mardi 25 janvier 2022

Conséquences de la direction de la procédure par l'assureur

 Note A. Pimbert, RGDA 2022-4, p. 20.

Note E. Coyault, RCA 2022-4, p. 58.

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 19 janvier 2022




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 55 F-D

Pourvoi n° E 20-21.865




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 JANVIER 2022

La société Art du Toit Charpente, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 5], a formé le pourvoi n° E 20-21.865 contre l'arrêt rendu le 17 septembre 2020 par la cour d'appel de Rennes (4e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Mutuelle des architectes français, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ à M. [F] [M],

3°/ à Mme [B] [V],

domiciliés tous deux [Adresse 2],

4°/ à la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), dont le siège est [Adresse 3],

5°/ à la société Breizh. Ar. Tec., société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 4], prise en la personne de son liquidateur amiable, Mme [Z] [T]-[R], domiciliée [Adresse 4],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Art du Toit Charpente, de la SCP Boulloche, avocat de la société Mutuelle des architectes français, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de M. [M] et de Mme [V], de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la SMABTP, après débats en l'audience publique du 30 novembre 2021 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Art du toit charpente du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Breiz.ar.tec, prise en la personne de son liquidateur amiable, Mme [R].

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 17 septembre 2020), M. [M] et Mme [V] ont confié à la société d'architecture Breiz.ar.tec, dont la gérante, architecte, est assurée auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF), la maîtrise d'oeuvre de la construction d'une maison à ossature en bois.

3. La société Art du toit charpente, assurée auprès de la SMABTP, a été chargée des lots charpente, murs, bardage et isolation.

4. Le couvreur ayant refusé d'intervenir en raison des malfaçons affectant la charpente, le chantier a été interrompu.

5. Invoquant la dégradation des travaux réalisés du fait des intempéries et la nécessité d'une démolition-reconstruction, M. [M] et Mme [V] ont, après expertise, assigné en réparation les sociétés Breiz.ar.tec et Art du toit charpente, la MAF et la SMABTP.

6. La MAF a dénié sa garantie, au motif qu'elle n'était pas l'assureur de la société Breiz.ar.tec mais de sa gérante, architecte, prise à titre personnel.

Examen des moyens

Sur les premier et deuxième moyens, ci-après annexés

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

8. La société Art du toit charpente fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en garantie formée à l'encontre de la MAF, alors « que l'assureur qui prend la direction d'un procès intenté à l'assuré est censé renoncer à toutes les exceptions dont il avait alors connaissance ; qu'en jugeant, pour exclure la garantie de la MAF, qu'elle n'assurait pas la société Breiz.ar.tec mais sa gérante, Mme [R], et que, bien qu'elle ait tardé à dénier sa garantie, après être intervenue en phase amiable auprès du maître d'oeuvre, il n'était « pas possible de faire application de l'article L. 113-17 du code des assurances car la société Breiz. Ar Tec n'a[vait] jamais eu la qualité d'assuré » alors qu'un assureur qui prend la direction du procès renonce à invoquer toute cause d'exclusion de garantie, notamment celle tirée de l'absence de qualité d'assurée de la personne mise en cause, la cour d'appel a méconnu l'article L. 113-17 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

9. La MAF conteste la recevabilité du moyen, aux motifs que la société Art du toit charpente ne s'est pas prévalue devant le juge du fond de la renonciation de l'assureur aux exceptions prise de la direction du procès, laquelle n'était invoquée que par les maîtres de l'ouvrage, et qu'une partie n'est pas recevable à critiquer le rejet des demandes d'une autre partie.

8. Toutefois, la société Art du toit charpente ayant soutenu, dans ses conclusions d'appel, que la MAF avait assuré la défense effective de la société Breiz.ar.tec lors du procès, de sorte qu'elle devait sa garantie et le moyen ne critiquant que le chef de dispositif qui la concerne, celui-ci est recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 113-17 du code des assurances :

9. Selon ce texte, l'assureur qui prend la direction d'un procès intenté à l'assuré est censé ainsi renoncer à toutes les exceptions dont il avait connaissance lorsqu'il a pris la direction du procès.

10. Si les exceptions visées par ce texte, en ce qu'elles se rapportent aux garanties souscrites, ne concernent ni la nature des risques souscrits ni le montant de la garantie (1re Civ., 8 juillet 1997, pourvoi n° 95-12.817, Bull. 1997, I, n° 233 ; 3e Civ., 29 janvier 2014, pourvoi n° 12-27.919, Bull. 2014, III, n° 12), il est cependant jugé que l'absence de qualité d'assuré constitue une exception de non-garantie au sens de celui-ci (2e Civ., 22 février 2007, pourvois n° 05-18.162 et n° 05-21.455).

11. Pour rejeter la demande en garantie formée par la société Art du toit charpente à l'encontre de la MAF, l'arrêt retient que la MAF assurait Mme [R], en sa qualité d'architecte exerçant à titre personnel, et non la société Breiz.ar.tec dont celle-ci était la gérante, et qu'il n'est pas possible de faire application des dispositions de l'article L. 113-7 du code des assurances, dès lors que la société Breiz.ar.tec n'a jamais eu la qualité d'assuré.

12. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande en garantie formée par la société Art du toit charpente à l'encontre de la Mutuelle des architectes français, l'arrêt rendu le 17 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes autrement composée ;

Condamne la Mutuelle des architectes français aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;



Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf janvier deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour la société Art du Toit Charpente

PREMIER MOYEN DE CASSATION

La société Art du Toit Charpente fait grief à l'arrêt de l'AVOIR déclarée responsable des préjudices subis par les maîtres de l'ouvrage et de l'AVOIR condamnée en conséquence à verser aux consorts [M]-[V] les sommes de 96 868,23 euros au titre des travaux de démolition et de reconstruction de l'ouvrage, 11 960,30 euros au titre des frais de maîtrise d'oeuvre, 7 500 euros au titre des frais d'études, 7 000 euros au titre des frais d'assurance dommages ouvrage, 29 460,30 euros TTC au titre des frais annexes, les sommes de 2 967,93 euros, 3 967,33 euros et 999,40 euros, en remboursement de divers frais exposés, de 20 000 € en réparation de leur préjudice de jouissance, de 6 000 € en réparation de leur préjudice moral et la somme de 9 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

1°) ALORS QUE les dommages et intérêts ne sont dus que lorsque le débiteur est en demeure de remplir son obligation ; qu'en retenant, pour condamner la société Art du Toit Charpente à indemniser les maîtres de l'ouvrage de l'intégralité des frais de démolition et de reconstruction de l'ouvrage, qu'en raison des malfaçons affectant la charpente qu'elle avait réalisée, dont les mesures correctives étaient « simples à mettre en oeuvre », le couvreur n'avait pas pu intervenir et que l'ouvrage, qui n'avait jamais été protégé, s'était irréversiblement détérioré (arrêt page 6, antépénultième, pénultième et dernier al.), sans répondre aux conclusions de l'exposante (conclusions page 12, al. 6 à 8), selon lesquelles il n'avait jamais été mis en demeure de reprendre son ouvrage, la cour d'appel a méconnu l'article 455 du code de procédure civile ;

2°) ALORS QUE les dommages et intérêts ne sont dus que lorsque le débiteur est en demeure de remplir son obligation ; qu'en se bornant à se référer à l'existence d'une demande de reprise adressée à l'exposante (arrêt page 7, al. 1er), sans rechercher si la société Art du Toit Charpente n'était pas intervenue à la suite de cette demande de rectification, adressée par lettre le 5 septembre 2011, cette intervention donnant lieu, le 13 septembre suivant, à l'apposition d'une mention selon laquelle les points à corriger l'avaient été ce jour, de sorte qu'en l'absence, après cette date, d'une véritable mise en demeure de reprise de son ouvrage, l'exposante ne pouvait engager sa responsabilité contractuelle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1146 et 1147 du code civil, dans sa version antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

3°) ALORS QUE le débiteur n'est tenu que de réparer les dommages qui constituent la suite prévisible de son inexécution ; qu'en condamnant l'exposante à supporter l'ensemble des dépenses nécessaires à la démolition et à la reconstruction intégrale de la maison des consorts [M]-[V] sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si ces dommages constituaient les suites prévisibles des quelques désordres mineurs qui affectaient son ouvrage, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1150 du code civil, dans sa version antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

4°) ALORS QUE le juge doit respecter et faire respecter le principe de la contradiction de sorte qu'il ne peut soulever d'office un moyen de droit sans inviter les parties à présenter leurs observations ; qu'en jugeant, pour retenir la responsabilité de la société Art du Toit, qu'elle aurait été tenue d'une obligation d'assurer la protection de son ouvrage contre les intempéries, sans appeler les observations des parties sur ce moyen, non invoqué par les consorts [M]-[V], dont elle faisait d'office application, la cour d'appel a méconnu l'article 16 du code de procédure civile ;

5°) ALORS QU'en toute hypothèse, l'exposante soulignait qu'elle était intervenue pour réaliser le lot charpente, avant l'intervention du couvreur, sous la supervision de la société Breiz. Ar. Tec. qui avait reçu une mission complète de maîtrise d'ouvrage ; qu'en jugeant, que l'exposante était tenue d'une obligation d'assurer la protection de son ouvrage contre les intempéries, sans indiquer sur quel élément contractuel elle se fondait pour retenir l'existence d'une obligation de la société Art du Toit de protéger l'ouvrage contre les intempéries postérieurement à son intervention, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa version antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

La société Art du Toit Charpente fait grief à l'arrêt d'AVOIR rejeté sa demande de garantie formée à l'encontre de la SMABTP ;

1°) ALORS QUE le juge doit respecter et faire respecter le principe de la contradiction de sorte qu'il ne peut soulever d'office un moyen de droit sans inviter les parties à présenter leurs observations ; qu'en se fondant, pour exclure la garantie de la SMABTP, sur une définition de l'accident expressément donnée par une clause se trouvant en « page 36 des conditions générales » du contrat, qui n'avait pas été invoquée par l'assureur, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

2°) ALORS QU'en toute hypothèse, la clause litigieuse, qui définissait la notion d'accident, s'appliquait exclusivement à « la garantie de responsabilité en cas d'atteintes à l'environnement » ; qu'en appliquant, pour exclure la condamnation de la SMABTP, une clause sans rapport avec l'objet de la garantie dont l'application était discutée, la cour d'appel a méconnu l'article 1134 du code civil, dans sa version antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

La société Art du Toit Charpente fait grief à l'arrêt infirmatif d'AVOIR débouté la société Art du Toit Charpente de sa demande de garantie formée à l'encontre de la MAF ;

ALORS QUE l'assureur qui prend la direction d'un procès intenté à l'assuré est censé renoncer à toutes les exceptions dont il avait alors connaissance ; qu'en jugeant, pour exclure la garantie de la MAF, qu'elle n'assurait pas la société Breiz. Ar. Tec mais sa gérante, Mme [R], et que, bien qu'elle ait tardé à dénier sa garantie, après être intervenue en phase amiable auprès du maître d'oeuvre, il n'était « pas possible de faire application de l'article L. 113-17 du code des assurances car la société Breiz. Ar Tec n'a[vait] jamais eu la qualité d'assuré » (arrêt page 11, al. 4) alors qu'un assureur qui prend la direction du procès renonce à invoquer toute cause d'exclusion de garantie, notamment celle tirée de l'absence de qualité d'assurée de la personne mise en cause, la cour d'appel a méconnu l'article L. 113-17 du code des assurances.ECLI:FR:CCASS:2022:C300055

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