vendredi 28 janvier 2022

L'examen des pièces produites participe de l'obligation de motivation pesant sur le juge

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 6 janvier 2022




Cassation partielle


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 41 F-D

Pourvoi n° G 18-20.273




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 JANVIER 2022

La caisse primaire centrale d'assurance maladie (CPCAM) des Bouches-du-Rhône, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° G 18-20.273 contre l'arrêt rendu le 1er juin 2018 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (14e chambre), dans le litige l'opposant à Mme [C] [O], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Vigneras, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône, de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [O], et l'avis de M. Halem, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 17 novembre 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Vigneras, conseiller référendaire rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Aubagna, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 1er juin 2018) et les productions, Mme [O], infirmière libérale (la professionnelle de santé), a fait l'objet d'un contrôle de facturation portant sur les années 2008 et 2009 par la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône (la caisse), à l'issue duquel cette dernière lui a notifié un indu, le 15 novembre 2010, suivi de deux mises en demeure et d'une pénalité financière.

2. L'intéressée a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

3. La caisse fait grief à l'arrêt d'annuler les procédures de contrôle, de recouvrement de l'indu et de mise en oeuvre des pénalités financières, alors « que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en l'espèce la caisse avait produit aux débats la carte professionnelle de M. [S] qui établissait que son agent était non seulement agréé mais aussi assermenté à la date des opérations litigieuses ; qu'à supposer que la cour d'appel n'ait pas dénaturé cette carte professionnelle, en n'en tenant pas compte, elle a violé ensemble l'article 455 du code de procédure civile et l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

4. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.

5. Pour accueillir les recours de la professionnelle de santé, l'arrêt énonce que l'agent de contrôle était agréé par son directeur, mais qu'il n'est pas établi qu'à la date de l'audition de celle-ci, il aurait été assermenté.

6. En statuant ainsi, sans examiner les pièces et documents produits par la caisse et notamment, la carte professionnelle de l'agent de contrôle concerné, la cour d'appel a méconnu les exigences du texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il ordonne la jonction des procédures n° 15/08652 et 15/08654 sous le numéro 15/08652, l'arrêt rendu le 1er juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

Condamne Mme [O] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [O] et la condamne à payer à la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône la somme de 2 800 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six janvier deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat aux Conseils, pour la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'Avoir ordonné la jonction des procédures n°15/08652 et 15/08654 sous le n°15/08652, d'Avoir infirmé :
- le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches du Rhône du 16 avril 2015 (21106575) qui avait rejeté les recours de Madame [C] [O] tendant à contester l'indu réclamé par la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches du Rhône au titre des années 2008 et 2009 résultant d'une facturation excessives d'actes cotés AIS3 pour les années 2008 et 2009 et d'Avoir condamné Madame [O] à payer à la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches du Rhône la somme de 170.247 € ainsi que celle de 1 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile
- et le jugement tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches du Rhône du 16 avril 2015 (21201386) qui avait rejeté le recours de Madame [O], l'avait déboutée de toutes ses autres demandes et l'avait condamnée à payer à la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches du Rhône la somme de 17.530,98 € à titre de pénalité financière infligée par décision du 29 juillet 2011 ainsi que celle de 1 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,
et statuant à nouveau, d'Avoir annulé l'audition du 6 octobre 2010, dit que cette annulation entraîne l'annulation de toute la procédure de contrôle, de la procédure de recouvrement de l'indu et de la procédure de mise en oeuvre des pénalités financières et, en conséquence, d'Avoir débouté la caisse primaire centrale d'assurance maladie de toutes ses demandes, et condamné la caisse primaire centrale d'assurance maladie à payer à Madame [O] la seule somme de 8 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

AUX MOTIFS QUE « Madame [O] a été convoquée et entendue dans les locaux de la caisse primaire centrale d'assurance maladie, le 6 octobre 2010, par Monsieur [S] qui avait mentionné dans le procès-verbal d'audition qu'il était ‘agréé' par le directeur général de la CNAM, et ‘ayant prêté serment devant le juge d'instance agissant conformément aux dispositions des articles L.114-10 et L. 243-9 du code de la sécurité sociale.' Après de multiples demandes de Madame [O] et de son avocat, qui soulevaient l'irrégularité de cette audition, la caisse a communiqué la pièce justifiant que Monsieur [S] était bien titulaire d'un agrément, comme il l'avait précisé (pièce communiquée le 22 décembre 2017).
Il résulte de cette pièce que Monsieur [S] avait effectivement reçu un agrément du directeur général de la caisse nationale en date du 16 février 2005.

Dans ses conclusions, la caisse primaire d'assurance fait valoir que Monsieur [S] avait prêté serment devant le tribunal d'instance de Marseille le 16 mai 2005.
Or, en dépit des demandes de l'avocat de l'appelante, la caisse n'a pas communiqué la preuve de cette prestation de serment.
La cour constate que Monsieur [S] était ‘agréé' par son directeur, mais qu'il n'est pas établi qu'à la date de l'audition de Madame [O], il aurait été ‘assermenté.'
Or, cette assermentation est une condition essentielle de la validité des enquêtes faites par les agents de cette caisse dans le cadre des articles L.114-10 et L.243-9 du code de la sécurité sociale.
En conséquence, l'audition doit être annulée.
Cette annulation entraîne l'annulation de tous les actes et procédures ayant suivi, y compris la procédure de mise en oeuvre de la pénalité financière décidée le 29 juillet 2011 telle que prévue et déterminée par l'article L.162-1-14 du code de la sécurité sociale puisque la seule justification de cette pénalité, qui est le non respect de la règlementation en vigueur suivie d'une procédure de répétition de l'indu ou de toute autre demande de condamnation au remboursement des sommes indues, n'existe plus du fait de l'annulation de la procédure de contrôle et des actes subséquents. »

ALORS D'UNE PART QU'il résulte des mentions de la « carte d'identité professionnelle agent de contrôle assermenté », régulièrement produite aux débats par la CPCAM des Bouches du Rhône et revêtue du cachet du tribunal d'instance de Marseille que Monsieur [S], « a été agréé(e) comme agent de contrôle assermenté près la caisse de Marseille par le Directeur Général de la Caisse Nationale de l'Assurance Maladie des Travailleurs Salariés et a prêté serment devant le Juge du Tribunal d'Instance de Marseille le 16 mai 2005 » ; qu'en retenant, pour faire droit au moyen de nullité de toute la procédure présenté par l'infirmière, qu'en produisant cette pièce aux débats, la caisse aurait établi que Monsieur [S] avait effectivement reçu un agrément du directeur général de la caisse nationale le 16 février 2005 mais non que « la caisse n'a pas communiqué la preuve de cette prestation de serment » pour démontrer que Monsieur [S] aurait été assermenté le 6 octobre 2010, date de l'audition de Madame [O], la cour d'appel a dénaturé cette carte d'identité professionnelle et ainsi violé l'article 1103 du code civil ;

ALORS D'AUTRE PART QUE les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en l'espèce la CPCAM des Bouches du Rhône avait produit aux débats la carte professionnelle de Monsieur [S] qui établissait que son agent était non seulement agréé mais aussi assermenté à la date des opérations litigieuses ; qu'à supposer que la cour d'appel n'ait pas dénaturé cette carte professionnelle, en n'en tenant pas compte, elle a violé ensemble l'article 455 du code de procédure civile et l'article 6-1 de la convention européenne des droits de l'homme.ECLI:FR:CCASS:2022:C200041

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