lundi 11 octobre 2021

Principe de concentration des moyens et autorité de la chose jugée

 Note S.  Amrani-Mekki, Procédures 202-10, p. 18.

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

CM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 1er juillet 2021




Rejet


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 690 F-B

Pourvoi n° N 20-11.706


Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [F] [G].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 26 novembre 2011.




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 1ER JUILLET 2021

M. [F] [G], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° N 20-11.706 contre l'arrêt rendu le 8 janvier 2019 par la cour d'appel de Reims (chambre civile, 1re section), dans le litige l'opposant à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel (CRCAM) du Nord-Est, société coopérative à capital variable, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bohnert, conseiller référendaire, les observations de Me Balat, avocat de M. [G], de la SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller, avocat de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Nord-Est, et après débats en l'audience publique du 26 mai 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Bohnert, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué, (Reims, 8 janvier 2019), la caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Nord-Est (la banque) a consenti à la société Pompes funèbres [G] trois prêts professionnels, garantis par la caution personnelle de M. [G].

2. La société Pompes funèbres [G] a été placée en liquidation judiciaire et par jugement d'un tribunal de commerce du 29 novembre 2012, confirmé par un arrêt du 27 novembre 2014, M. [G] a été condamné à payer une certaine somme à la banque au titre de ses engagements de caution.

3. M. [G] a assigné la banque pour voir juger qu'elle avait failli à ses obligations de conseil et de mise en garde. Cette dernière a opposé la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de chose jugée.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. M. [G] fait grief à l'arrêt de le déclarer irrecevable en ses prétentions, alors :

« 1°/ que l'autorité de chose jugée ne s'applique que si la demande est identique, fondée sur la même cause et formée entre les mêmes parties ; que le jugement du 29 novembre 2012 visé par l'arrêt attaqué ayant condamné M. [G], pris en sa qualité de caution de la société Pompes Funèbres [G], à verser diverses sommes au Crédit Agricole, la cour d'appel, en considérant que l'autorité de chose jugée par ce jugement s'opposait à la demande tendant à voir reconnaître la responsabilité de la banque au titre d'un manquement de celle-ci à son obligation de mise en garde et de conseil, cependant que les deux instances en cause avaient un objet différent, a violé l'article 1355 du code civil ;

2°/ que s'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci, il n'est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits ; qu'en considérant qu'en vertu du principe de concentration des moyens, M. [G] aurait dû invoquer la responsabilité de la banque dès l'instance engagée par celle-ci en vue de l'exécution du contrat de cautionnement, cependant que M. [G], en application du principe susvisé, n'était nullement tenu de présenter sa demande fondée sur la responsabilité de la banque lors de l'instance engagée par celle-ci en vue de l'exécution du contrat de cautionnement, la cour d'appel a violé l'article 1355 du code civil. »

Réponse de la Cour

5. Ayant relevé que, poursuivi en exécution de son engagement de caution, M. [G] avait seulement demandé des délais de paiement qui lui avaient été accordés par jugement du tribunal de commerce de Soissons du 29 janvier 2012 et n'avait invoqué la responsabilité civile de la banque et demandé sa condamnation à lui verser des dommages-intérêts venant en compensation des condamnations prononcées à son encontre qu'à titre subsidiaire devant la cour d'appel, laquelle avait déclaré sa demande irrecevable comme nouvelle en appel et confirmé le jugement, la cour d'appel en a exactement déduit que la demande dont elle était saisie, qui tendait à remettre en cause, par un moyen nouveau, la condamnation irrévocable de M. [G] au paiement des sommes dues au titre de ses engagements de caution et se heurtait à l'autorité de chose jugée attachée au jugement du tribunal de commerce de Soissons confirmé par la cour d'appel d'Amiens, était irrecevable.

6. Le moyen est, dès lors, mal fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Condamne M. [G] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du premier juillet deux mille vingt et un et signé par lui et Mme Martinel conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.


MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par Me Balat, avocat aux Conseils, pour M. [G]

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré M. [G] irrecevable en ses prétentions ;

AUX MOTIFS PROPRES QU' il résulte de l'article 122 du code de procédure civile que l'autorité de la chose jugée constitue une fin de non-recevoir, c'est-à-dire un moyen tendant à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir. Il résulte de l'article 1351 du code civil que l'autorité de la chose jugée fait obstacle à l'introduction d'une nouvelle action en justice, à la condition que !a nouvelle demande ait le même objet, soit fondée sur la même cause et oppose les mêmes parties. Cependant, la cause de la demande n'est pas assimilable au moyen, et il y a identité de cause entre les deux demandes lorsque celles-ci tendent à la même fin, peu important que les moyens de droit invoqués pour y parvenir soient différents. Or le principe de concentration des moyens impose aux parties de présenter dès l'instance initiale l'ensemble des moyens qui sont de nature soit à fonder la demande soit à justifier son rejet total ou partiel. Ainsi, en application de ce principe, la caution condamnée à paiement au bénéfice de la banque ne peut agir en justice contre cette dernière en paiement de dommages-intérêts et compensation, lorsque cette action ne tend qu'à remettre en cause, par un moyen nouveau, sa condamnation irrévocable à paiement. En l'espèce, M. [G] a été condamné par jugement du tribunal de commerce de Soissons en date du 29 janvier 2012 à payer à la CRCAM du Nord Est les sommes principales de 50.317,60 euros, 3.522,63 euros, 10.098,63 euros, 2.000 euros, 13.500,14 euros et 2.000 euros, outre les intérêts contractuels ou légaux, le tout en application de ses engagements de caution. Le jugement précise que M. [G], comparant en personne et non assisté d'un avocat, a seulement demandé des délais de paiement, auxquels il a été fait droit. M. [G] a interjeté appel et a conclu devant la cour à l'infirmation du jugement et au rejet des demandes en invoquant la disproportion de ses engagements de caution. Subsidiairement, il a sollicité la condamnation de la CRCAM à des dommages-intérêts à hauteur des sommes réclamées et la compensation entre sa dette et sa créance de dommages-intérêts, faisant valoir que la banque n'a pas respecté son devoir de conseil et de mise en garde. Par arrêt du 27 novembre 2014, la cour d'appel d'Amiens a déclaré irrecevables les prétentions de M. [G] en ce qu'elles sont nouvelles en appel sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile et a confirmé le jugement en toutes ses dispositions. Il est constant que la condamnation de M. [G] est définitive et irrévocable et qu'elle a autorité de la chose jugée. M. [G] a ensuite assigné la CRCAM devant le tribunal de grande instance de Reims en responsabilité civile. Il a sollicité la condamnation de celle-ci à lui payer la somme de 150.000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à son obligation de conseil et de mise en garde et la compensation avec les sommes qu'il doit à la CRCAM. Il maintient l'ensemble de ses demandes en appel. En vertu du principe de concentration des moyens, conjugué à celui de l'article 564 du code de procédure civile qui interdit de présenter des demandes nouvelles en appel, M. [G] aurait dû invoquer la responsabilité de la banque et formuler ses demandes de dommagesintérêts et de compensation dès l'instance devant le tribunal de commerce. Contrairement à ce qu'il soutient, il importe peu que ses demandes n'aient jamais été examinées par une juridiction. En effet, sous le couvert de demandes de dommages-intérêts et de compensation, l'action de M. [G] tend à remettre en cause, par un moyen nouveau, sa condamnation irrévocable à paiement. C'est en ce sens que son action heurte l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du tribunal de commerce de Soissons du 29 janvier 2012, confirmé par la cour d'appel d'Amiens ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QU' en vertu du principe de la concentration des moyens, il incombe aux parties, en ce compris le défendeur, de présenter dès l'instance initiale l'ensemble des moyens qu'elles estiment de nature soit à fonder la demande, soit à justifier son rejet total ou partiel. Il en découle que la caution irrévocablement condamnée à paiement ne peut, dans le cadre d'un second procès, engager la responsabilité de l'établissement de crédit et obtenir des dommages et intérêts venant en avec, sa créance du seul fait ces moyens n'ont pas été utilement soulevés dans le cadre de la première instance. En l'espèce, suivant jugement du 29 novembre 1012, Monsieur [F] [G] a été condamné à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Nord Est diverses sommes au titre des cautionnements consentis au bénéfice de celle-ci. Celui-ci n'a pas soulevé devant le Tribunal de commerce ses moyens tenant à l'inefficacité du cautionnement en raison de sa disproportion, ni n'a sollicité la condamnation de l'établissement financier en raison de la violation de son devoir de mise en garde, ces prétentions n'ayant été soulevées pour la première fois qu'à hauteur d'appel, et ayant de ce fait été rejetées par la Cour d'appel d'Amiens en son arrêt du 27 novembre 2014. Or, il incombait à Monsieur [F] [G], défendeur à l'action en paiement introduite par le Crédit Agricole Mutuel du Nord Est, de présenter devant le Tribunal de commerce l'ensemble des moyens qu'il estimait de nature à faire échec à la demande, et notamment ceux de nature à conduire à la condamnation reconventionnelle du demandeur. En outre, contrairement à ce que soutient Monsieur [F] [G] à tort, le fait que ses prétentions aient été déclarées irrecevables par la Cour d'appel d'Amiens pour avoir été soulevées pour la première fois à hauteur d'appel est sans effet sur la présente irrecevabilité du demandeur. En effet l'irrecevabilité des prétentions du demandeur dans le cadre de la présente instance découle, non du principe de l'autorité de la chose jugée, mais plus précisément du principe de la concentration des moyens ; en cela, l'irrecevabilité résulte du seul fait que ces prétentions n'ont pas été soulevées dans le cadre de la première instance lors du procès initial. Par suite, la solution aurait été identique si Monsieur [F] [G] s'était purement et simplement abstenu de soulever ces nouvelles prétentions à hauteur d'appel, la carence ayant été constituée dès la première instance. Il s'ensuit que la présente action intentée par la caution tendant à voir engager la responsabilité du créancier pour violation de son obligation de mise en garde et à le voir condamner à lui payer des dommages-intérêts venant en compensation avec les condamnations définitives prononcées préalablement à son encontre est irrecevable, pour ne pas avoir été formés en temps utile ; ce dès lors qu'une telle action a manifestement pour effet et pour objet, au moins indirect, de remettre en cause lesdites condamnations définitives à son encontre ;

ALORS, D'UNE PART, QUE l'autorité de chose jugée ne s'applique que si la demande est identique, fondée sur la même cause et formée entre les mêmes parties ; que le jugement du 29 novembre 2012 visé par l'arrêt attaqué (p. 7 in fine) ayant condamné M. [G], pris en sa qualité de caution de la société Pompes Funèbres [G], à verser diverses sommes au Crédit Agricole, la cour d'appel, en considérant que l'autorité de chose jugée par ce jugement s'opposait à la demande tendant à voir reconnaître la responsabilité de la banque au titre d'un manquement de celle-ci à son obligation de mise en garde et de conseil, cependant que les deux instances en cause avaient un objet différent, a violé l'article 1355 du code civil ;

ALORS, D'AUTRE PART, QUE s'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci, il n'est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits ; qu'en considérant qu'en vertu du principe de concentration des moyens, M. [G] aurait dû invoquer la responsabilité de la banque dès l'instance engagée par celle-ci en vue de l'exécution du contrat de cautionnement (arrêt attaqué, p. 7 in fine), cependant que M. [G], en application du principe susvisé, n'était nullement tenu de présenter sa demande fondée sur la responsabilité de la banque lors de l'instance engagée par celle-ci en vue de l'exécution du contrat de cautionnement, la cour d'appel a violé l'article 1355 du code civil. ECLI:FR:CCASS:2021:C200690

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