Voir note Barbaro, RGDA 2015, p. 490.
Cour de cassation
chambre commerciale
Audience publique du mardi 9 juin 2015
N° de pourvoi: 14-15.074 14-15.123 14-15.592
Publié au bulletin Rejet
Mme Mouillard (président), président
SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, SCP Piwnica et Molinié, SCP Spinosi et Sureau, avocat(s)
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Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Vu leur connexité, joint les pourvois n° C 14-15. 123 et N 14-15. 592 formés par la société Axa Corporate Solutions Assurance (la société Axa), et n° Z 14-15. 074 formé par la société Electricité réseau distribution France (la société ERDF) ;
Sur la déchéance du pourvoi n° C 14-15. 123, soulevée d'office, après avertissement délivré aux parties, en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt rendu le 4 juin 2013 :
Vu l'article 978, alinéa 1er, du code de procédure civile ;
Attendu qu'aucun grief n'étant formulé contre l'arrêt du 4 juin 2013, il y a lieu de constater la déchéance partielle du pourvoi en ce qu'il est dirigé contre cet arrêt ;
Sur le pourvoi n° C 14-15. 123 en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt rendu le 11 février 2014 et sur les pourvois n° N 14-15. 592 et Z 14-15. 074 :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 11 février 2014, RG : n° 11/ 09047), qu'estimant que la société ERDF avait commis une faute à son égard lors du traitement de sa demande de raccordement de son installation photovoltaïque au réseau public de distribution d'électricité, la société Green Yellow Hyères Sup (la société Green Yellow) l'a assignée pour obtenir la poursuite de la procédure de raccordement sous astreinte et subsidiairement le paiement de dommages-intérêts ; que la société Axa, assureur responsabilité civile professionnelle de la société ERDF, a été appelée en garantie par son assuré ;
Sur les premiers moyens des pourvois n° C 14-15. 123 et N 14-15. 592, rédigés en termes identiques, réunis :
Attendu que la société Axa fait grief à l'arrêt de retenir la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire alors, selon le moyen, que les juridictions administratives sont compétentes pour connaître du litige né du refus d'exécuter les travaux nécessaires pour raccorder un demandeur au réseau de distribution de l'électricité ; que l'opération de raccordement, en ce qui concerne la phase préalable à l'entrée dans une relation contractuelle de droit privé, a trait au fonctionnement d'un ouvrage public ; que les tiers victimes d'un dommage de travaux publics, résultant de l'exploitation d'un ouvrage public, doivent porter leur litige à la connaissance de la juridiction administrative, quand bien même l'ouvrage serait exploité par une personne de droit privé chargée d'une mission de service public industriel et commercial ; que dès lors la période d'instruction de la demande de « proposition technique et financière » (PTF) relève de la sphère administrative quand les phases de conclusion et d'exécution du contrat de raccordement relèvent de la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire ; qu'en retenant cependant sa compétence, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé le principe de séparation des autorités judiciaires et administratives ;
Mais attendu qu'après avoir exactement rappelé que le contrat de raccordement ne constitue pas un accessoire du contrat d'achat d'électricité et ne relève pas de la gestion par la société ERDF de l'ouvrage public du réseau public de distribution d'électricité dont elle a la charge, l'arrêt retient d'abord que la société ERDF agit en l'espèce pour son propre compte ; qu'il constate ensuite que le litige n'est pas fondé sur un refus d'accès au réseau public de distribution électrique ; qu'il relève encore que l'action délictuelle ou quasi-délictuelle en cause a été introduite par une société de droit privé contre la société ERDF, société anonyme de caractère commercial, et son assureur, et qu'elle se fonde sur la perte du bénéfice d'un certain tarif d'achat résultant du traitement tardif d'une demande de raccordement au réseau de distribution électrique ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, excluant la qualification de dommage de travaux publics invoquée par le moyen, la cour d'appel a retenu à bon droit la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur les deuxièmes moyens des pourvois n° C 14-15. 123 et N 14-15. 592, pris en leurs deux premières branches, rédigés en termes identiques, réunis :
Attendu que la société Axa fait grief à l'arrêt de dire que la société Green Yellow a été privée, par suite du non-respect par la société ERDF du délai de traitement de sa demande de raccordement au réseau, du bénéfice de l'obligation d'achat de l'électricité photovoltaïque au tarif fixé avant le moratoire du 9 décembre 2010, par l'arrêté du 10 juillet 2006, de fixer le préjudice indemnisable à hauteur de 80 % et de la condamner, en sa qualité d'assureur de la société ERDF, à garantir cette dernière pour l'ensemble des condamnations qui seront mises à sa charge alors, selon le moyen :
1°/ que la Cour de cassation est compétente pour apprécier, pour la première fois, la conformité au droit de l'Union d'un acte administratif réglementaire ; que le mécanisme de compensation des surcoûts imposés à EDF par l'obligation d'achat de l'électricité d'origine photovoltaïque à un prix supérieur à celui du marché constitue une aide d'Etat qui doit faire l'objet d'une notification à la Commission européenne préalablement à son entrée en vigueur dans l'ordre interne, sous peine d'illégalité ab initio ; qu'en jugeant que la société Green Yellow a été privée du bénéfice des tarifs d'achat escomptés sur la base de l'arrêté du 10 juillet 2006 quand le mécanisme institué par cet acte est pourtant illégal, la cour d'appel a violé les articles 1382 du code civil ensemble l'article 108, § 3, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) ;
2°/ qu'en conséquence, la perte d'un avantage dont l'obtention serait contraire au droit ne peut être considérée comme un préjudice réparable ; que l'arrêté tarifaire sur la base duquel est assise la demande de réparation formulée par la société Green Yellow étant illégal, la cour d'appel ne pouvait juger réparable le prétendu préjudice qu'elle invoquait sans violer l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu que par arrêt du 14 décembre 1995 la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit (C-430/ 93 et C-431/ 93) que le droit communautaire n'impose pas aux juridictions nationales de soulever d'office un moyen tiré de la violation de dispositions communautaires, lorsque l'examen de ce moyen les obligerait à renoncer à la passivité qui leur incombe, en sortant des limites du litige tel qu'il a été circonscrit par les parties et en se fondant sur d'autres faits et circonstances que ceux sur lesquels la partie qui a intérêt à l'application desdites dispositions a fondé sa demande ; qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni des conclusions de la société Axa que celle-ci se soit prévalue de la violation de l'article 108, § 3, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; que le moyen, nouveau et mélangé de fait et de droit, est irrecevable ;
Sur les deuxièmes moyens des pourvois n° C 14-15. 123 et N 14-15. 592, pris en leur troisième, quatrième, cinquième et sixième branches, rédigés en termes identiques, et le moyen unique du pourvoi n° Z 14-15. 074, pris en ses sixième, septième, huitième, neuvième, dixième, onzième et douzième branches, réunis :
Attendu que la société ERDF et la société Axa font le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen :
1°/ que seul le préjudice certain est réparable à l'exclusion du préjudice hypothétique ; qu'en jugeant tel le prétendu préjudice invoqué par la société Green Yellow quand elle relevait par ailleurs, non seulement, que les incertitudes pesant sur la filière photovoltaïques dans un contexte évolutif du cadre législatif et réglementaire pouvaient avoir des répercussions directes sur le contrat d'achat d'électricité, mais encore, que des aléas de nature technique et financière pouvaient empêcher la réalisation des projets ayant fait l'objet d'une demande complète de raccordement de leur installation, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation de l'article 1382 du code civil ;
2°/ que, ce faisant, s'est prononcée par des motifs contradictoires en violation des articles 455 et 458 du code de procédure civile, la cour d'appel qui a retenu, tout à la fois, que le préjudice subi par la société Green Yellow est « seulement éventuel » et que cette société peut se prévaloir d'une perte de chance, constitutive d'un « préjudice certain » ;
3°/ qu'en se bornant à indiquer que la société Green Yellow peut se prévaloir de la perte d'une chance par la disparition certaine d'une éventualité favorable constitutive d'un préjudice certain, la réparation de la perte de chance devant être mesurée à la chance perdue, pour juger que le prétendu préjudice de ladite société sera indemnisé à hauteur de 80 %, la cour d'appel a privé sa décision base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
4°/ que faute d'avoir recherché, comme elle y était pourtant expressément invitée, si le fait générateur de ce préjudice ne résidait pas en réalité dans les modifications successives des tarifs de rachat d'électricité photovoltaïque et l'instauration d'un moratoire de plusieurs mois, la cour d'appel, a laissé sans réponse un moyen péremptoire développé par la société Axa CS, en méconnaissance des articles 455 et 458 du code de procédure civile ;
5°/ que la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en retenant tout à la fois, d'un côté, que la perte d'une chance d'avoir conclu un contrat d'achat d'électricité aux conditions tarifaires antérieures au décret du 9 décembre 2010 n'était pas un préjudice réparable et, de l'autre, que l'impossibilité pour le producteur de bénéficier de l'obligation d'achat d'électricité à ce même tarif constituait la perte d'une espérance légitime indemnisable, la cour d'appel s'est contredite en méconnaissance de l'article 455 du code de procédure civile ;
6°/ que les circonstances constitutives d'une faute commise lors de la période des pourparlers précontractuels ne peuvent être considérées comme la cause du préjudice consistant dans la perte d'une chance de réaliser les gains que permettait d'espérer la conclusion du contrat ; qu'en considérant que le retard de la société ERDF à adresser au producteur la proposition technique et financière de raccordement était la cause du dommage résultant de la perte d'une chance de réaliser les gains qu'aurait permis la conclusion d'un contrat d'achat d'électricité au tarif fixé avant le moratoire du 9 décembre 2010, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;
7°/ que la réparation ne peut porter que sur la suite immédiate et directe de la faute ; qu'en retenant que le retard de douze jours de la société ERDF à adresser la proposition technique et financière de raccordement était la cause du dommage résultant de ce que le producteur n'avait pu bénéficier des conditions tarifaires antérieures au décret du 9 décembre 2010, quand l'intéressé avait malgré tout disposé de treize jours pour la retourner avant que ne cessent de s'appliquer les anciens tarifs, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1151 du code civil ;
8°/ que la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en retenant tout à la fois, d'un côté, que la société EDF n'était pas tenue en toute certitude d'acquérir la production d'électricité du producteur durant vingt ans et, de l'autre, qu'une durée du contrat d'achat d'électricité de vingt années était prévisible, la cour d'appel s'est contredite en méconnaissance des exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
9°/ que le dommage résultant de la perte d'une chance doit être direct et certain, non éventuel ; qu'ayant retenu que la perte d'une chance du producteur de réaliser les gains résultant de la signature d'un contrat d'achat d'électricité photovoltaïque aux tarifs avantageux en vigueur avant le décret du 9 décembre 2010 était un préjudice seulement éventuel, la cour d'appel, qui a néanmoins admis la réparation partielle de ce préjudice, a violé l'article 1382 du code civil ;
10°/ que la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en retenant tout à la fois, d'un côté, que le préjudice constitué par la perte d'une chance de réaliser un gain invoquée par le producteur était seulement éventuel et, de l'autre, que celui-ci pouvait se prévaloir d'un préjudice certain constitué par la perte d'une chance, la cour d'appel s'est contredite en méconnaissance des prescriptions de l'article 455 du code de procédure civile ;
11°/ que nul n'ayant droit au maintien d'une réglementation, le dommage résultant de son abrogation n'est pas licite ; qu'en déclarant que le producteur devait être indemnisé de la perte de son droit à bénéficier des dispositions tarifaires fixées par l'arrêté du 10 juillet 2006 qui avait cessé d'être applicable le 10 décembre 2010, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant relevé que le projet de la société Green Yellow avait été différé par suite des carences de la société ERDF et qu'une demande complète de contrat d'achat conforme aux dispositions de l'arrêté du 10 juillet 2006 et du décret du 10 mai 2001 avait été déposée avant le 1er novembre 2009, pour une date prévisible de mise en service fixée au 1er décembre 2010, remplissant les critères requis pour conserver le bénéfice des tarifs fixés par cet arrêté, et qu'aucun manque de diligence ne pouvait être reproché à la société Green Yellow au regard du cadre réglementaire et des circonstances dans lesquelles la proposition technique et financière (PTF) avait été retournée signée, la cour d'appel, qui ne s'est pas contredite, a pu retenir que la société Green Yellow justifiait d'un préjudice certain correspondant à la perte de la chance d'accepter la PTF de la société ERDF avant le 2 décembre 2010, ce qui lui aurait permis de bénéficier de l'obligation d'achat de l'électricité photovoltaïque au tarif fixé par l'arrêté de 2006 ;
Et attendu, en second lieu, qu'ayant rappelé que la réparation du préjudice résultant de la perte de la chance de bénéficier des tarifs de 2006 pour une durée de contrat prévisible de vingt ans doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage que cette chance aurait procuré si elle s'était réalisée, et limité l'indemnisation à 80 % en tenant compte des différents aléas en présence, la cour d'appel, qui n'a pas indemnisé le dommage résultant de l'abrogation d'une réglementation et n'était pas tenue de s'expliquer sur le moyen visé à la quatrième branche, que ses appréciations rendaient inopérant, a légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur les troisièmes moyens des pourvois n° C 14-15. 123 et N 14-15. 592, rédigés en termes identiques, réunis :
Attendu que la société Axa fait grief à l'arrêt de déclarer recevable et bien fondé l'appel en garantie de la société ERDF à son encontre et de la condamner à la garantir pour l'ensemble des condamnations qui seront mises à sa charge alors, selon le moyen, qu'en relevant, pour apprécier l'existence d'un aléa au contrat d'assurance, élément déterminant pour retenir la garantie de la société Axa, d'une part, que la société ERDF siège au Conseil supérieur de l'énergie, autorité obligatoirement consultée avant toute décision et nécessairement informée du projet de décret impliquant un changement de politique tarifaire et que la mise en place d'un décret moratoire était prévisible pour la société ERDF eu égard à l'article 10 de la loi du 10 février 2010 prévoyant la possibilité de suspendre partiellement ou totalement par décret l'obligation de conclure un contrat d'achat pour une durée qui ne peut excéder dix ans et, d'autre part, que la société ERDF ne pouvait anticiper le décret moratoire du 9 décembre 2010, la cour d'appel s'est prononcée, une nouvelle fois, par des motifs contradictoires et partant, a méconnu les exigences des articles 455 et 458 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant retenu, d'un côté, que la société ERDF n'était pas fondée à invoquer la force majeure pour s'exonérer de sa responsabilité au titre du retard dans le traitement de la PTF relative à une demande enregistrée le 10 août 2010, la mise en place du décret moratoire n'ayant pas été imprévisible eu égard aux dispositions de la loi du 10 février 2010 prévoyant la possibilité de suspendre partiellement ou totalement par décret l'obligation de conclure un contrat d'achat, de l'autre, pour écarter le moyen tiré de l'absence d'aléa, que cette société ne pouvait anticiper à la date de signature du contrat d'assurance, le 1er juillet 2010, le décret moratoire du 9 décembre 2010, pas plus que l'engorgement de ses services résultant d'un communiqué de presse du 23 août 2010 annonçant une baisse des tarifs au 1er septembre suivant, la cour d'appel, qui s'est référée à la notion d'imprévisibilité dans le cadre d'analyses distinctes, ne s'est pas contredite ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen unique du pourvoi n° Z 14-15. 074, pris en ses cinq premières branches, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
CONSTATE la déchéance du pourvoi n° C 14-15. 123 en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt rendu le 4 juin 2013 par la cour d'appel de Versailles ;
Et statuant sur le pourvoi n° C 14-15. 123 en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt rendu par la même cour d'appel le 11 février 2014, RG : n° 11/ 09047, et sur les pourvois n° N 14-15. 592 et Z 14-15. 074 :
REJETTE les pourvois ;
Condamne les sociétés Axa Corporate Solutions Assurance et Electricité réseau distribution France aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, les condamne à payer à la société Green Yellow Hyères Sup la somme globale de 3 000 euros et rejette leurs demandes ;
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jeudi 22 octobre 2015
Sinistre photovoltaïque : l'absence de force majeure n'exclut pas l'aléa
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