vendredi 28 janvier 2022

Le juge qui a refusé d'examiner le fond de la demande, en appliquant un texte réglementaire rétroactivement, a excédé ses pouvoirs

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 janvier 2022




Cassation


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 55 F-B

Pourvoi n° R 20-17.344






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 13 JANVIER 2022

La société Le Cadre, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° R 20-17.344 contre l'ordonnance de référé rendue le 6 juillet 2020 par le premier président de la cour d'appel de Colmar (1re chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Alo, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Durin-Karsenty, conseiller, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de la SARL Le Cadre, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la SCI Alo, après débats en l'audience publique du 24 novembre 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Durin-Karsenty, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par un premier président, (Colmar, 6 juillet 2020), par actes des 6 et 15 novembre 2016, la SCI Alo (la SCI) ayant donné des locaux à bail à la SARL Le Cadre (la SARL), cette dernière l'a assignée devant un tribunal judiciaire aux fins de constatation de l'acquisition de la clause résolutoire, expulsion et condamnation au paiement de diverses sommes.

2. Par jugement du 11 février 2020, le tribunal a accueilli partiellement les demandes et ordonné l'exécution provisoire.

3. La SARL Le Cadre a assigné la SCI Alo devant un premier président aux fins d'arrêt de l'exécution provisoire.

Recevabilité du pourvoi contestée par la défense

Vu l'article 525-2 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2014-1338 du 6 novembre 2014 :

4. Si, lorsqu'il est saisi en application des articles 524, 525 et 525-1, le premier président statue en référé par une décision non susceptible de pourvoi, le pourvoi est recevable lorsque celle-ci est entachée d'un excès de pouvoir ou qu'elle consacre un excès de pouvoir.

5. Le pourvoi est, dès lors, recevable.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexé

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. La SARL fait grief à l'ordonnance de déclarer irrecevable sa demande tendant à l'arrêt de l'exécution provisoire dont était assorti le jugement du 11 février 2020, alors « que les dispositions issues du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, et notamment l'article 514-3 du code de procédure civile, ne sont applicables qu'aux instances introduites devant les juridictions de premier degré à compter du 1er janvier 2020 ; que le tribunal judiciaire de Strasbourg ayant été saisi en novembre 2016 par acte d'huissier en date des 6 et 15 novembre 2016, le premier président de la cour d'appel ne pouvait faire application de la fin de non-recevoir déduite par l'article 514-3 alinéa 2 du code de procédure civile, en sa rédaction résultant du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 de ce que l'exécution provisoire n'avait pas été discutée en première instance, sans violer l'article 55 de ce décret, ensemble l'article 524 du code de procédure civile en sa rédaction antérieure audit décret. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 55, II, du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 :

8. Selon ce texte, les dispositions de l'article 3 du décret précité relatives à l'instauration du principe de l'exécution provisoire de droit s'appliquent aux instances introduites devant les juridictions du premier degré à compter du 1er janvier 2020.

9. Pour déclarer irrecevable la demande tendant à l'arrêt de l'exécution provisoire du jugement, l'ordonnance retient que le jugement ayant été rendu le 11 février 2020, il y a lieu d'appliquer les dispositions du décret du 11 décembre 2019. Elle relève qu'en cas d'appel, le premier président ne peut être saisi que s'il y a un moyen sérieux d'annulation ou de réformation de la décision et si l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives, mais que celles-ci ne peuvent être invoquées par la partie, qui n'a pas fait d'observation sur l'exécution en première instance, que si elles surviennent postérieurement à la décision. Elle ajoute que la SARL n'a pas présenté d'observation, en première instance, sur l'exécution provisoire sollicitée par la SCI.

10. En statuant ainsi, sur le fondement de l'article 514-3, issu du décret du 11 décembre 2019, alors que ce texte n'était pas applicable à l'instance introduite avant le 1er janvier 2020, le premier président, qui a ainsi refusé d'examiner le fond de la demande dont il était saisi en appliquant ce texte réglementaire rétroactivement, a excédé ses pouvoirs.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 6 juillet 2020, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Colmar ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cette ordonnance et les renvoie devant la juridiction du premier président de la cour d'appel de Colmar, autrement composée ;

Condamne la SCI Alo aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance cassée ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize janvier deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat aux Conseils, pour la SARL Le Cadre

La SARL Le Cadre fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir déclaré irrecevable la demande de la SARL Le Cadre tendant à l'arrêt de l'exécution provisoire dont était assorti le jugement du 11 février 2020 ;

Alors, de première part, que les dispositions issues du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, et notamment l'article 514-3 du code de procédure civile, ne sont applicables qu'aux instances introduites devant les juridictions de premier degré à compter du 1er janvier 2020 ; que le tribunal judiciaire de Strasbourg ayant été saisi en novembre 2016 par acte d'huissier en date des 6 et 15 novembre 2016, le premier président de la cour d'appel ne pouvait faire application de la fin de non-recevoir déduite par l'article 514-3 alinéa 2 du code de procédure civile, en sa rédaction résultant du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 de ce que l'exécution provisoire n'avait pas été discutée en première instance, sans violer l'article 55 de ce décret, ensemble l'article 524 du code de procédure civile en sa rédaction antérieure audit décret ;

Alors, d'autre part, en toute hypothèse, qu'en tout état de cause, en se bornant pour justifier l'application en l'espèce des « dispositions du décret du 11 décembre 2019 » à relever « que la décision dont il a été interjeté appel par la SARL Le Cadre a été rendue le 11 février 2020 », le premier président de la cour d'appel qui a ainsi statué par un motif inopérant sans constater que l'instance avait été introduite avant le 1er janvier 2020, a privé sa décision de base légale au regard des dispositions précitées ;

Alors enfin qu'en soulevant d'office le moyen déduit de l'application en la cause de la fin de non-recevoir énoncée à l'alinéa 2 de l'article 514-3 du code de procédure civile, sans inviter précisément les parties à s'expliquer sur ce point, au-delà de la seule question de savoir si la question de l'exécution provisoire avait fait l'objet d'un débat devant les premiers juges, le premier président de la cour d'appel a méconnu l'article 16 du code de procédure civile ;ECLI:FR:CCASS:2022:C200055

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