mardi 17 décembre 2024

Les éléments d'équipement installés en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant relèvent de la responsabilité contractuelle de droit commun, non soumise à l'assurance obligatoire des constructeurs

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 5 décembre 2024




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 655 F-D

Pourvoi n° S 23-13.562




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 5 DÉCEMBRE 2024

La société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° S 23-13.562 contre l'arrêt rendu le 14 décembre 2022 par la cour d'appel de Rennes (5e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [Z] [E], domicilié [Adresse 2],

2°/ à la société Suravenir assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],

3°/ à la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Bretagne Pays de la Loire, dont le siège est [Adresse 3],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, quatre moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Brillet, conseiller, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Axa France IARD, de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Bretagne Pays de la Loire, de Me Haas, avocat de la société Suravenir assurances, après débats en l'audience publique du 5 novembre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Brillet, conseiller rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 14 décembre 2022), M. et Mme [H] ont fait construire une maison d'habitation. Sont notamment intervenus à l'opération, la société Hamon constructions, assurée auprès de la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Bretagne Pays de la Loire (la CRAMA), en charge du gros oeuvre, de la maçonnerie et de la fumisterie, et M. [E], assuré auprès de la CRAMA, en charge de la couverture zinguerie.

2. Les travaux ont été achevés en juin 2009.

3. M. et Mme [H] ont souscrit un contrat multirisques habitation auprès de la société Suravenir assurances.

4. Un poêle à bois a été installé dans la maison courant 2010 par la société [O], assurée auprès de la société Axa France IARD (la société Axa France).

5. Le 29 décembre 2012, un incendie s'est déclaré dans la maison.

6. La société Suravenir assurances, après expertise et indemnisation de ses assurés, a assigné la CRAMA, en sa double qualité d'assureur de la société Hamon constructions et de M. [E], la société Axa France et M. [E] pour obtenir leur condamnation solidaire à lui payer une certaine somme.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

7. La société Axa France fait grief à l'arrêt de la condamner in solidum avec la CRAMA et M. [E] à payer à la société Suravenir assurances une certaine somme, alors « que constitue un contrat d'entreprise celui qui porte non sur des choses déterminées à l'avance mais sur un travail spécifique destiné à répondre aux besoins particuliers exprimés par le donneur d'ordre ; qu'en l'espèce, la société Axa France a fait valoir que le contrat qui liait son assurée, la société [O], à M. et Mme [H] était un contrat de vente et non un contrat d'entreprise, de sorte que la responsabilité de son assurée n'était pas engagée sur le terrain de la garantie décennale ; que la cour a retenu, pour décider que la convention liant les époux [H] à la société [O] était un contrat d'entreprise, que « contrairement à ce que soutient la société Axa France, la pose de ce nouvel élément d'équipement nécessitait un travail spécifique pour raccorder la nouvelle installation de poêle à l'installation existante dans la maison et ce d'autant plus que la pose du conduit de marque Poujoulat supposait des spécifications et préconisations techniques »; qu'en statuant par ces motifs impropres à caractériser l'existence d'un travail spécifique réalisé par la société [O], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1787 du code civil. »

Réponse de la Cour

8. Ayant constaté que la prestation de la société [O] concernait la fourniture, ainsi que la pose, d'un poêle à bois et souverainement retenu que celle-ci nécessitait un travail spécifique pour raccorder la nouvelle installation à celle existante dans la maison, la pose du conduit de marque Poujoulat supposant des spécifications et préconisations techniques, la cour d'appel a pu en déduire que la convention liant M. et Mme [H] à la société [O] s'analysait en un contrat de louage d'ouvrage, avec fourniture d'un poêle et de tous les accessoires nécessaires, et non pas en un contrat de vente.

9. Elle a ainsi légalement justifié sa décision.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

10. La société Axa France fait le même grief à l'arrêt, alors « que si la jurisprudence nouvelle s'applique de plein droit aux situations antérieures, le juge doit, lorsque la mise en oeuvre de ce principe est de nature à affecter irrémédiablement la situation des parties ayant agi de bonne foi en se conformant à l'état du droit applicable à la date de leur action, évaluer les inconvénients justifiant qu'il soit fait exception au principe de la rétroactivité de la jurisprudence et rechercher, au cas par cas, s'il existe, entre les avantages qui y sont attachés et ses inconvénients, une disproportion manifeste ; qu'en l'espèce, la société Axa France faisait valoir que l'application de la jurisprudence issue des arrêts rendus par la Cour de cassation à partir du 15 juin 2017 concernant la responsabilité décennale des installateurs d'éléments d'équipement n'avait pas vocation à s'appliquer aux faits de l'espèce qui étaient antérieurs puisque cela portait atteinte à la sécurité juridique ; que la cour a estimé, pour écarter cette argumentation, que la sécurité juridique invoquée sur le fondement du droit à un procès équitable ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence immuable ; qu'en statuant de la sorte, sans procéder à une évaluation des inconvénients justifiant qu'il soit fait exception au principe de la rétroactivité de la jurisprudence, ni rechercher s'il n'existait pas une disproportion manifeste entre les avantages de ce principe et lesdits inconvénients, la cour n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

11. L'application immédiate de la jurisprudence issue de l'arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 15 juin 2017 (pourvoi n° 16-19.640) n'ayant pas privé la société Axa France de l'accès au juge, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche inopérante (1re Civ., 11 juin 2009, pourvoi n° 07-14.932 et pourvoi n° 08-16.914, Bull. 2009, I, n° 124), a exactement énoncé que la sécurité juridique, invoquée sur le fondement du droit à un procès équitable pour contester l'application immédiate d'une solution nouvelle résultant d'une évolution de jurisprudence, ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée.

12. Elle a ainsi légalement justifié sa décision.

Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

13. La société Axa France fait le même grief à l'arrêt, alors « que seuls relèvent de la garantie décennale les désordres causés par les travaux constitutifs d'un ouvrage ; que des travaux d'installation d'un poêle raccordé à un conduit de fumée existant ne constituent pas un ouvrage et ne relèvent pas de la garantie décennale ; qu'en décidant que la responsabilité décennale de la société [O] était engagée pour de tels travaux, la cour a violé l'article 1792 du code civil. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

14. Les sociétés CRAMA et Suravenir assurances contestent la recevabilité du moyen aux motifs qu'il est nouveau, mélangé de fait et de droit, et que la société Axa France y a tacitement renoncé.

15. Cependant, le moyen, dont il ne résulte pas des écritures d'appel de la société Axa France qu'elle y aurait tacitement renoncé, est de pur droit, dès lors qu'il ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond.

16. Il est, dès lors, recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 1792, 1792-2 et 1792-3 du code civil :

17. La troisième chambre civile de la Cour de cassation jugeait, depuis 2017, que les désordres affectant des éléments d'équipement, dissociables ou non, d'origine ou installés sur existant, relevaient de la responsabilité décennale lorsqu'ils rendaient l'ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination (3e Civ., 15 juin 2017, pourvoi n° 16-19.640, Bull. 2017, III, n° 71 ; 3e Civ., 14 septembre 2017, pourvoi n° 16-17.323, Bull. 2017, III, n° 100).

18. Elle juge désormais que, si les éléments d'équipement installés en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant ne constituent pas en eux-mêmes un ouvrage, ils ne relèvent ni de la garantie décennale ni de la garantie biennale de bon fonctionnement, quel que soit le degré de gravité des désordres, mais de la responsabilité contractuelle de droit commun, non soumise à l'assurance obligatoire des constructeurs (3e Civ., 21 mars 2024, pourvoi n° 22-18.694, publié).

19. Pour condamner la société Axa France à payer à la société Suravenir assurances une certaine somme, l'arrêt retient que les désordres affectant des éléments d'équipement, dissociables ou non, d'origine ou installés sur existants, relèvent de la garantie décennale lorsqu'ils rendent l'ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination.

20. Il en déduit que la responsabilité de la société [O] est susceptible d'être recherchée sur le fondement de l'article 1792 du code civil, dès lors que les travaux concernant le poêle ont conduit à l'incendie et ont rendu l'immeuble impropre à sa destination.

21. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

22. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt condamnant la société Axa France, in solidum avec la CRAMA et M. [E], à payer à la société Suravenir assurances la somme de 95 621,89 euros entraîne la cassation des chefs de l'arrêt la condamnant, in solidum avec la CRAMA et M. [E], au paiement d'une indemnité au titre des frais irrépétibles et des dépens de première instance et fixant, dans ses rapports avec la CRAMA, sa contribution à ces somme, indemnité et dépens ainsi que la cassation des chefs de l'arrêt condamnant la société Axa France au titre des frais irrépétibles et des dépens de l'instance d'appel, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs , la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme le jugement ayant, d'une part, condamné la société Axa France IARD, in solidum avec la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Bretagne Pays de la Loire et M. [E], à payer à la société Suravenir assurances la somme de 95 621,89 euros et une indemnité au titre des frais irrépétibles ainsi qu'au paiement des dépens de première instance et ayant, d'autre part, fixé, dans leurs rapports, la contribution de la société Axa France IARD et de la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Bretagne Pays de la Loire à ces somme, indemnité et dépens et en ce qu'il condamne la société Axa France IARD au titre des frais irrépétibles et des dépens de l'instance d'appel, l'arrêt rendu le 14 décembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée ;

Condamne la société Suravenir assurances aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq décembre deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300655

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