a réglé la somme de 16.500 euros au titre des dommages immatériels concernant un précédent sinistre pour vol survenu sur une grue (MAS 16.0082).ECLI:FR:CCASS:2021:C200948

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