Voir note Ajaccio, EL, bulletin "assurances", novembre 2015, p. 3.
Conseil d'État
N° 381364
ECLI:FR:CESSR:2015:381364.20151005
Inédit au recueil Lebon
7ème et 2ème sous-sections réunies
M. Vincent Montrieux, rapporteur
M. Bertrand Dacosta, rapporteur public
SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN ; SCP ODENT, POULET ; SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS ; SCP BOULLOCHE, avocats
lecture du lundi 5 octobre 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
--------------------------------------------------------------------------------
Texte intégral
Vu la procédure suivante :
La société ICS Assurances a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner solidairement la société Etnap bureau d'études techniques (Etnap BET), M. A...B..., la société Cabre et la société Socotec France à lui verser une somme de 412 474,97 euros, assortie des intérêts légaux et de leur capitalisation à raison de désordres subis par son client, l'office public d'habitation à loyers modérés (OPHLM) de la communauté urbaine de Lille-Roubaix-Tourcoing, et relatifs à l'isolation thermique extérieure d'un ensemble immobilier situé à Tourcoing.
Par un jugement n° 0901429 du 18 décembre 2012, le tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 13DA00118 du 18 mars 2014, la cour administrative d'appel de Douai a, sur la requête de la société ICS Assurances, en premier lieu, annulé ce jugement, en deuxième lieu, condamné solidairement les sociétés Cabre, Etnap BET, Socotec France et M. A... B...à payer à la société ICS Assurances la somme de 241 796,50 euros TTC assortie des intérêts et de leur capitalisation et, en dernier lieu, condamné la société Cabre à garantir la société Etnap BET des condamnations prononcées à son encontre à hauteur de 90 % de leur montant et la société Etnap BET à hauteur de 70 % des condamnations prononcées à l'encontre de la société Cabre.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 juin, 4 septembre 2014 et le 25 mars 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Cabre demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il l'a condamnée solidairement à indemniser la société ICS Assurances et à garantir la société Etnap BET des condamnations prononcées à son encontre ;
2°) de mettre à la charge de la société ICS Assurances le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des assurances ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Vincent Montrieux, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Odent, Poulet, avocat de la société Cabre et de la société Socotec France, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de la société ICS Assurances, à la SCP Boulloche, avocat de M. B...et à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la société Etnap BET ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'office public d'habitations à loyers modérés (OPHLM) de la communauté urbaine de Lille-Roubaix-Tourcoing a, en juin 1989, confié à la société Etnap bureau d'études techniques (Etnap BET) et à M. A...B..., architecte, une mission de maîtrise d'oeuvre pour la réhabilitation d'un ensemble immobilier ; que, dans le cadre de cette réhabilitation, les travaux d'isolation thermique extérieure ont été attribués à la société Cabre et le contrôle technique de ces travaux à la société Socotec France ; que, par un arrêt du 18 mars 2014, la cour administrative d'appel de Douai a, sur le fondement de la responsabilité décennale des constructeurs, d'une part, condamné solidairement les sociétés Cabre, Etnap BET, Socotec France et M. A...B...à payer à la société ICS Assurances, assureur de l'OPHLM de la communauté urbaine de Lille-Roubaix-Tourcoing, la somme de 241 796,5 euros TTC assortie des intérêts et de leur capitalisation et, d'autre part, condamné la société Cabre à garantir la société Etnap BET des condamnations prononcées à son encontre à hauteur de 90 % de leur montant et réciproquement à hauteur de 70 % du montant des condamnations prononcées à l'encontre de la société Cabre ; que cette société se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il l'a condamnée solidairement à indemniser la société ICS Assurances et à garantir la société Etnap BET des condamnations prononcées à son encontre ; que, par la voie du pourvoi provoqué, M. B...et les sociétés Socotec France et Etnap BET demandent également, chacun pour ce qui le concerne, l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Sur le pourvoi principal :
2. Considérant qu'il ressort des pièces de la procédure que la société Cabre soutenait, devant le tribunal administratif comme devant la cour administrative d'appel, que les conclusions de la société ICS Assurances dirigées contre elle étaient irrecevables dès lors que la société SMABTP, en sa qualité d'assureur des sociétés Cabre et Socotec France, avait versé à la société Quille, mandatée par l'OPHLM de la communauté urbaine de Lille-Roubaix-Tourcoing pour gérer le dossier d'assurance relatif aux travaux de réfection des désordres litigieux, la somme de 3 860 000 francs et que, par deux accords conclus les 19 et 23 novembre 1999, la société Quille, d'une part, et l'OPHLM, d'autre part, s'étaient engagés à ne pas introduire d'action indemnitaire contre la société SMABTP ; qu'en ne répondant pas à cette fin de non-recevoir qui, contrairement à ce qui est soutenu en défense, n'était pas inopérante, la cour administrative d'appel a insuffisamment motivé son arrêt ; qu'il s'ensuit, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que la société Cabre est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il a statué sur les conclusions indemnitaires et d'appel en garantie dirigées contre elle ;
Sur le pourvoi provoqué de la société Socotec France :
3. Considérant que l'annulation partielle de l'arrêt attaqué est susceptible d'aggraver la situation de la société Socotec France ; que, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner ses autres moyens, cette société est recevable et fondée, compte tenu de ce qu'elle avait également opposé devant la cour, qui n'y a pas répondu, la même fin de non-recevoir à l'action de la société ICS Assurances, à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il a statué sur les conclusions indemnitaires dirigées contre elle ;
Sur le pourvoi provoqué de M. B...:
4. Considérant que l'annulation partielle de l'arrêt attaqué est susceptible d'aggraver la situation de M. B...; que, par suite, le pourvoi provoqué présenté par celui-ci et tendant à l'annulation de l'arrêt en tant qu'il l'a condamné solidairement à indemniser la société ICS Assurances et qu'il a statué sur ses conclusions d'appel en garantie est recevable ;
En ce qui concerne la responsabilité solidaire de M. B...:
5. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 121-12 du code des assurances : " L'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur. / L'assureur peut être déchargé, en tout ou en partie, de sa responsabilité envers l'assuré, quand la subrogation ne peut plus, par le fait de l'assuré, s'opérer en faveur de l'assureur (...) " ;
6. Considérant qu'il incombe à l'assureur qui entend bénéficier de la subrogation prévue par ces dispositions d'apporter, par tout moyen et au plus tard à la date de clôture de l'instruction, la preuve du versement de l'indemnité d'assurance à son assuré ;
7. Considérant que la cour administrative d'appel a relevé, par une appréciation souveraine qui n'est pas contestée en cassation, que la société Springs Assurances, aux droits de laquelle est venue la société ICS Assurances, avait versé, en sa qualité d'assureur dommages-ouvrages, à la société Quille, une indemnité pour la réparation des désordres litigieux ; que cette circonstance justifiait, à elle seule, que la société ICS Assurances fût regardée comme régulièrement subrogée dans les droits et actions de la société Quille à hauteur de l'indemnité versée ; que, si la cour a également relevé que la quittance subrogative du 2 mai 1997 produite par la société ICS Assurances était signée par la société Quille et donnait, par suite, à la société d'assurances la qualité de subrogée légale et conventionnelle dans les droits et actions de la société Quille, il résulte de ce qui vient d'être dit qu'un tel motif ne peut qu'être regardé comme surabondant ; que les moyens dirigés contre ce motif sont, par suite, inopérants ;
8. Considérant, en second lieu, qu'en jugeant, après avoir souverainement estimé que les désordres en cause étaient en partie imputables à des fautes commises par les constructeurs dans l'exécution des travaux de pose du bardage, la maîtrise d'oeuvre et le contrôle technique des travaux et qu'ils n'étaient pas imputables au seul procédé de bardage " Mulliez " retenu par le maître d'ouvrage, qu'il n'y avait pas de faute du maître de l'ouvrage exclusive de toute faute des constructeurs, la cour administrative d'appel n'a pas donné aux faits de l'espèce une qualification juridique erronée ;
En ce qui concerne les conclusions d'appel en garantie présentées par M. B... devant la cour administrative d'appel :
9. Considérant que pour répondre aux conclusions de M. B...tendant à ce que les sociétés Cabre, Etnap BET et Socotec France le garantissent des condamnations prononcées contre lui, la cour administrative d'appel a relevé, dans ses motifs, qu'aucune responsabilité ne pouvait être retenue à son encontre ; que, cependant, le dispositif de l'arrêt attaqué se borne à condamner solidairement M. B...au versement d'une somme à la société ICS Assurances, sans condamner les autres constructeurs à le garantir de cette somme ; qu'il s'ensuit que l'arrêt attaqué est, sur ce point, entaché d'une contradiction entre ses motifs et son dispositif ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'arrêt attaqué doit être annulé en tant seulement qu'il s'est prononcé sur les conclusions d'appel en garantie présentées par M. B...;
Sur le pourvoi provoqué de la société Etnap BET :
11. Considérant que l'annulation partielle de l'arrêt attaqué est susceptible d'aggraver la situation de la société Etnap BET ; que, par suite, le pourvoi provoqué présenté par celle-ci et tendant à l'annulation de l'arrêt en tant en qu'il a statué sur les conclusions indemnitaires et d'appel en garantie dirigées contre elle est recevable ;
12. Considérant, en premier lieu, que, pour le motif exposé au point 7, le moyen tiré de ce que la cour aurait dénaturé les pièces du dossier en estimant que la quittance subrogative du 2 mai 1997 produite par la société ICS Assurances lui donnait la qualité de subrogée légale et conventionnelle dans les droits et actions de la société Quille est inopérant ;
13. Considérant, en second lieu, que, comme il a été dit au point 8, la cour administrative d'appel n'a pas donné aux faits de l'espèce une qualification juridique erronée en jugeant que les désordres litigieux n'étaient pas exclusivement imputables à la faute commise par le maître de l'ouvrage ;
14. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le pourvoi provoqué de la société Etnap BET doit être rejeté ;
15. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'arrêt attaqué doit être annulé, en tant qu'il a statué, d'une part, sur les conclusions indemnitaires et d'appel en garantie dirigées contre la société Cabre, d'autre part, sur les conclusions indemnitaires dirigées contre la société Socotec France et, enfin, sur les conclusions d'appel en garantie présentées par M. B... ;
16. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les sommes demandées par la société ICS Assurances soient mises à la charge de la société Cabre et de M. B...qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur le même fondement par la société ICS Assurances à l'encontre de la société Etnap BET, d'une part, et par cette société, d'autre part ; qu'il y a lieu, en revanche, au titre des mêmes dispositions, de mettre à la charge de la société ICS Assurances le versement à M. B...et aux sociétés Cabre et Socotec France de la somme de 3 000 euros chacun ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 18 mars 2014 est annulé en tant qu'il a statué, d'une part, sur les conclusions indemnitaires et d'appel en garantie dirigées contre la société Cabre, d'autre part, sur les conclusions indemnitaires dirigées contre la société Socotec France et, enfin, sur les conclusions d'appel en garantie présentées par M.B....
Article 2 : L'affaire est renvoyée dans cette mesure à la cour administrative d'appel de Douai.
Article 3 : La société ICS Assurances versera à M. B...et aux sociétés Cabre et Socotec France la somme de 3 000 euros chacun en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions du pourvoi provoqué de la société Etnap BET ainsi que les conclusions présentées par cette société et la société ICS Assurances sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée aux sociétés Cabre, Etnap BET, ICS Assurances, Socotec France et à M. A...B....
Ce blog est la suite de mon blog de droit de la construction: http://www.blogavocat.fr/space/albert.caston .
Vous pouvez aussi me retrouver sur mon site : http://www.caston-avocats.com/ également sur Twitter .
Inscription à :
Publier les commentaires
(
Atom
)
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.